Crise systémique : le trou noir

Redaction

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Gilles BONAFI, économiste financier ( Paris France)

Nous sommes plusieurs à insister lourdement, nous ne sommes pas en 1929, c’est bien plus grave ! Il s’agit ici d’une crise systémique, un système de captation du capital par quelques-uns, basé sur la consommation à partir de dettes et donc, parler seulement de dettes revient à occulter le problème de la consommation. Or, il faut le rappeler, sans consommation il n’y a pas de travail. De plus, l’histoire nous apprend que ce n’est pas en 1929 que la crise a touché le fond mais en 1932 soit 3 ans plus tard. Nous sommes très peu à informer sur l’ampleur du désastre (Paul Jorion, le LEAP, l’économiste algérien Abderrahmane Mebtoul qui est souvent intervenu sur ce sujet sur le plan international moi même ou Pierre Jovanovic entre autres). Stiglitz, Krugman et Roubini avaient peut-être prévu la crise mais sont passés à côté de son ampleur. Le LEAP parle de 3 vagues scélérates, il faudrait plutôt parler de tsunami. Voici donc un petit tour d’horizon qui devrait vous éclairer.

Le 24 juin 2009, « Lepoint.fr » indiquait que les exportations japonaises ont baissé de 40,9 % sur un an. Le commerce mondial est sinistré et l’on assiste à l’effondrement du secteur du transport maritime (- 21 %) et du fret aérien (-28 %) : FOCUS/Panalpina en baisse après résultats semestriels. Pour le secteur aérien, on est au bord du gouffre (voir le blog de Pierre Jovanovic : www.jovanovic.com, à ce sujet) avec selon l’ IATA (l’Association internationale du transport aérien) une baisse de 16,5% pour le fret et de 7,2% pour les passagers en juin par rapport à l’an dernier et donc neuf milliards de dollars de pertes estimées pour 2009. Si l’on prend en compte, les accidents récents (impact psychologique), la hausse du carburant, la grippe et l’aggravation de la crise, il faudra multiplier par 3, voire 4 ce chiffre.

De très nombreuses faillites sont pour bientôt, ce que j’avais annoncé l’année dernière, le 23 octobre 2008 dans mon article Cessation de paiement. L’industrie automobile est dans un état encore pire. Par exemple aux USA, les ventes de voitures se sont effondrées en juin 2009 : Ford: – 10,9 %, General Motors: – 33,6 %, Toyota: – 31,9 %, Chrysler: – 42 %, Honda: – 29,5 % – Nissan: – 23,1 %. Bien sûr, le calendrier a été repoussé de quelques mois car on a injecté dans l’économie des sommes faramineuses. En effet, la Fed la (banque centrale US), le 18 mars 2009 a décidé de racheter des bons du trésor, ce qui revient à monétiser la dette, et, le 29 avril 2009, a confirmé qu’elle se portait acquéreuse de 1700 milliards de dollars soit 12,5% du PIB de titres émis par le privé et d’obligations (voir pour plus de détails ( voir http://www.federalreserve.gov/newsevents/press/monetary/20090429a.htm)

Pour les retraites, par exemple, 15 millions de britanniques n’auront pour vivre que 560 livres par mois et pour le reste de l’Europe, l’exemple Letton sera le modèle avec 20 à 30 % de baisse des pensions. Mais le pire concerne le chômage qui explose et le moment est venu de vous démontrer comment les chiffres sont tronqués. Jacques Freyssinet, économiste français né en 1937 dont les travaux font autorité sur l’emploi et le chômage a démontré que le chômage réel était plus de 1,5 fois supérieur à celui déclaré par le BIT (Bureau International du Travail) car le calcul ne tient pas compte des demandeurs d’emploi en formation, des cessations anticipées d’activité et de ceux qui sont dans l’absence de recherche d’emploi. Par exemple, en France, le chômage a augmenté de 18,7 % sur un an et l’Insee prévoit un taux de chômage de 10,5 % à la fin de l’année (9,1 % au premier trimestre) ce qui signifie, si l’on tient compte de la réalité que nous aurons un taux réel de chômage de 16 % en décembre 2009. Pour les ÉTATS-UNIS, on atteindra aussi 10,5 % et donc là aussi un taux réel de chômage de 16 % en décembre 2009.

Cette crise est donc bien une crise systémique. Selon Maurice Allais, prix Nobel d’économie en 1988 « l’économie mondiale tout entière repose aujourd’hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile. » Pour rappel, depuis 2000, la dette totale des ménages américains a augmenté de 22 %. Bernard Lietaer (qui a mis en place l’euro et spécialiste des questions monétaires) avait donné une image exacte de l’ampleur de la crise aux USA, dans son livre blanc en novembre 2008 , je cite : « l’opération de sauvetage américaine coûtera plus que la somme de toutes les activités historiques suivantes du gouvernement américain, ajustée pour l’inflation : prix de l’achat de la Louisiane , le New Deal et le Plan Marshall, les guerres de Corée, du Vietnam, la débâcle de S&L, la NASA et la course à la lune réunis. » En effet, le montant total des dérivés (des produits financiers qui lors d’une crise majeure ne valent plus rien), est évalué par la BRI (Banque des règlements internationaux) à 591 963 milliards de dollars au 30 décembre 2008, ce qui représente plus de 10 fois le PIB mondial : ( voir pour plus de détails chiffrés http://www.bis.org/statistics/derstats.htm et http://www.bis.org/statistics/otcder/dt1920a.pdf.)

Or, il faut le rappeler, les entreprises, la finance, les banques sont interconnectées et littéralement infectées par ces produits financiers que Paul Jorion nomme « les métastases ». Les premières grosses défaillances ont commencé ( Chrysler, General Motors par exemple) et nous assistons en ce moment, par effet domino, à l’implosion du système. Les sommes en jeu sont tellement énormes que tel un trou noir, elles risquent de porter un coup fatal aux emplois, aux retraites et toutes les protections sociales sans compter l’écart qui sera encore plus grand entre le Nord et le Sud touchant les pays les plus pauvres. D’ailleurs, Laurent Carroué, directeur de recherche à l’Institut français de Géopolitique, Expert du groupe Mondialisation du Centre d’Analyse Stratégique (ex Commissariat Général au Plan), en mai 2009 a estimé le coût de la crise à 103 % du PIB mondial soit 55 800 milliards de dollars.

Pour conclure je vous laisse méditer sur ces paroles de Jean-Claude Juncker Premier ministre, ministre des finances luxembourgeois, gouverneur de la Banque mondiale de 1989 à 1995 ancien gouverneur de la BERD et du FMI président actuel de l’Eurogroupe. dans une interview Der Spiegel n°52/1999 p136 : Wikipedia ou Democratie . Nu – Witte Werf januari 2000 qui résument à elles seules la façon dont les choses se passent. « D’abord nous décidons quelque chose, ensuite on le lance publiquement. Ensuite nous attendons un peu et nous regardons comment ça réagit. Si cela ne fait pas scandale ou ne provoque pas d’émeutes, parce que la plupart des gens ne se sont même pas rendus compte de ce qui a été décidé, nous continuons, pas à pas, jusqu’à ce qu’aucun retour ne soit possible… ».

Paris le 05 aout 2009 Gilles BONAFI, pour algerie-focus.com

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