Le 1er juillet 2009, les relations médiatiques entre le monde arabe et les Etats-Unis vont entrer dans une nouvelle ère. Ainsi que l’expliquait récemment Wadah Khanfar, le directeur général de la chaîne, ses émissions vont désormais arroser 2,3 million de téléspectateurs américains par le canal de MHZ Networks, un câblodiffuseur de la région de Washington, ce qui pourrait bien donner une tournure tout à fait différente aux relations arabo-américaines. Les programmes en anglais d’Al Jazeera International, diffusés depuis novembre 2006, ont longtemps été boudés par les câblopérateurs américains, convaincus que ces émissions n’étaient pas conformes aux objectifs américains. La nouvelle décision marque un revirement culturel.
Chaîne concurrente
A l’époque du gouvernement de George W. Bush, Al Jazeera programmait souvent des émissions critiques de la politique étrangère des Etats-Unis. Le gouvernement et l’armée se plaignaient régulièrement de ce qu’ils considéraient comme un parti-pris et un ton agressif dans les émissions de la chaîne. Certes, de nombreux Américains et de nombreux Arabes ont des opinions bien différentes sur la question. Mais le Président Obama a clairement annoncé la couleur à Al Jazeera en accordant sa première interview, après son entrée à la Maison Blanche, à la chaîne concurrente Al Arabiya, plus nuancée dans sa couverture. Son message: soyez objectifs dans votre traitement des sujets intéressant les Etats-Unis.
Le Président l’a dit, il cherche à établir des rapports nouveaux, des rapports « fondés sur les intérêts et le respect réciproques, et sur une vérité: les Etats-Unis et l’islam ne s’excluent pas mutuellement, ils n’ont pas besoin d’être en concurrence ». La nouvelle administration américaine a pris l’initiative en matière de coopération et de rapprochement. Afin de participer à ce dialogue Al Jazeera doit emboîter le pas.
Connaissance limitée
L’image de la société américaine que donne Al Jazeera à ses téléspectateurs est loin de refléter la réalité pleine et entière. Depuis le 11 septembre 2001, le niveau d’intérêt manifesté dans les pays arabes pour les Etats-Unis s’est considérablement accru. Mais rares sont les médias arabes qui ont répondu à cette demande. Tous font un battage sur les Etats-Unis « superpuissance » – très peu sur les Etats-Unis en tant que société, complexe, bigarrée, démocratique. Dans ses émissions sur les Etats-Unis et leur politique, Al Jazeera trahit sa connaissance limitée du fonctionnement intime et de l’histoire de ce pays. Aussi l’image qu’elle a diffusée dans le monde arabe est-elle déformée : c’est une image qu’elle doit corriger.
Inutile de le rappeler, le succès énorme d’Al Jazeera au Moyen-Orient est dû en grande partie à la quasi absence de concurrence dans la région. A l’inverse, aux Etats-Unis, les moyens d’information sont quasiment pléthoriques. Si la nouvelle chaîne câblée veut être à la hauteur de CNN ou NBC, elle devra s’amender sérieusement. En d’autres termes, elle devra renoncer aux simplifications excessives pour donner une analyse sérieuse de la politique américaine.
Les questions comme le rôle de la religion aux Etats-Unis et le processus de prise de décisions de politique étrangère sont d’un intérêt réel pour la communauté arabe. Al Jazeera devrait étendre sa couverture au-delà des préoccupations immédiates que sont l’Irak et le conflit israélo-arabe pour proposer un journalisme de qualité plus nuancé.
Construire des ponts
Injuste ou pas, Al Jazeera s’est gagné une place de premier rang dans l’arène des médias internationaux, juste à côté de CNN et de la BBC. Plus important encore, Al Jazeera exerce une influence énorme dans la formation des opinions et des tendances des publics arabes. Pour soutenir la concurrence dans un marché plus grand et plus vaste, cette influence doit être utilisée pour favoriser la compréhension et construire des ponts, et non pas pour favoriser une communication biaisée. Les Arabes ont l’habitude que les médias étrangers entrent dans leur salon, qu’il s’agisse du service en arabe de la BBC, de Russia Today, de France 24, ou de Alhurra et d’Al Alam (chaîne iranienne), toutes deux financées par les Affaires étrangères américaines. Et pourtant, aujourd’hui, Al Jazeera contrôle en grande partie les actualités que reçoit la communauté arabe, ce qui lui garantit une audience considérable.
Ce succès lui impose des responsabilités. La diffusion par câble aux Etats-Unis offre une fenêtre d’opportunité sans pareille à Al Jazeera. Souhaitons que ses dirigeants soient à la hauteur du défi et sachent proposer des analyses plus fouillées, plus nuancées, qui fourniront une image plus exacte et plus complète de ce qui se passe vraiment des deux côtés.
Mohamed Elmenshaw est le rédacteur en chef de Taqrir Washington, et d’Arab Insight, deux publications du World Security Institute de Washington. Service de Presse de Common Ground (CGNews), 3 juillet 2009, Reproduction autorisée.
(Les Afriques)