Est-ce un crime d’être un chiite en Algérie ?

Redaction

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C’est à nouveau l’inquisition en Algérie. La lutte contre la différence, le combat contre la diversité et l’acharnement contre la liberté de conscience sont de retour. Cette fois-ci, ce sont les « chiites » qui sont ciblés par une campagne de dénigrement sans pareille. Pis encore, des Algériens  se lancent même dans une chasse aux sorcières des plus violentes. 

Cette chasse a été même annoncé dans les médias. Un appel national pour traquer ces « indésirables chiites » a été lancé dans les colonnes du fameux quotidien arabophone Echorouk sans que cela n’émeuve personne. Aucun de nos intellectuels, artistes ou militants des droits de l’Homme,  pourtant très volubiles et bavards dans les rencontres internationales organisées en Occident, n’a jugé bon de réagir à cette manifestation que des habitants de Haï Salem à Oran ont organisé devant une mosquée qualifiée de « chiite » ! Un crime abominable qui bouleverse les Algériens. Les habitants de ce quartier oranais ont décidé d’empêcher de toute personne d’aller prier dans cette mosquée prétextant qu’une vingtaine de familles chiites auraient complété contre l’imam de cette petite mosquée. Un imam qui s’est consacré à une sacerdotale mission : celle de combattre la doctrine chiite jugée dangereuse pour la cohésion nationale. Les manifestants en colère ont même interpellé la direction des affaires religieuses de la wilaya d’Oran en lui réclamant d’intervenir dans les plus brefs délais contre ces familles chiites qu’il faut absolument « punir et écarter » du quartier. Leur tort ? Ils sont tout simplement chiites et s’adonnent à leur culte en toute discrétion.

Mais comme ils sont différents, ils sont donc suspects. Ils ne sont pas sunnites comme la majorité des Algériens. Tels des moutons noirs, il faut les écarter du troupeau car ils ne collent pas à cette identité collective que l’on tente d’imposer partout en Algérie. Musulman et malékite, un point c’est tout ! L’Algérien qui n’est pas ainsi n’est pas digne de respect, d’intérêt et de confiance. Et les chiites, pourtant des musulmans comme nous, n’échappent pas à cette haine collective. Une haine qui s’est banalisée puisque presque personne ne trouve choquant que des habitants veuillent chasser une vingtaine de familles pour l’unique raison qu’ils adoptent une autre doctrine religieuse. Une haine appuyée médiatiquement également et, peut-être, même politique puisque les autorités n’ont nullement intervenu pour calmer l’ardeur fanatique de ces concitoyens aveuglés par leurs certitudes religieuses.

Aveuglés aussi par l’ignorance de l’histoire de leur cher pays car le chiisme n’a jamais constitué un corps étranger à la société algérienne. Bien au contraire, il jouit même d’une place prépondérante dans notre patrimoine religieux, culturel et historique. Preuve en est, le premier Etat islamique rayonnant que l’Algérie a connu fut l’Etat rostomide, fondé en 787. Il s’agit d’un état d’obédience Kharidijite, issue plus exactement de la doctrine chiite, qui fut remarquable par son organisation économique. Abderahmane Ibn Rostom l’avait dirigé en s’appuyant sur un pouvoir démocratique installé dans une capitale, Tihert (l’actuelle Tiaret) renommée par la position-clé qu’elle occupe sur la route africaine de l’or. Ce royaume a laissé un impressionnant héritage civilisationnel. Par ailleurs, Les Fatimides qui sont d’obédience chiite ismaélienne ont brillé aussi par leur présence en Algérie. Ils ont bâti leur empire en Afrique du Nord à partir de l’Algérie. Cette dynastie est née dans les zones berbères kabyles du Maghreb central en 909 sous la direction messianique de leur premier leader, Ubayd Allah. Après avoir combattu le gouvernement kharijite ibadite au Maghreb, ce dernier prit le contrôle de l’essentiel de l’Afrique du Nord, Égypte incluse, dans le courant du Xe siècle. Entre 909 et 969, puis depuis l’Égypte (entre 969 et 1171), ils ont régné sur un empire qui englobait une grande partie de l’Afrique du Nord, la Sicile et même une partie du Moyen-Orient.

Malheureusement, cette histoire complexe, mais ô combien passionnante, n’est guère enseignée correctement dans nos écoles. Les conséquences dramatiques de cette confiscation de la mémoire collective se font donc ressentir aujourd’hui. Les Algériens d’aujourd’hui perçoivent comme menace toute différence même si celle-ci est inscrite dans l’ADN de leur histoire ancestrale. L’allergie à l’autre est une maladie qui fait d’incroyables dégâts dans notre pays. Il est temps de lui trouver un traitement…

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