Par Rabah Ghezali
Parmi les nombreux pays qui ont soutenu les rebelles libyens dans leurs luttes contre le vieux despote Mouammar Kadhafi, le Qatar a été un partenaire particulièrement décisif. Cet émirat a, en effet, été le premier pays arabe à reconnaître le gouvernement rebelle de Benghazi : le Conseil National de Transition. De plus, Doha a vendu du pétrole libyen pour le compte des rebelles afin de contourner les sanctions internationales imposées à Tripoli et leur a fourni du gaz, du carburant ainsi que des millions de dollars d’aide. Al-Jazira a de surcroit accordé aux événements de Libye une couverture médiatique bien supérieure à d’autres pays de la région qui eux aussi connaissaient leur Printemps.
Les initiatives du Qatar par rapport à la Libye apparaissent en ligne avec le comportement récent de Doha sur la scène internationale. En effet, depuis le milieu des années 1990, le Qatar poursuit une politique étrangère activiste, grâce notamment à ses importantes ressources financières. Le fait que cet Etat ne représente pas une menace pour ses voisins, tout comme ses compétences de médiateur lui ont permis d’intervenir dans certains conflits par le passé, particulièrement au Moyen-Orient.
Pourtant, l’étendue de l’aide apportée par le Qatar à la Libye a surpris bon nombre d’analystes notamment quand, en mars, Doha a envoyé six avions de combat Mirage destinés à se joindre aux opérations aériennes de l’OTAN. En sus des avions de chasse, les forces spéciales du Qatar aurait également participé à la formation des combattants rebelles libyens dans les montagnes de Nafusa, à l’ouest de Tripoli et dans l’Est. Lors de l’assaut final du 24 août sur Bab al-Aziziya, les forces spéciales du Qatar ont été vues sur la ligne de front.
Cette implication militaire a marqué un changement qualitatif majeur dans la politique étrangère du Qatar dans la mesure où il rompt avec l’un des aspects traditionnels de la diplomatie qatarie qui offrait ses bons offices dans les conflits internes de la région -comme dans le cas de la crise politique au Liban en 2008 ou lors des affrontements récents entre le gouvernement yéménite et les rebelles houthiste. Le comportement autrefois très prudent du Qatar semble aujourd’hui bien loin.
La raison principale de cette rupture ne réside pas dans les allées du pouvoir de Doha, mais plutôt dans les particularités de la situation libyenne. En effet du fait de sa taille modeste et de la domination exercée par les Etats les plus vastes de la région, le Qatar ne dispose pas des ressorts nécessaires pour prétendre intervenir de façon unilatérale dans un conflit.
A l’inverse, le Qatar doit bénéficier du soutien et de la permission de la communauté internationale, ce qui fut le cas avec la résolution des Nations-Unies imposant des zones d’exclusion aérienne en Libye. C’est sur la base de cette résolution que Doha a pu justifier de son intervention auprès des forces de l’OTAN au nom de la protection de la population civile menacée par l’armée de Kadhafi. De plus, en mars, la Ligue arabe reconnut les forces rebelles et prit la décision sans précédent d’offrir son soutien à l’action de l’OTAN destinée à faire respecter ces espaces contre les forces de Kadhafi. Cet alignement inhabituel des intérêts régionaux et internationaux ont permis à Doha d’intervenir directement en Libye. Ailleurs, les réalités géopolitiques interdisent au Qatar d’agir seul. A ce titre, il est instructif de comparer la Libye avec la Syrie où l’absence de consensus régional et international empêche la diplomatie qatarie de se déployer.
Si les aspects financiers semblent avoir peu influé sur la décision du Qatar d’intervenir dans la crise libyenne, Doha va certainement bénéficier économiquement de l’ère post-Kadhafi après le soutien montré aux ex-rebelles. Le Qatar se verra certainement octroyer un certains nombres de contrats de reconstruction, particulièrement dans le secteur énergétique. Plus encore que ces avantages matériels, Doha apparaît désormais comme un allié de poids pour Paris, Londres et Washington dans la cadre du « printemps arabe ». Les mouvements d’opposition dans certains pays arabes pourraient également voir en Doha un soutien précieux dans le cadre de leurs luttes contre les régimes de la région.
Au travers de son intervention en Libye, le Qatar a renforcé son rôle de pont entre le monde arabe et les pays occidentaux. Mais la Libye pourrait rester un cas isolé en raison des conditions spéciales qui ont permis au Qatar d’y intervenir directement au côté des rebelles et des forces de l’OTAN. De plus, en dépit de leurs succès en Libye, les dirigeants du Qatar sont peu susceptibles d’oublier que, malgré sa nouvelle aura diplomatique et son poids économique, le Qatar reste un petit pays situé dans une zone à grand danger.
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Rabah Ghezali est économiste et juriste. Il est membre fondateur du Transatlantic Network 2020 (TN 2020). Il écrit pour le Huffington Post, CNN Global Public Square et contribue au magasine européen E!Sharp. Spécialiste de la relation transatlantique, il a également écrit pour Talking Transatlantic. Rabah Ghezali est membre fondateur du Transatlantic Network 2020 (TN 2020). Il enseigne également l’économie à Sciences-Po Paris et a été expert pour le German Marshall Fund of the United States. Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, Rabah Ghezali est agrégé de l’Université en Economie. Il est également diplômé des universités d’Oxford et de Cambridge.