Un Aïd à Serkadji pour un blogueur algérien

Redaction

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Depuis le 25 septembre 2013, le jeune blogueur algérien Abdelghani Aloui, 24 ans, croupit dans une cellule à la prison Serkadji. Il ne voit la lumière du jour qu’à travers les fenêtres lugubres de cette cellule. Le soleil étincelant du ciel algérois, il ne peut que le deviner en se remémorant de la douceur des jours passés où il était un jeune libre de ses mouvements. 

A 24 ans, ce jeune blogueur passera son premier Aïd en prison, à Serkadji cette prison célèbre où les cris de révoltes ont été étouffés et les âmes assoiffées de liberté ont été meurtries depuis l’occupation coloniale française. A 24 ans, le jeune Abdelghani découvre l’enfer des geôles, la misère de la solitude, la souffrance indicible de l’abandon et les frissons que procure au corps le sentiment d’injustice. Qu’a-t-il fait pour se retrouver en prison ? Voler et détourner des milliards comme certains hauts commis de l’Etat et ministres de la République ? Non. Abuser de sa position de force pour racketter des citoyens ? Non. Corrompre une administration pour obtenir des privilèges ? Non. Harceler sexuellement ou violer des enfants ou des personnes mineures ? Non. Pirater un match diffusé par la télévision officielle l’ENTV  ? Non plus. Qu’a-t-il fait donc ? Quel est son tort puisqu’il n’a été emprisonné pour aucun de ces crimes qui rongent l’Algérie d’aujourd’hui ?

Il est blogueur, ce qui est un métier nouvellement proscrit en Algérie, et il a osé publier des photos-montages et des caricatures du président de la République, Abdelaziz Bouteflika. Un crime de lèse-majesté inacceptable et intolérable dans notre pays où les hommes de pouvoir ne meurent jamais, ne cèdent jamais leurs places, ne quittent jamais leurs fauteuils. On leur doit éternellement respect, gratitude et égard. On les conteste, même dans les caricatures ! Voila le message même pas subliminal que les autorités algériennes ont adressé à la blogosphère algérienne à la suite de l’arrestation d’Abdelghani Aloui. Et pourtant, l’Algérie, on a jamais cessé de nous le dire, n’est pas la Syrie, l’Arabie Saoudite ou le Maroc. « Ici, vous pouvez vous exprimez », ont réitéré à maintes reprises nos dirigeants perspicaces. La liberté de ton de la presse a été toujours été leur faire-valoir. Que s’est-il donc passé avec le jeune Abdelghani Aloui ? Ses caricatures sont-elles plus méchantes que celles publiées dans les colonnes de la presse nationale ? Pas vraiment.

Mais Abdelghani est un blogueur. Son blog ne vit pas de la publicité institutionnelle ou privée sur laquelle exerce une surveillance étroite les autorités algériennes. Son blog échappe aux contraintes de l’imprimerie, des impôts et de l’étouffement économique, les menaces fétiches des autorités. Non, lui, il est plus dangereux parce qu’il a la naïveté de croire qu’il peut changer l’Algérie, transformer sa société avec sa liberté de pensée, d’expression et de parole. Lui, il pourrait influencer des millions de jeunes parce qu’il est crédible, il n’appartient à aucun clan ou système. Lui, il pourrait mobiliser parce que sa jeunesse, sa foi et sa volonté sont rétives à la manipulation. Oui, Abdelgahni Aloui n’est pas de ces jeunes qu’on peut endormir avec un match de football, une polémique avec Al-Jazeera et des complots fomentés de toute pièce. Lui, il est conscient et sa conscience est un danger.

La prison pour le surveiller, l’étouffer, le briser et tuer en lui cette conscience qui dérange. Aujourd’hui, les internautes algériens, en dépit de leurs clivages, n’ont pas oublié Abdelgani. Une pétition circule d’ores et déjà sur internet. Sur les réseaux sociaux, une vague d’indignation déferle sur la censure. Quant à la rue, elle ignore le destin tragique de ce jeune de 24 ans. Pour l’heure, elle se préoccupe beaucoup plus du diabolique Qatar, de la cruelle Al-Jazeera Sport, de l’héroïque ENTV et du « Salaud » arbitre zambien du match Burkina Faso-Algérie. La liberté, la dignité, la démocratie peuvent attendre. Ces valeurs ne sont ni utiles ni nécessaires aux yeux de nos masses…