Crise au Mali, l’Algérie face à un dilemme

Redaction

Face à la détérioration de la situation dans le Nord-Mali, l’Algérie se retrouve chaque jour un peu plus face à un choix cornélien. Celui de favoriser une intervention ou de l’empêcher en prônant le dialogue.

Le Nord-Mali est entre les mains de MUJAO et d'AQMI

Depuis le début de la crise il y a un peu plus de quatre mois, l’Algérie par la voix de sa diplomatie officielle avance l’option du dialogue et de la concertation, sans pour autant en obtenir écho. Face à la volonté d’intervention militaire toujours plus grande des pays de la CEDEAO et de l’Union Africaine, le risque pour le pays est de se retrouver totalement isolé de la scène sur laquelle il a sa place.

Le pays s’est imposé un principe concernant ses relations internationales, que cela concerne un pays voisin ou lointain, celui de non ingérence. Lors de l’intervention militaire en Libye, l’Algérie était restée en dehors et avait invité les puissances étrangères à ne pas s’ingérer dans les affaires du peuple souverain libyen. Position par ailleurs identique à celle de la Chine, de la Russie ou de l’Inde. Tout interventionnisme chez le voisin malien impliquerait de facto une remise en cause totale de cette position diplomatique qui a, par le passé, parfois coûté cher à l’Algérie.

Mais d’autres raisons bien moins diplomatiques existent, en premier lieu les conséquences qu’une intervention armée supposerait.

Une intervention risquée sur un territoire immense

La zone aux mains des diverses factions terroristes, le MUJAO, AQMI, soutenues par Ansar Eddine, est extrêmement vaste. Elle s’étend sur plus de 800 000 km2 ce qui équivaut à un tiers du territoire algérien.

Manœuvrer sur une zone de cette ampleur est difficile, et représente un certain nombre d’obstacles. D’autant qu’une intervention militaire nécessiterait ensuite une mission de sécurisation de la zone.

La CEDEAO dispose d’un contingent de 3000 hommes. Force militaire qui pourrait être triplée si nécessaire. Néanmoins mobiliser un peu moins de 10 000 hommes pour un territoire vaste comme cinq fois la Tunisie est un pari risqué.

Une intervention serait très longue et s’étendrait sur plusieurs années. Les milices armées qui contrôlent la zone connaissent très bien le nord du Mali et savent que les possibilités de se camoufler sont très importantes. D’autant qu’elles mettraient en place une guérilla bien plus difficile à combattre que s’il s’agissait d’une guerre classique.

Devant ce risque de « somalisation » de la région, l’Algérie considère qu’il faut à tout prix éviter de se lancer dans une aventure guerrière à ses frontières.

Un conflit à ses portes aurait de toutes évidences une incidence sur son propre territoire. Entre réfugiés et attaques… Car en permettant une intervention ou en y participant elle s’exposerait à une tentative de déstabilisation de la part des nombreux groupes armés terroristes de la région.

L’expérience libyenne est pour Alger un exemple flagrant des risques encourus. Si Mouammar Kadhafi a été mis à terre, l’intervention étrangère a laissé derrière elle un pays en proie à la division et aux revendications tribales. Certaines zones sont contrôlées par des milices et le pouvoir central ne dispose pas des prérogatives auxquelles il pourrait prétendre.

C’est d’ailleurs l’intervention en Libye qui a permit à AQMI et au MUJAO de se procurer un stock d’armes très conséquent, qui sert aujourd’hui à imposer la loi dans les territoires maliens conquis.

L’Algérie marche sur un champ miné

Sa volonté de non intervention se heurte aux pressions de la communauté internationale et en particulier de la France. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères français qui a pressé son homologue algérien Mourad Medelci, s’est vu infligé une fin de non recevoir concernant l’intervention.

L’Algérie qui se veut être un médiateur incontournable dans la crise malienne se retrouve écartelée. Négocier avec les terroristes est inenvisageable, tout comme négocier avec les Touaregs. La négociation avec les membres du MNLA qui revendiquent le territoire de l’Azawad est pourtant une voie souhaitée par beaucoup de pays de la zone…

Mais si Alger soutenait la rébellion Touareg malienne, elle ouvrirait immédiatement le champ aux revendications de la part des 40 000 Touaregs qui vivent sur son territoire.

Le pays ne peut fermer les yeux et ignorer ce qui se passe à sa frontière. Car outre le Mali c’est toute la zone sahélienne qui est concernée et qui risque une déstabilisation conséquente.

On reprocherait alors à l’Algérie de ne pas avoir souhaité intervenir et d’être en partie responsable du chaos, chose que la diplomatie algérienne ne peut pas se permettre. D’autant que cela ouvrirait la zone aux puissances occidentales qui justifieraient une ingérence par l’incapacité des pays concernés à gérer la situation.

Pour le moment Alger garde la ligne qu’elle s’est fixée depuis le départ, la solution politique… D’autant que certaines données pourraient compter dans les prochaines semaines…

À commencer par la situation en Mauritanie ou les contestations contre le Président Mohamed Ould Abdel Aziz s’amplifient, ce qui pourrait ajouter une inconnue supplémentaire à cette difficile équation malienne.

Antoine Mokrane