Algériens exilés ou nés en France de parents immigrés, ils essaient tous de préserver ces traditions qui viennent de l’autre côté de la Méditerranée. Parfois, la distance éloigne, les coutumes évoluent, la vie quotidienne se calque sur le rythme français, mais le Ramadhan et les deux fêtes de l’Aïd restent toujours des moments privilégiés. Des moments où les traditions algériennes et régionales resurgissent.
« L’Aïd, c’est un peu comme Noël »
Grande réunion familiale, dimension spirituelle et religieuse, mets raffinés, gâteaux et petits présents pour les enfants : les mêmes ingrédients semblent composer la fête chrétienne et la fête musulmane. C’est en tout cas la remarque que se font Anaïs et Myriama, résidentes en région parisienne. Spontanément les deux étudiantes de 18 et 23 ans précisent chacune en souriant que « l’Aïd c’est un peu comme Noël ! ». La comparaison peut fait sourire ou surprendre. Elle parait pourtant logique lorsque l’on sait que ces deux jeunes filles d’origine algérienne ont grandi au sein d’une société de tradition chrétienne où Noël est la fête de référence. Celle pendant laquelle une grande partie des Français partagent des moments en famille et mijotent des plats traditionnels.
Et si un point fait consensus au sein de la communauté algérienne résidant en France, c’est bien la dimension familiale de l’Aïd El Fitr. « J’adore ce jour, c’est toujours très convivial », précise Myriama. Pour que la convivialité soit au rendez-vous, la plupart des familles algériennes ont un lieu de référence. « Le point de ralliement c’est chez mes parents », explique, quant à lui, Karim, un père de famille de 45 ans. « Ma mère prépare à manger. Chacun passe quand il veut pour s’attabler devant une assiette de couscous, mes frères et sœurs et moi on se croise là-bas. Mais certains n’arrivent que vers 17 ou 18 heures car ils travaillent et ne réussissent pas toujours à prendre un jour de congé », ajoute-t-il. Anaïs est âgée de 18 ans et cela fait autant d’années qu’elle passe la première journée de l’Aïd el fitr chez ses grands-parents. « Ce sont le noyau dur de notre famille. C’est toujours chez eux que l’on se réunit le jour de l’Aïd. On y va pour partager le repas du midi puis on y reste l’après-midi », raconte la jeune fille.
Mais, particularité des Algériens vivant en France, beaucoup passent la journée de l’Aïd avec une seule partie de leur famille. « Il n’y a que la famille de ma mère qui vient chez nous. Toute la famille de mon père est au bled », précise Fatiha, 22 ans. « Du coup, une fois qu’il a accueilli les visiteurs du matin, mon père se rend au call-box pour appeler l’Algérie et il y reste un moment », ajoute la jeune fille qui habite à Roubaix, dans le nord de la France. Quant à Karim, il explique que ses oncles paternels vivent à l’autre bout de la France et que l’un d’eux réside en Algérie : « Je les vois pendant les mariages, mais jamais le jour de l’Aïd ».
La prière : le pilier de cette fête
« Allez prier en famille, avec vos parents, vos frères et sœurs et vos enfants. Faites le chemin en groupe pour aller à la mosquée afin que vos voisins Français vous voient et, qu’ainsi, ils se rendent compte que l’aïd est une fête familiale, que l’on prie en famille ». Tels sont les conseils professés par un Cheikh la veille de l’Aïd El Fitr sur la radio communautaire du nord de la France, Pastel FM. De tels recommandations peuvent étonner, notamment celui qui vit dans un pays musulman et n’a pas ce genre de préoccupation en tête. Dans le contexte actuel de la France, il est évident que le Cheikh fait implicitement référence au climat d’islamophobie. Il veut, en quelque sorte, que les musulmans montrent qu’ils sont « gentils », qu’ils pratiquent leur religion en famille et ne sont donc pas un danger pour la société.
En tout cas, la prière de l’Aïd reste pour un certain nombre d’Algériens de France une tradition très importante. « Une bonne partie de ma famille se rend à la mosquée le jour de l’Aïd », raconte Myriama. Quant à Anaïs, elle se réjouit car cette année c’est la première fois qu’elle va effectuer la prière de l’Aïd El Fitr. « J’ai commencé à faire la Salat, il y a seulement un an », précise-t-elle.
En Algérie comme ailleurs, les mosquées sont un lieu de prière, de générosité et de communion. En France, elles sont aussi un lieu d’échange et de rencontres entre les différentes communautés musulmanes. Le jour de l’Aïd El Fitr, du côté des femmes, les boubous côtoient des djellabas dans le plus pur style marocain, des jilbebs, des robes noires ou blanches, des salwar kameez pakistanais ou encore des tuniques européennes et des pantalons larges. Chacune, selon son pays d’origine, vient vêtue de ses plus beaux vêtements.
L’art culinaire au service du partage
Certaines femmes, toutefois, ne se rendent jamais à la mosquée pour la prière de l’Aïd. « On n’a pas le temps ! », s’exclame Fatiha, « des invités arrivent dès le matin, on doit être là pour les accueillir. Et surtout on doit finir de préparer le repas du midi ». En cette journée qui marque la fin de Ramadhan, la nourriture tient en effet une place de choix.
La préparation d’un repas traditionnel est un rite essentiel pour tous les Algériens. Dans de nombreuses familles, le couscous est roi le jour de l’Aïd El Fitr. Mais pour d’autres, c’est surtout l’occasion idéale de mettre à l’honneur les mets régionaux. « On prépare toujours de la Chahchoukha », affirme Fatiha, « c’est une tradition qui vient de la ville de ma mère, Bousaâda ». Myriama, qui est originaire de Bougarra et Setif, raconte que chez elle on prépare des plats traditionnels algériens et des plats kabyles. « Par exemple du tibourkabine (des boulettes de semoule en sauce, du lham lehlou (tajine de viande aux pruneaux), du felfel… Et des gâteaux bien sûr ! ».
Gâteaux traditionnels ou recettes innovantes, les pâtisseries sont reines en ce jour et demandent plusieurs jours de préparation. Le mot d’ordre est le partage. Avec la famille, les autres Algériens du quartier, les autres communautés musulmanes, mais aussi ceux qui ne fêtent pas l’Aïd. « Comme on vit en France, on apporte des gâteaux à nos amis et nos voisins, même ceux qui ne sont pas musulmans », précise Karim avec un large sourire. Les voisins et les professeurs à l’école ou au collège sont bien souvent les plus gâtés en pâtisseries. Et si les douceurs de l’Aïd étaient une manière d’apaiser les tensions qui existent parfois entre les communautés en France ?