La situation des droits de l’homme s’est « globalement détériorée en 2009 au Maroc, bien que le pays ait conservé une société civile dynamique et une presse indépendante ». Ironie du calendrier, le 27 janvier, le jour où l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch (HRW) publiait un rapport critique mais nuancé sur le royaume, des huissiers posaient des scellés à l’entrée du Journal hebdomadaire, condamnant à une fin certaine le magazine d’actualité le plus célèbre du royaume.
« Je suis sans illusion. C’est la fin », commente Aboubakeur Jamaï, l’un des fondateurs et actionnaires de l’hebdomadaire. « Le Journal est condamné à mort », constate l’un de ses anciens directeurs, Ali Amar.
L’intervention des huissiers n’est pas une surprise. Le 25 janvier, la justice avait ordonné la liquidation judiciaire de Trimedia, la société éditrice du magazine, à la suite du non-paiement de dettes auprès de la Sécurité sociale, de l’administration des impôts et de banques. « Le montant des dettes dépasse 5 millions de dirhams (l’équivalent de 450 000 euros) », observe l’un des avocats de l’administration marocaine dans l’affaire, Me Abdelkebir Tabih.
Sans contester la réalité de l’ardoise (et des erreurs de gestion), les responsables du Journal sont convaincus que, derrière les créanciers réclamant leur dû, se cachent des conseillers du roi Mohammed VI décidés à faire taire définitivement un hebdomadaire trop critique.
« En 2009, un accord avait été trouvé avec la Sécurité sociale pour un remboursement étalé de nos dettes, assure M. Jamaï. La situation économique du Journal commençait à s’améliorer. La publicité revenait. Mais, subitement, les annonceurs nous ont boycottés à la demande de conseillers du palais royal. C’était signer notre arrêt de mort. »
Editoriaux au vitriol
Le fait est que Le Journal n’a jamais fait preuve de complaisance avec le pouvoir. Lancé avec peu de moyens en 1997, deux ans avant la fin du règne de feu Hassan II sur fond de libéralisation de la monarchie, l’hebdomadaire allait symboliser, bien au-delà des frontières du royaume, ce « printemps marocain » – n’hésitant pas, par exemple, à donner la parole au chef du Front Polisario, Mohamed Abdelaziz, l’ennemi numéro un du royaume.
Si le succès fut au rendez-vous (jusqu’à 50.000 exemplaires vendus pour certaines couvertures), il n’allait pas durer.
Un ton intransigeant et volontiers donneur de leçons, des éditoriaux au vitriol contre le palais royal et l’affairisme qui y régnerait aujourd’hui ont valu au journal, outre des démêlés avec la justice, de voir s’éloigner les annonceurs et une bonne partie du lectorat. Il y a longtemps que Le Journal a perdu le titre de numéro un des hebdomadaires de la presse francophone.
Vendredi 29 janvier, les comptes en banque d’Aboubakeur Jamaï et d’Ali Amar ont été saisis par la justice. « Ils peuvent nous jeter en prison. Je m’attends à tout », lâche M. Jamaï, lauréat en 2003 du Prix international pour la liberté de la presse.
Jean-Pierre Tuquoi
LeMonde.fr