On la savait endémique dans le secteur public, elle est aussi bien ancrée dans le privé : il s’agit de la corruption. Et pour cause, la publication des conclusions de la dernière enquête de Transparency International portant sur le secteur privé au Maroc donne un verdict sans appel : le Maroc a un niveau de corruption supérieur à la moyenne puisque son score est de 4,1, dépassant la moyenne pour les 30 pays étudiés qui est de 3,3, alors que 55 % des entreprises marocaines interrogées ont admis que c’est une pratique très courante au Maroc. Transparency International en déduit une banalisation culturelle de la corruption au Maroc. A-t-elle raison ?
Du point de vue économique, la corruption comme n’importe quel comportement, est le fruit d’incitations. Or, ces dernières sont conditionnées par les institutions : toutes les règles formelles (Constitution, lois, réglementations, contrats…) et informelles (normes sociales, conventions, coutumes, culture,…) qui guident les conduites et encadrent les interactions individuelles. Cela signifierait alors que le problème de corruption est institutionnel dans le sens où la culture relève des institutions informelles.
Cette nuance est primordiale dans le sens où la « banalisation culturelle » de la corruption au Maroc ne doit pas être interprétée comme une valeur ou relevant intrinsèquement de la mentalité des marocains. S’il s’agissait d’une valeur intrinsèque aux marocains, alors pourquoi même les pays européens n’y échappent-ils pas ? Et ce, d’autant que la religion composante essentielle de la culture marocaine condamne la corruption. L’origine du comportement de corruption est à chercher donc du coté des règles juridiques et économiques implicites ou explicites qui encadrent les relations entre l’administration et le citoyen, d’une part, et l’administration et l’entrepreneur, d’autre part.
En effet, avec des institutions encourageant le trafic d’influence, le népotisme, le favoritisme, le comportement de corruption devient plus rentable aux yeux des citoyens et entrepreneurs que le respect des droits des autres, de la loi et de l’effort productif.
De même, l’observation faite par les citoyens ordinaires et des petits entrepreneurs qu’au sommet de l’État, accéder à un marché, à un poste de haute responsabilité est une affaire de connaissance, de pots-de-vin, envoie un signal clair aux citoyens que c’est la stratégie qui paye, les encourageant ainsi à imiter les rentiers : un comportement déviant devient alors socialement normal. Et l’imitation sociale fait le reste, en rendant des comportements socialement déviants soient acceptés et deviennent normalisés. Donc, il n’y a pas qu’un seul, mais deux types de corruption. La première, appelons-la volontaire, intervient quand un usager ou un manager exige un service qui n’est pas de son droit, qui n’est pas conforme à la loi ou veut obtenir un privilège indu. Il s’agit alors d’un comportement déviant et l’approche répressive est pertinente.
Toutefois, il y a un second type de corruption dans laquelle le citoyen ou l’entrepreneur est contraint de graisser la patte au fonctionnaire pour accéder à ses droits, les faire valoir ou essayer d’accélérer des procédures pénalisantes en termes de temps et d’argent. Nous sommes alors en présence d’une « corruption forcée ». Celle-ci est induite par la complexité des procédures et des lois, l’interposition des agents de l’État entre les entrepreneurs et leurs marchés, la concentration du pouvoir, l’absence de méritocratie dans les recrutements, etc. Cette corruption forcée résulte de l’existence d’institutions formelles de mauvaise qualité, car organisant les relations entre les individus non pas sur une base de méritocratie, d’efficacité, mais sur la base de filiation, d’allégeance politique et de copinage. Des institutions qui dressent des obstacles devant les citoyens et les entrepreneurs et qui les incitent à payer pour pouvoir les contourner. Leur but seulement est de retrouver leur liberté confisquée par l’abus de pouvoir et l’arbitraire.
La négligence de cette corruption forcée explique la non effectivité des efforts étatiques de lutte contre la corruption jusqu’à présent. D’ailleurs, le score moyen du Maroc durant les dix dernières années, ne s’est pas écarté de 3,4, symbole d’une corruption endémique.
En conséquence, lutter efficacement contre la corruption doit se fonder sur deux approches complémentaires. La première visant la corruption volontaire en la rendant trop coûteuse non seulement par le biais de sanctions pécuniaires, pénales, mais aussi sociales via la diffusion des noms de contrevenants dans les différents médias (ostracisme). La seconde doit s’attaquer à la corruption forcée à travers un changement institutionnel visant la réduction du poids de l’État car plus il y d’interventionnisme étatique, plus il y a des opportunités pour la corruption. Aussi, il est impératif de simplifier les procédures, lutter contre la complexité législative, combattre la concentration des pouvoirs, limiter le pouvoir discrétionnaire, renforcer les contrôles et la transparence.
Finalement, poser la problématique de la corruption en termes culturel est dangereux à deux égards, d’une part, car en légitimant une sorte de déterminisme social on justifie la résignation et le fatalisme. Et d’autre part, en ignorant le caractère forcé de la corruption au Maroc, on passe à coté de la racine du mal. N’en déplaise aux membres de TI, au Maroc comme partout ailleurs, on ne nait pas corrompu ou corrupteur, on le devient…
Hicham El Moussaoui est analyste sur www.libreafrique.org.
Cet article a été initialement publié sur www.libreafrique.org