Le règne des Frères Musulmans n’aura finalement duré qu’une seule année. Uniquement une année. Le puissant mouvement islamiste a réussi en une année à retourner contre lui des millions d’égyptiens. Ces derniers rêvaient d’une autre Egypte. Une Egypte différente de celle que leur proposait un Mohammed Morsi incapable de faire honneur à la confiance populaire placée en lui.
Contesté, critiqué et haï par des pans entiers de la société égyptienne, Mohammed Morsi n’a jamais su comment retourner la situation en sa faveur. Certes, élu démocratiquement, mais politiquement impuissant face aux exigences d’une rue décomplexée et émancipée, Morsi a vite déchanté. Mais comment en est-on arrivé là ? Difficile de répondre à cette question en un seul texte au regard de la complexité de la configuration politique de l’Egypte post-Mouabarek. Toutefois, depuis l’accession au pouvoir du candidat des Frères Musulmans, la reconstruction qui devait suivre la Révolution ne s’est pas opérée comme il se doit. Aucune solution concrète n’a été proposée aux problèmes quotidiens des Égyptiens. Les promesses faites ont rarement été tenues. Une économie en panne. Un tourisme en berne. Une cherté de la vie galopante. Des dysfonctionnements à tous les niveaux de l’Etat alimentés par un corporatisme que les Frères Musulmans tentaient d’imposer coûte que coûte. Ces multiples problématiques ont été de rudes épreuves pour les Frères Musulmans qui n’ont pas jugé nécessaire de tisser des alliances pour les dépasser. Et lorsqu’ils se sont rendus compte de leurs erreurs, c’était presque trop tard. Après avoir trop tardé à se remettre en cause, Morsi a fait le pari d’un bras-de-fer avec l’opposition. Ivre de sa légitimité, il croyait qu’il allait triompher. L’histoire lui apprendra qu’avoir des certitudes lorsqu’on dirige une nation est un acte de suicide. L’histoire lui apprendra surtout qu’on ne dirige pas un pays comme on croit diriger une mosquée ou une confrérie religieuse. Il ne suffit pas de connaître par coeur le Coran pour gérer les affaires d’une nation. Il ne suffit pas de recourir uniquement à la Sira du prophète Muhammed (QSSL) pour offrir à son peuple le développement, la justice sociale et l’Etat de droit dont il rêve depuis des lustres.
Non, un président de la République n’est guère un moralisateur ou un éducateur qui traite la société comme une personne mineure. Un président de la République est d’abord un gestionnaire, un manager et un dirigeant qui imagine des plans d’actions concrets et efficaces pour résoudre la crise dans laquelle patauge son pays. C’est un leader qui peut faire évoluer toute une société. Malheureusement pour les Égyptiens, les Frères Musulmans ont échoué dans cette mission. Pourquoi ? L’armée leur a mis des bâtons dans les roues ? L’opposition a saboté leurs efforts ? Ces prétextes, même s’ils sont réels, ne peuvent pas expliquer à seuls l’échec de Mohammed Morsi. En réalité, c’est tout le projet politique des Frères Musulmans qui a échoué. Bien sûr qu’en une seule année, il demeure difficile de faire ses épreuves. Cependant, les Égyptiens ne sont pas naïfs. Ils savent que les vraies réformes prennent du temps, ils auraient donc pu prendre leur mal en patience s’ils avaient vu des évolutions. S’ils avaient vu qu’un véritable projet national fondé sur des valeurs et des idéaux conformes à leur révolution, ils auraient patienté encore. Mais là, les frustrations et les insatisfactions ont dépassé le seuil du tolérable. L’armée égyptienne a profité, ainsi, de ce contexte politique bouillonnant pour destituer un Président qui a confondu la légitimité avec la crédibilité, la popularité avec le populisme, le pragmatisme politique avec l’idéalisme militant. Le coup d’Etat de l’armée est certes contraire à la démocratie. C’est un acte condamnable. Mais mener un pays à la dérive et à la division est aussi contraire à la démocratie. Et c’est aussi un acte condamnable. Les militaires égyptiens ont été diaboliques. Ils ont associé les jeunes révolutionnaires de la rue, les partis politiques, les religieux, à leur action de redressement. Contrairement à l’armée algérienne dans les années 90, ils ont réussi à légitimer leur action en travaillant de pair avec une bonne partie de la société civile. L’Égypte, est-ce donc le symbole de l’échec de la démocratie ou de l’islamisme politique ? La première a certainement encore du temps devant elle pour se construire. Le second manque toujours d’un véritable projet de société qui peut mobiliser à long terme un peuple désireux de sortir définitivement de l’obscurité pour découvrir enfin la lumière…