Journalistes en Algérie, une espèce en voie de disparition

Redaction

Le 3 mai, c’est la journée mondiale de la Presse. En Algérie, on commémore cette journée avec des cérémonies de recueillement à la mémoire des journalistes assassinés pendant la décennie noire, des gerbes de fleurs, des discours, des promesses, des encouragements et on oublie vite l’essentiel : la liberté d’expression. Oui, cette liberté que notre Constitution garantit et protège par des lois inscrites dans le marbre.

Mais dans le marbre uniquement car, dans la réalité, rapporter l’information, la traiter, l’analyser, la décrypter pour fournir aux lecteurs des clés de compréhension demeure toujours un exercice périlleux. Périlleux et délicat puisque tout est fait pour bloquer le travail de recherche, l’enquête et l’investigation. L’accès à l’information est très sévèrement codifié en Algérie. Les institutions publiques ne communiquent que rarement. Les chargés de communication des organismes gouvernementaux imposent un black-out total. Rares sont les élus, fonctionnaires, ministres ou secrétaires généraux qui ouvrent leur bureau aux journalistes. Et s’ils le font, ce n’est jamais dans la transparence. En 2013, en Algérie on préfère toujours diffuser les communiqués de presse froids et insensibles. Et quand un attaché de presse ose se confier aux médias, cela tourne rapidement à la manipulation puisque nos gouvernants refusent toujours que leurs noms soient cités.

« Les sources généralement informées ou dignes de foi » dominent, dés lors, nos médias et inondent nos lecteurs de toutes sortes d’informations difficilement vérifiables. Dans ce contexte, la suspicion règne en maître incontesté et la spéculation se substitue à l’analyse. Le commentaire remplace l’information et les faits sont obscurcis par l’idéologie que les patrons de presse tentent d’imprimer à leurs organes de presse. Tout cela se passe au pays où la liberté de la presse est la plus épanouie dans le monde arabe, nous chantent les esprits béats et les partisans de l’ordre établi. « L’ouverture et la liberté de la presse algérienne est un acquis national à préserver », pérorent les responsables du ministère de la communication. Et pendant ce temps-là, les conditions de travail des journalistes algériens sont de plus en plus précaires, parfois dangereuses, notamment pour nos collègues qui officient à l’intérieur du pays dans les régions les plus sporadiques où les caïds de mafia locale ne craignent ni la loi ni les services de sécurité. La censure, pressions politiques et économiques se renforcent dans des rédactions où le souci de la rentabilité financière est devenu le seul critère de gestion. Il ne faut donc jamais froisser les annonceurs. Il faut tout faire pour les satisfaire et les convaincre de se montrer généreux. Cette logique mercantile impose son diktat et transforme les médias algériens en entreprises économiques semblables à celles qui fabriquent du chocolat, des yaourts ou des pâtes.

Les enquêtes approfondies, les grands-reportages, les interviews exclusives, bref tout travail de qualité qui exige du temps, de l’investigation, des déplacements et des efforts, sont bannis, ignorés et rejetés surtout lorsqu’il peut gêner les intérêts de ces lobbys financiers qui font la pluie et le beau temps dans notre pays. Ce qu’on recherche, c’est uniquement l’info facile qui ne nécessite aucun frais de recherche ou de développement. L’essentiel est de boucler son journal le plus rapidement possible pour l’envoyer à l’imprimerie et le distribuer dans quelques kiosques. Peu importe si des lecteurs l’achètent, le lisent ou réagissent à son contenu. Le contenu, ce mot est d’ailleurs tabou car il fait de l’ombre à la forme, cette manne publicitaire que l’ANEP distribue généreusement à tous les médias qui consentent à glorifier la pensée unique distillée par les appareils secrets du régime.

En ce 3 mai, il n’est pas possible de penser à  cette indépendance des médias qui est mise à mal en Algérie.  Il n’est pas possible d’avoir une triste pensée à ces journalistes, Tahar DJAOUT,  Rabah ZENATI, Abdelhamid BENMENI,  Saâdeddine BAKHTAOUI, Abderrahmane CHERGOU, et tant d’autres encore, qui sont morts en martyrs lorsqu’ils ont préféré leur liberté à la lâcheté de s’enfuir face à l’ogre terroriste qui ravageait l’Algérie. Ils se sont battus jusqu’au bout pour que la liberté de la presse résiste aux assauts du fanatisme et de la dictature. Et aujourd’hui que reste-t-il de leur fougue, passion et courage ? Presque rien du tout puisque les journalistes sont en voie de disparition dans un pays qui ne les désire pas et une corporation qui n’a plus besoin d’eux pour se remplir les poches et les comptes en banque…