Analyse. Israël : l’avertissement d’Obama

Redaction

jean-daniel Jean Daniel, directeur de la publication du Nouvel Observateur

Du déjeuner avec Nicolas Sarkozy, dont j’ai fait le récit la semaine dernière, j’ai retenu au moins une chose dont je ne me doutais pas qu’elle prendrait un si urgent intérêt. A la question de savoir si l’on pourrait encore persuader les Israéliens de ne pas bombarder les sites nucléaires iraniens, Nicolas Sarkozy a répondu : « Eh bien, franchement, je n’en suis plus sûr !… Ils sont très tentés de le faire. » Et il a ajouté : « Même Shimon Peres désire une telle intervention. » Cette réponse n’a pas retenu l’attention des commentateurs, surtout préoccupés par une polémique sur l’opportunité d’un tel entretien.

Et puis voilà que, soudain, le jeudi 14 mai, la chaîne de télévision israélienne en français, Guyzen TV, diffusait l’information suivante : « Le président Barack Obma a fait une déclaration spéciale pour dire qu’il avait chargé l’un de ses diplomates à Jérusalem d’annoncer que les Etats-Unis n’aimeraient pas être surpris par un bombardement israélien des installations nucléaires de la République islamique d’Iran. » Toujours selon la même source, Barack Obama ajoutait qu’avant de recevoir le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, lundi 18 mai, il l’invitait à réfléchir aux dispositions indispensables pour poursuivre les négociations avec les Palestiniens.

Bien que l’on ait assuré que c’était pour Obama une façon de mettre en condition un hôte mal disposé, c’est une histoire énorme. Cela signifie, tout d’abord, que le président français, et donc tous les chefs d’Etat intéressés, étaient informés de la « surprise » que pourrait causer Israël dans les jours prochains. Cela signifie aussi que la stratégie d’indépendance et de défi mise au point depuis très longtemps par les gouvernements israéliens et le Likoud washingtonien à l’égard de leur grand allié domine plus que jamais le comportement des responsables de la politique israélienne.

Le rappel de plusieurs événements aide à comprendre cet affrontement entre Washington et Jérusalem à propos de l’Iran. Aussitôt après le discours provocateur du président iranien Mahmoud Ahmadinejad à Genève lors de la conférence dite Durban II, la rumeur de l’imminence d’une riposte israélienne a été si insistante qu’un porte-parole de la Maison-Blanche a tranquillement mais fermement assuré que les Etats-Unis gardaient l’espoir de négociations pacifiques avec les Iraniens. C’était le premier acte de dissuasion d’Obama.

Le second a eu lieu lorsque le vice-président américain Joe Biden, recevant les principales organisations juives, leur avait déclaré : « Je vais vous dire quelque chose qui va vous déplaire : les Etats-Unis tiennent à ce que cesse l’installation de nouvelles colonies, à ce que soient démantelées les anciennes, à ce que soient repris les pourparlers devant conduire à la création d’un Etat palestinien. » Lorsque ses interlocuteurs ont évoqué le danger iranien et l’aide constante que le Hamas recevait d’Ahmadinejad, le vice-président aurait répondu plutôt sèchement : « C’est une autre affaire et nous nous en occupons. »

Le fait est que Barack Obama avait réussi à faire voter par le Congrès une loi permettant une aide considérable à l’Autorité palestinienne, dût-ce celle-ci arriver à intégrer le Hamas dans un gouvernement d’union nationale.

Le troisième acte a été enfin asséné lorsqu’un conseiller d’Obama a évoqué publiquement la nécessité, pour Israël, de signer lui aussi le Traité de non-prolifération nucléaire. Or Israël n’a jamais voulu se comporter comme s’il était une puissance nucléaire aussi redoutable que les autres dans la région.

D’autre part, Hillary Clinton, qui avait, sous la pression d’Israël, fixé une date (une année) à partir de laquelle la main tendue aux Iraniens se refermerait, a cru bon de souligner que l’alliance indispensable pour contenir la menace iranienne devrait inclure obligatoirement des partenaires arabes et musulmans, et donc passer par une paix au Proche-Orient. Si l’on ajoute à cela la pression nouvelle de la Russie, de la Chine, de l’Union européenne et enfin du pape en faveur des Palestiniens, on peut deviner les difficultés de Netanyahu devant Obama.

Les Israéliens ont, certes, des arguments en faveur d’une intervention militaire. On ne peut pas exiger d’eux qu’ils restent indifférents aux menaces prononcées par un chef d’Etat en exercice contre leur sécurité et contre leur existence même. Les Israéliens disent ne pas pouvoir attendre tranquillement que l’Iran ait mis au point un armement nucléaire. D’autre part, une intervention de leur part aurait le soutien secret, ou discret, de plusieurs Etats arabes dits modérés qui se sentent menacés par l’expansionnisme chiite et perse.

La tentation d’une attaque préventive contre l’Iran apparaît plus grande encore depuis que les objectifs de la coalition au pouvoir à Jérusalem autour de Netanyahu, de son ministre des Affaires étrangères et des partis religieux sont connus. Contrairement à l’opinion de la majorité des Israéliens, qu’elle est supposée représenter, cette coalition refuse purement et simplement la solution d’un Etat palestinien, avec un retour aux frontières de 1967 et, surtout, un partage de Jérusalem.

Le moyen le plus sûr d’éluder la pression internationale en faveur d’un Etat palestinien, c’est de déclencher une intervention militaire contre l’Iran, et cela sans attendre l’issue des élections iraniennes qui auront lieu le 12 juin prochain et qui pourraient donner un successeur plus raisonnable à Mahmoud Ahmadinejad.

Autre atout israélien, enfin : les Russes ne verraient que des avantages à un conflit avec l’Iran qui renforcerait, au moins pendant un certain temps, leur position de fournisseurs de pétrole.

Tout cela se déroule à un moment où l’opposition intérieure au président des Etats-Unis commence à se structurer. Philippe Boulet-Gercourt nous a, la semaine dernière, alertés avec précision sur l’opposition des banquiers, tout à fait déculpabilisés désormais vis-à-vis de la politique financière de Barack Obama. Et l’on assiste aussi au retour vindicatif et agressif de Dick Cheney, hier encore accusé de tous les maux consécutifs au désastre irakien et à l’influence donnée aux néo-conservateurs, et qui, désormais, voit l’heure venue de mobiliser les républicains contre les ouvertures jugées désordonnées et dangereuses de la politique étrangère d’Obama. Si l’on ajoute que le lobby en faveur de l’avortement se déchaîne en ce moment, on peut déduire que les cent prochains jours de l’homme historique seront moins faciles que les cent premiers.

J.D.

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