Cartographie du rôle des puissances étrangères en Afrique de l’Ouest et au Sahel

Redaction

Suite à une relative marginalisation de l’Afrique consécutive à la chute du mur de Berlin, nous assistons, depuis le début du XXIème siècle, à un reclassement stratégique du continent, tendance pouvant s’inscrire dans le long terme. L’Afrique entend désormais ne plus subir mais agir ou du moins faire entendre sa voix. Acteur sur un échiquier planétaire en profonde reconfiguration, le continent africain se cherche et aspire à construire sa modernité et son identité selon des cheminements pluriels.

Dans ce contexte, l’Afrique, riche en ressources énergétiques et minérales, est au cœur des grandes manœuvres politiques, économiques et militaires des grandes puissances : le jeu de « Go » est ouvert. En plus des anciennes métropoles coloniales et des Etats-Unis, de nouveaux acteurs (Chine, Inde, Japon, Russie, Brésil, UE, Iran, pays du Golfe, etc.) déploient des stratégies de positionnement et de prise de contrôle des richesses et des services aboutissant à une exacerbation des rivalités. Parallèlement, certaines puissances africaines moyennes et des liens sud-sud émergent à travers une relative structuration du continent. Ainsi, en 2009, plusieurs zones de libre-échange sud-sud ont émergé, « l’Afrique esquissant des marchés communs avec l’Amérique Latine et l’Asie afin de compenser la paralysie des négociations menées à l’OMC dans le cadre du cycle de Doha et l’atonie économique des pays du nord ».

L’Afrique, continent riche en ressources énergétiques et du sous-sol, fait l’objet de toutes les convoitises. Les acteurs traditionnels, les anciennes puissances coloniales, se redéployent dans leurs zones d’influence, concurremment avec les puissances émergentes (Chine, Inde, Brésil, etc.) désireuses de sécuriser leurs approvisionnements en matières premières sensibles, suite à la raréfaction à l’échelle mondiale de ces ressources. Cette orientation se traduit également par un renforcement du rôle des pays pétroliers en Afrique de l’Ouest, notamment de l’Iran et de l’Arabie Saoudite et par la possibilité offerte aux pays africains de surmonter le face à face contraignant avec les anciennes métropoles coloniales en diversifiant leurs partenaires (jouer des rivalités par des surenchères offrant de nouvelles marges de manœuvre) et en déployant de fortes politiques d’attraction des investissements.

Les enjeux majeurs de présence

Ces enjeux sont divers et varient selon les besoins des acteurs extérieurs. Néanmoins, ils se résument principalement aux :

* Richesses du sous-sol, notamment pétrole (environ 10% de la production mondiale) ;

* Uranium compte tenu de ses applications civiles et potentiellement militaires ;

* Produits miniers divers : diamant, bauxite en Guinée, etc.

L’attrait des terres est peu présent en Afrique de l’Ouest mis à part au Mali à travers les rizières de l’Office du Niger. Ce service public est chargé de l’administration de la zone rizicole du delta intérieur du fleuve Niger (environ 2 millions d’hectares de terres arables) à travers l’encadrement de l’activité de plus de 56.000 paysans. Sénégal, Arabie-Saoudite mais surtout Libye convoitent ces terres. A titre illustratif, les Libyens ont engagé des fonds significatifs suite à la signature d’un bail de 50 ans leur permettant l’aménagement de 100.000 hectares de terres irrigables en mesure de produire 200.000 tonnes de riz hybride par an.

Vers une classification des puissances extérieures

En 1990, Joseph Nye (Secrétaire adjoint à la défense dans l’administration Clinton en 1994-1995) propose une lecture renouvelée des expressions de la puissance américaine, en distinguant « hard power » et « soft power ». Selon cette analyse, le « hard power », combinaison de moyens politiques, institutionnels, stratégiques, économiques et militaires, consiste à imposer, par la coercition, par la force, par le conflit si nécessaire, sa volonté aux autres acteurs. Le « soft power » renvoie au contraire à la capacité d’atteindre des objectifs internationaux par l’adhésion plutôt que par la contrainte, en usant de moyens pacifiques. Le « soft power » implique la capacité des autorités politiques et diplomatiques à susciter par la séduction l’adhésion de la communauté internationale à son propre agenda.

Les puissances extérieures se positionnent en Afrique de l’Ouest et au Sahel selon une gamme combinant une multitude d’instruments de la puissance.

La France et les Etats-Unis, puissances « hard »

En Afrique de l’Ouest et au Sahel, la France, en tant qu’ancienne puissance coloniale et compte tenu de ses liens historiques avec cette partie du continent, dispose de tous les instruments de la puissance en développant une stratégie d’influence politique, économique (circuits économiques rôdés depuis des décennies), militaire, religieuse, culturelle et linguistique à travers l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). En ce sens, elle apparaît en tant que « hard power » disposant de tous les attributs de la puissance, notamment militaire, en dépit du redéploiement de son dispositif militaire dans la région conformément aux orientations dégagées par le livre Blanc sur la défense et la sécurité intérieure de 2008 (récent choix de la base de Libreville en tant que point d’appui central en Afrique de l’Ouest avec un allégement de sa présence militaire au Sénégal : plateforme régionale de coopération avec réduction d’effectifs). Ainsi, la France se repositionne en Afrique de l’Ouest en adoptant une posture que nous pourrions qualifier comme « en retrait » privilégiant ostensiblement une européanisation et une africanisation de sa stratégie. La finalité est de privilégier une formation des forces en attente de l’UA destinée au maintien de la paix et ainsi permettre aux Africains de monter progressivement en puissance et d’édifier leur futur système de sécurité collective. Néanmoins, l’équation est plus complexe : le redéploiement de la présence militaire française en Afrique tout en découlant de choix et de contraintes budgétaires vise à maintenir l’influence française et à sécuriser les intérêts économiques et stratégiques de la France en Afrique.

Cette position doit être relativisée dans une certaine mesure compte tenu de son assise historique. En effet, tout en relevant de la puissance « hard » en Afrique de l’Ouest, elle développe, à la différence de tous les autres acteurs extérieurs, un soft power singulier prévalant sur tous ses rivaux. La France est solidement enracinée pour une longue durée et continue d’exercer une domination culturelle par la langue et la formation des élites. Dans ce cadre, Paris se positionne en tant que principal acteur extérieur en mesure de peser significativement sur l’avenir de la région.

L’Afrique, délaissée au lendemain de la Guerre froide, est redevenue en l’espace de quelques années un enjeu majeur de la politique étrangère américaine. Les Etats-Unis, compte tenu de leur stratégie à l’égard de l’Afrique de l’Ouest, apparaissent incontestablement en tant qu’autre puissance « hard » dans la région. Cette stratégie s’appuie sur une vaste gamme de leviers économiques, politiques, culturels, religieux (influence des églises évangélistes, notamment en Côte d’Ivoire, etc.) et militaires visant à contrer la présence chinoise, à sécuriser leurs approvisionnements en pétrole en provenance du Golfe de Guinée et en matières premières sensibles (présence régulière de bâtiments de la Sixième flotte et volonté de construire une base maritime permanente à Sao Tomé et Principe) et à lutter contre l’enracinement du terrorisme, du trafic de drogue et de la piraterie dans la région. En effet, une étude du FMI sur l’émergence du golfe de Guinée au sein de l’économie mondiale estime que les « pays producteurs d’Afrique de l’Ouest engendreront entre 2002 et 2019, sur la base d’un baril à 25 dollars (projection basse), 350 milliards de dollars de revenus pétroliers, c’est-à-dire plus que le PIB actuel de la Russie ». Dans ce contexte, les Etats-Unis, aspirant à importer 25% de leur pétrole à l’horizon 2020 contre 15 % actuellement (supplantant ainsi en volume les importations pétrolières en provenance du Golfe Persique), déploient des dispositifs diplomatiques et militaires visant à contrôler la manne pétrolière et à peser sur l’avenir de cette région. La volonté d’installer l’Africom traduit cet état de fait. Le PTLCT (Partenariat Trans-saharien de Lutte Contre le Terrorisme) en est également une illustration.

Le TSCTP ou PTLCT constitue un Mobile Training Team (MTT) d’environ 350 militaires provenant du premier bataillon du 10e Special Force Group (Airborne) de Stuttgart, du 352e Special Operations Group basé à Mildenhall (GB), du 86e Contingency Response Group de Ramstein (Allemagne) et de l’US Marine Corps Europe de Stuttgart. Les militaires des forces spéciales, basés à Bamako, Gao, Tombouctou et Atar, assurent la formation des personnels militaires et de police aux techniques de lutte contre le terrorisme. Les cours sont dispensés en français, en arabe, en touareg, en sonrai et en tamashek. Ce programme ne se limite pas à la formation militaire mais s’étend également à l’assistance humanitaire avec des antennes médicales au nord du Mali, du Niger et du Tchad avec pour objectif de fidéliser les populations et d’interdire ainsi aux terroristes d’y trouver refuge. Dans le cadre de cette initiative sont organisés périodiquement les exercices dits « Flintlock » visant à renforcer les capacités des forces armées locales.

Dans ce cadre, l’opération Enduring Freedom Trans Sahara dont relèvent les exercices Flintlock constitue le volet armé du Trans Sahara Counter Terror Program du Département d’Etat américain. Plus précisément, les exercices Flintlock sont organisés conjointement par l’Africom et le Special Operations Command Africa (Socafrica) afin de mobiliser les pays du TSCTP.

A titre illustratif, les exercices Flintlock 2007 ont mobilisé 350 militaires américains et d’autres venus de France mais aussi de 13 pays du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Ces exercices « visent à renforcer les capacités d’action commune, unifier les systèmes de commandement et perfectionner la communication interarmées » (mise en place d’une cellule de coordination multinationale permettant l’échange de renseignements et la planification d’opérations ciblant une menace terroriste régionale). Du 3 au 22 mai 2010 se sont déroulé en Afrique de l’Ouest et au Sahel les exercices « Flintlock 2010 » impliquant les armées de 16 pays africains (Burkina Faso, du Mali, du Niger, de la Mauritanie, du Sénégal, du Nigéria, du Tchad, de la Tunisie, etc.), européens et des USA et combinant simulations et coordination par la mise en place d’un Centre de Coordination Multinational (MCC) au Burkina Faso, opérations sur le terrain (notamment au Mali), stages de formation académique et actions civilo-militaires (ACM) afin de dynamiser le dialogue multilatéral et favoriser l’interopérabilité des armées africaines. En ce sens, selon la lettre TTU en date du 26 mai 2010, un manuel de planification commun a été élaboré afin de « combler les lacunes des pays africains dans le domaine du renseignement, des communications, de la logistique et du commandement ». Différentes manœuvres ont eu lieu : tenue de checks points, patrouilles longue distance, planification d’opérations, etc., l’objectif étant le renforcement des capacités des armées africaines dans la lutte contre le terrorisme et les trafics affectant significativement la stabilité de la bande sahélo-saharienne. Selon un colonel américain sur place : « jamais nous n’avions atteint un tel degré d’intégration au niveau tactique ».[ii] Les exercices Flintlock 2010 ont mobilisé 1200 militaires dont 500 membres des forces spéciales américaines, 400 militaires africains et 150 européens. Les Etats-Unis ont déployé « deux hélicoptères, deux unités de forces spéciales et différents types d’aéronefs dont un Dash 8, 2 C-130 et 4 voilures fixes dont deux à décollage court ».

Le TSCTP se décline également à un niveau bilatéral à travers des exercices militaires bilatéraux et des aides ou livraisons d’armements ciblées. A titre illustratif, les Etats-Unis ont livré dans ce cadre le 20 octobre 2009, à titre de don à l’armée malienne, 43 pick-up Land Cruiser adaptés aux spécificités du territoire malien, des tenues militaires et du matériel technique et de communication sophistiqué de dernière génération pour un montant évalué à 4,5 millions de dollars[iii]. Ce matériel est destiné à renforcer les capacités de l’armée malienne à lutter contre le terrorisme, le banditisme et les trafics illégaux au nord du pays.

Par ailleurs, afin de limiter le leadership d’Alger jugé problématique dans la gestion des questions sécuritaires au Sahel (plan de Tamanrasset des 12 et 13 avril 2010, etc.) car relevant d’une logique hégémonique, les Etats-Unis ont mené au mois d’avril 2010 leurs propres opérations militaires avec le Maroc (African Lion), pays ayant le statut d’allié sûr, et fourni en 2009, au titre de la coopération (intelligence, surveillance et reconnaissance), une aide militaire à la Tunisie s’élevant à 8,8 millions de dollars. L’Algérie affectée d’un coefficient de méfiance, cette position vise probablement à relativiser son poids dans la région, à sauvegarder un droit de regard et de contrôle sur les opérations militaires menées et à protéger leurs intérêts stratégiques et économiques.

La Chine, à la croisée du hard et du soft

L’Afrique est devenue aujourd’hui une direction essentielle de la projection mondiale de la Chine. Pékin déploie une diplomatie, notamment commerciale, très active à l’égard du continent africain, bousculant et redessinant peu à peu la carte des influences traditionnelles « occidentales » sur fond de lutte pour le contrôle des gisements pétroliers avérés ou potentiels. En effet, la Chine réinvestit massivement le continent africain en s’appuyant sur la rhétorique tiers-mondiste de lutte contre « tous les impérialismes ». 130.000 Chinois seraient actuellement installés en Afrique, essentiellement au Zimbabwe, au Nigeria, en Angola, au Soudan et en République de Guinée. Les Etats-Unis fortement implantés au Moyen-Orient et contrôlant par voie de conséquence la dépendance énergétique de la puissance chinoise, incitent cette dernière à diversifier ses sources d’approvisionnement en pétrole. L’Afrique Occidentale, notamment le Golfe de Guinée, lui offre une telle opportunité.

Outre la volonté de marginaliser Taiwan, la stratégie africaine de la Chine s’inscrit dans le cadre plus large d’une stratégie de contournement et d’affaiblissement des puissances occidentales et principalement des USA, « dans une situation internationale décrite à Pékin comme complexe, c’est-à-dire, pour décoder la terminologie officielle, peu favorable aux intérêts chinois ». Dans ce contexte, en dynamisant le dialogue Sud-Sud et en l’instrumentalisant afin de bien souligner sa spécificité, la Chine joue de son double statut de pays en développement et de grande puissance.

La politique africaine de la Chine veut se distinguer par l’accent officiellement mis sur « le respect des intérêts des pays africains en opposition au modèle néocolonialiste traditionnel ». Le Livre Blanc sur la politique africaine de la Chine publié pour la première fois en janvier 2006 précise : « la Chine œuvre à établir et à développer un nouveau type de partenariat stratégique marqué par l’égalité et la confiance mutuelle sur le plan politique, la coopération dans un esprit gagnant-gagnant sur le plan économique ».

Conformément aux principes généraux de la coexistence pacifique réitérés lors du premier sommet Chine-Afrique en 2000, il s’agit pour Pékin « de développer les échanges en multipliant les visites de haut niveau qui soulignent l’importance de l’Afrique, d’accroître l’aide chinoise sans condition politique, de pousser la communauté internationale à augmenter son soutien et de défendre le rôle de l’Afrique sur la scène internationale ».Le stock des investissements chinois sur le continent, de l’ordre de 17,6 milliards de dollars en 2006, devraient atteindre les 72 milliards en 2011.

Cette stratégie concerne tout particulièrement des Etats marginalisés à qui la Chine offre un partenariat stratégique fondé sur le respect sourcilleux de la non-ingérence, le rejet de toute légitimité morale de l’Occident par la mise en avant du concept de spécificité des valeurs opposé à l’universalisme des principes occidentaux, une assistance militaire et financière, etc.

Cette stratégie rencontre un écho auprès de nombreux pays africains, dont certains recèlent un potentiel pétrolier significatif : le Soudan, l’Angola, le Nigeria, le Gabon, le Cameroun, le Tchad (nouvelle cible de Pékin) etc. En 2005, Robert Mugabe, président du Zimbabwe s’exprimait en ces termes : « il nous faut nous tourner vers l’Est, là où le soleil se lève ».

Ces principes ont à nouveau été affirmés par le premier ministre chinois le 8 novembre 2009 lors de la tenue en Egypte du quatrième Forum Chine-Afrique. Selon la feuille de route dégagée pour la période 2009-2012, 10 milliards de dollars de prêts seront accordés à l’Afrique démontrant ainsi l’importance stratégique et économique du continent.

Dans ce cadre global, la politique chinoise s’appuie à des degrés divers, en Afrique de l’Ouest et au Sahel, sur le soft power (économique et politique) sans négliger la dimension hard, notamment par la livraison de matériel militaire. En ce sens, la Chine fournit des hélicoptères au Mali, à l’Angola et au Ghana, de l’artillerie légère et des véhicules blindés à la quasi-totalité des pays de la région, ainsi que des camions militaires, des uniformes, du matériel de communication, etc. L’offre chinoise colle étroitement aux besoins des forces armées locales. Par ailleurs, la diaspora chinoise présente en Afrique de l’Ouest offre à la Chine, à travers ses réseaux, des leviers d’influence renforcés par la dissémination des instituts Confucius (dimension culturelle). Enfin, à un horizon prospectif non identifié, compte tenu des intérêts stratégiques en présence et d’une éventuelle exacerbation des rivalités relativement à l’approvisionnement en pétrole, une implication de la Chine sur les plans sécuritaires dans la région n’est pas à exclure pouvant se traduire par l’émergence de nouveaux jeux d’alliances.

Les autres acteurs extérieurs

S’agissant du Royaume-Uni, sa politique présente de nombreuses similitudes avec la France se traduisant par une posture de retrait et de normalisation en s’appuyant sur le Commonwealth et la formation militaire.

L’UE cherche à peser sur la région mais son action est entravée par les rivalités larvées entre ses Etats membres. Il en résulte une faible présence en Afrique de l’Ouest dans le domaine sécuritaire. Son rôle se résume en réalité à l’influence de certains Etats européens bénéficiant d’une sphère d’influence dans la région du fait de leur passé colonial. La France, à travers son soutien au régime du Président Deby au Tchad, illustre cette tendance. Néanmoins, l’opération de l’UE menée dans la région sahélienne, à savoir l’EUFOR Tchad-RCA, manifeste un intérêt direct de l’Europe. En effet, pour la première fois, l’UE projette le 15 mars 2008 pour une durée d’un an une force militaire significative (environ 3300 hommes) « à partir de rien, au milieu de nulle part et dans des conditions géographiques extrêmes » avec pour mandat onusien d’assurer la sécurité des réfugiés et du personnel humanitaire tout en demeurant neutre vis-à-vis des différents belligérants.

Les puissances du monde arabe s’appuient largement sur les leviers économiques (investissements : exemple Dubaï investissant dans le domaine portuaire) et religieux (notamment l’Arabie Saoudite à travers le Wahhabisme et les madrasas). En effet, au sein du monde sunnite, une poussée réformiste de tendance sunnite hanbalite, souvent néo-wahhabite, stigmatise le sunnisme malékite des confréries de l’islam noir traditionnel. Dans ce cadre, toutes les grandes sources de l’islam radical se positionnent peu à peu au sein des pays sahéliens en s’appuyant sur leur légitimité spirituelle et historique. Par ailleurs, ces nouvelles forces, de nature trans-étatique tout en étant pilotées par les États moteurs de l’islamisme radical, Arabie Saoudite, Pakistan, Iran et Soudan, interagissent avec les forces islamiques autochtones, les confréries, et ceci de manière propre à chaque pays. Ces forces, en apparence nouvelles, ne sont que la traduction contemporaine du combat que se livrent depuis des siècles les puissances occidentales et les civilisations concurrentes. Aujourd’hui la Libye, le Qatar, l’Iran, le Pakistan, l’Arabie saoudite, etc. tentent de reconquérir les positions économiques et politiques qu’occupaient les pays islamiques avant le début de la colonisation européenne et cela au détriment des puissances occidentales.

L’Iran joue un rôle croissant dans la région : diplomatie active le long de la bande sahélienne en s’appuyant sur les communautés chiites notamment en Mauritanie, au Sénégal, au Mali, au Soudan, etc. avec la volonté de s’ériger en modèle. Certains gouvernements sont prêts à accueillir des universités et des écoles financées par Téhéran afin de pallier aux carences de leurs systèmes éducatifs offrant ainsi à l’Iran un levier idéologique. Parallèlement, nous assistons à la mise en place progressive d’une diplomatie secrète pouvant s’appuyer sur des commandos dormants des services secrets iraniens, sur des membres du Hezbollah et sur des sympathisants pro-Hezbollah (notamment au sein de l’importante diaspora libanaise) visant à contrer les Etats-Unis. En effet, traditionnellement présent en Afrique de l’Est et aux abords de la mer Rouge, l’Iran aspire désormais à peser en Afrique de l’Ouest et sur la façade atlantique du continent afin de se ménager un levier de négociation avec les Etats-Unis. A titre illustratif, la situation au Nigeria est jugée alarmante par des experts américains en renseignement et en sécurité, l’Iran finançant des conversions et tentant d’exporter la révolution islamique en soutenant des milices privées.

Relativement à la Russie, il convient de mettre en exergue l’offensive diplomatique russe à l’égard du continent africain visant à contrer le jeu de puissances rivales telles que les Etats-Unis, la Chine, etc. A l’image de la Chine, la Russie cherche à exploiter les « failles occidentales » afin de consolider sa présence et son influence. Moscou renforce cette présence et cette influence essentiellement au Nigéria afin de peser sur le futur gazoduc Transsaharan Gas Pipeline (TSGP), également dénommé Nigal. Ce gazoduc, reliant Warri au Nigeria à Beni Saf en Algérie et devant entrer en exploitation en 2016, va se traduire par de profonds bouleversements géopolitiques de l’espace sahélien et d’un point de vue proprement russe, pourrait offrir à l’UE un levier lui permettant de relativiser sa dépendance à l’égard du gaz russe. En signant en juillet 2009 un contrat de 2,5 milliards de dollars d’investissements dans la joint venture Nigaz avec la NNPC nigériane (Nigerian National Petroleum Corporation), Gazprom accède à la septième réserve mondiale de gaz et prends de revers les pays de l’UE.

sraël se repositionne sensiblement en Afrique de l’Ouest et au Sahel afin de contrer le jeu des puissances arabes et de l’Iran. Sa politique s’appuie sur des leviers divers comme les ventes d’armes pour le Nigeria et la Centrafrique, la coopération agricole visant à transférer des technologies modernes comme au Burkina Faso, des sociétés de sécurité privée comme Global CST en Guinée dont les activités militaires, politiques et économiques sont très controversées.

L’Inde amplifie sa présence en Afrique mais essentiellement en Afrique de l’Est. New Delhi fonde sa stratégie sur la diffusion et la démocratisation, à travers des partenariats publics-privés, des nouvelles technologies de l’information (NTIC) en Afrique afin de concurrencer la Chine, la Russie, etc. Néanmoins, les Indiens avancent progressivement leurs pions en Afrique de l’Ouest dans les domaines minier, pétrolier, la construction, l’assemblage de véhicules (groupe Tata au Sénégal), etc.

En dépit de rivalités et de stratégies divergentes, la volonté de sécurisation semble prévaloir afin de renforcer la stabilité dans la région. Ainsi, le développement d’activités économiques dans le contexte géopolitique le plus favorable à tous semble constituer un facteur de convergence. Cette orientation est prise en charge dans une certaine mesure par les organisations régionales et continentales. Néanmoins, il convient de souligner la forte « sismicité géopolitique de la région », « la conflictualité intrinsèque de cet espace étant instrumentalisée par de multiples ingérences étrangères poursuivant des objectifs divers et concurrents ». En effet, la complexité des acteurs et la réversibilité des alliances fragilisent les équilibres régionaux et favorisent le risque de multiplication de crises et de conflits : une forte incertitude caractérise la région.

Mehdi Taje, Expert en géopolitique et en méthodologies de la prospective et de l’anticipation.
realpolitik.tv

Ecoutez l’interview de Mehdi Taje, accordé à Algerie-Focus.Com : La place de l’Algérie dans la bataille géopolitique entre les Etats-Unis et la Chine. Entretien avec Mehdi Taje, expert en géopolitique

[i] Alain FAUJAS, « Relations internationales : Et si l’union faisait la force ? », Jeune Afrique, Hors-Série N°24, L’Etat de l’Afrique en 2010, pp.31-32.

[ii] TTU, 26 mai 2010, pp2.

[iii] Source L’Indépendant, 21 octobre 2009.

[iv]Pascal AIRAULT, « Sud-sud, la ruée vers l’Afrique», Jeune Afrique, Hors-Série N°24, L’Etat de l’Afrique en 2010, p.60.