De la chasse à l’homme ou le nouveau paradigme de la stratégie de puissance

Redaction

Updated on:

La mise en échec du cycle des « révoltes » dans sa variante arabe en Libye où une guerre d’agression de type néocolonial menée par des puissances au lourd passif colonial et belliqueux est en cours pour le contrôle des ressources de ce pays d’Afrique du Nord a conduit les stratèges de l’hégémonie géopolitique par l’ingénierie du chaos par le bas à revoir leur paradigme et à revenir à une approche plus conventionnelle de l’hégémonie.

Ce réalignement des objectifs s’avéra d’autant plus nécessaire pour les pays de la coalition que la guerre de l’information, assurée dans le monde Arabe par des chaînes satellitaires du Golfe arabo-persique, montre clairement ses limites en se décrédibilisant auprès des opinions arabes. Que ce soit face à l’enlisement du conflit libyen, à la résistance du gouvernement syrien ou l’ambivalence du président Yéménite, il semble bien que les méthodes utilisés jusqu’ici, on ne peut plus « révolutionnaires » puisque alliant les nouvelles technologies de l’internet à la guerre de subversion, n’aient atteint un seuil critique au-delà duquel aucune avancée n’est possible.

En Libye, les mentors de l’agression militaire contre ce pays n’ont trouvé, après bien des péripéties (changement de stratégie et adoption de trois opérations militaires en moins d’un mois) qu’une ultime solution : l’élimination physique du dirigeant libyen et si possible de toute sa descendance. D’une part, la disparition du dirigeant libyen représente aux yeux des dirigeants de la coalition la fin du blocage, voire l’enlisement du conflit et d’autre part la destruction des infrastructures de base de la Libye est un gage de futurs contrats de reconstruction au bénéfice exclusif des multinationales américaines et européennes.

Par ailleurs, il semblerait également que malgré l’accélération de la mise sur pied d’unités militaires rebelles ayant la capacité de communiquer avec des officiers de liaison de l’OTAN et leur équipement en systèmes d’armes assez élaborés pour le type de conflit en cours en Libye (missiles antichars canons sans recul, etc.) les rebelles n’auraient presque aucune chance de l’emporter sur le terrain et ce, malgré un soutien aérien tactique assuré par l’aviation de l’OTAN.
Indubitablement, ce scénario infernal qui touche également plus ou moins le Yémen et surtout la Syrie, deux autres pays arabes de l’ancien front du refus et de la résistance, se caractérise par son manque de subtilité, voire une absence totale d’imagination. Signe irrécusable du désarroi dans lequel sont plongés nombre de pays occidentaux, dont les économies sont en crise aigües, ne survivant plus que par l’émission de faux billets fiduciaires, de fraudes massives et de trafic de stupéfiants.

C’est dans ce climat morose, noirci un peu plus par les conséquences du désastre nucléaire ayant affecté trois réacteurs de la centrale nipponne de Fukushima (soumis à une censure qui ne dit pas son nom) que les États-Unis d’Amérique annoncent le 2 mai 2011 par la voix de leur président l’élimination au Pakistan du chef présumé de l’organisation fantôme connue sous le nom d’Al-Qaida, Oussama Benladen, recherché depuis 1998.

En faisant cette annonce non dénuée de calculs électoraux à propos d’une cible expirée, depuis longtemps hors des nouveaux paradigmes des relations internationales et n’ayant aucune valeur symbolique, les Etats-Unis auraient opté pour un risque certain d’alimenter les théories du complot: si, d’une part, ils tentent de justifier auprès d’une opinion interne assez crédule que cet homme a été la cause de la récession, des baisses des indices boursiers et des guerres (et de presque tous les maux du néolibéralisme), les très nombreuses zones d’ombre entourant les détails assez rocambolesques, voire invraisemblables de son élimination, l’absence d’images et par-dessus tout la déclaration selon laquelle sa dépouille aurait été jetée dans l’océan sont de nature à jeter un sérieux doute chez le plus crédule des observateurs.

En fait, cette opération psychologique est plutôt dirigée à remonter le moral des troupes et à sauvegarder l’image d’une Amérique forte, voire invincible sur tous les fronts. D’ailleurs, la secrétaire d’État US, Mme Hillary Rodham Clinton s’est empressée de discourir sur l’invincibilité de son pays tout en exhortant ses ennemis à capituler sans attendre. Curieusement, Al-Qaida, antithèse des dirigeants Arabes, aura servi les intérêts stratégiques US jusqu’au bout. D’’abord contre les soviétiques, puis en justifiant l’invasion de deux pays musulmans, voire une présence militaire dans cinq autres et enfin, remonter le moral des financiers à une période critique marquée par un déficit sans précédant des économies américaine, européenne et japonaise et l’enlisement dans trois guerres inutiles (Afghanistan/Pakistan, Irak, Libye) et la menace d’une guerre globale dont l’épicentre serait le Moyen-Orient et l’épineuse question de la survie d’Israël, dans les cinquante prochaines années. Thème majeur et principal motif sous-jacent des initiateurs des révoltes dans le monde arabe et au-delà.

Cependant, vraie ou fausse (car des experts croient que Ben Laden serait mort depuis longtemps) cette annonce ne va manquer à être utilisée contre ceux que l’Amérique a mis dans son collimateur. Parmi ces derniers, le dirigeant libyen, coupable d’avoir induit l’Occident en erreur concernant ses réserves d’or qu’il gardé chez lui en Libye au grand dam du chef de la réserve fédérale US, Bernanke, grand faussaire devant l’éternel selon un grand nombre de bloggeurs américains.

Contre toute attente, la résistance du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, que nombre d’experts s’attendaient à voir fuir en moins de trois jours, d’où la rumeur de sa prétendue fuite au Venezuela savamment répandue par la Grande Bretagne dès le début de la guerre, a radicalisé les tenants du capital transnational qui veulent désormais son élimination pure et simple, soit un assassinat. Mission confiée aux forces de l’OTAN, organisation dévoyée reconvertie depuis une décennie en bras armé des tenants de la finance transnationale, spécialisée dans les assassinats et les massacres de civils non combattants comme actuellement en Afghanistan ou jadis en Serbie et en Algérie.

La frustration des dirigeants européens et plus particulièrement des britanniques face à la résistance du gouvernement de Tripoli et sa capacité à survivre malgré ses très faibles ressources défensives s’est accentuée ces derniers jours après l’échec d’au moins treize tentatives de décapitation surprise menées par des avions de l’OTAN. Il est clair à travers les multiples déclarations bellicistes du ministre britannique des affaires étrangères (classé à droite au sein de la mouvance conservatrice) que le dirigeant libyen soit directement pris pour cible par les bombardiers de la coalition et éventuellement pas des commandos spéciaux…

Une première tentative visant l’élimination physique du colonel Kadhafi fut menée par des F-16 danois dès les premiers jours de l’offensive. Selon des sources anonymes, cette opération que Copenhague n’a ni confirmé ni démenti, aurait été ordonnée par le secrétaire général de l’OTAN en personne.

Depuis une semaine, des avions britanniques tentent avec l’appui logistique et informationnel de drones US de repérer les emplacements de tous les membres de la famille Kadhafi en vue d’une élimination physique directe. D’après un officiel d’un pays d’Europe du Sud-est parlant sous couvert d’anonymat, des Tornado italiens seraient également mobilisés à cette fin.
Quoi qu’il en soit, il est presque tout à fait certains que les appareils de l’OTAN menant des raids ciblés sur les résidences du dirigeant libyen, ont décollés de bases aériennes italiennes.

Assez étrangement, la faible performance de la coalition en Libye (d’Odyssey Dawn, l’opération est confiée par les Américains à l’OTAN sous le nom de code Unified Protector avant d’adopter un profil bas) est observée avec minutie par deux pays dans le collimateur de Washington. Pour les Nord-coréens qui ne cessent de subir, depuis l’incident de l’île de Yeonpyeong en mer jaune intervenu en novembre 2010, d’intenses provocations de la part des Sud-coréens et de leurs protecteurs américains (dont la diffusion de tracts promettant une « révolte » dans le style de celle ayant affecté des pays arabes à Pyong-yong), la situation en Libye ne fait que conforter leurs analyses et leur point de vue concernant la sauvegarde et le renforcement de leur arsenal nucléaire. Car la Libye tout comme l’Irak avant elle, font partie des pays qui avaient accepté un désarmement partiel pour se prémunir d’une agression ; les faits prouvèrent le contraire et c’est somme toute logique : dans le contexte actuel des relations internationales caractérisé par la guerre multidimensionnelle et tout azimuts, voire sans limites, tout État qui aurait le malheur de se désarmer se condamnerait de facto à une agression.

Des officiels Nord-coréens éprouvent d’énormes difficultés à comprendre comment un pays comme la Libye arrive à résister aux forces américaines et atlantiques tout en ayant à combattre une grave rébellion interne provoquée par les milieux bourgeois de la société libyenne. Des officiels chinois en contact avec la Corée du Nord font d’ailleurs état d’étranges commentaires faits par les dirigeants de ce pays sur ce qui se passe dans le monde arabe en estimant que leurs capacités n’étaient après tout pas en aussi mauvais état qu’ils ne le pensaient face à la gigantesque machine de guerre américaine.

Cependant, la Corée du Nord n’est pas le seul pays lointain qui s’intéresse de très près à la guerre libyenne ; le gouvernement de Myanmar ou l’ancienne Birmanie s’y intéresse tout autant : Dès les premiers soubresauts des révoltes arabes dans les régimes pro-américains de Tunisie et en Égypte, les autorités militaires de Myanmar ont procédé à la nomination d’un civil à la tête de l’exécutif. Cette réaction rappelle celle ayant succédé à l’invasion américaine de l’Irak en 2003 : la chute de Bagdad avait en effet conduit les autorités birmanes à transférer la capitale du littoral vers l’hinterland en plein milieu de la jungle…

Pour le voisinage régional de la Libye, l’élimination du dirigeant libyen ne pourrait avoir qu’un impact politique fort limité et la guerre civile entre les tribus libyenne, loin de s’arrêter, ne fera qu’empirer. Les franges pauvres des populations libyennes soutenant Kadhafi n’auront d’autre choix que de combattre les franges bourgeoises adhérant au néolibéralisme et au sionisme derrière la rébellion armée. Dans tous les cas, la persistance de la guerre et la mise à sac de la Libye par les pays de la coalition créera un immense vacuum étatique et sécuritaire propice à tous les dérapages, de la prolifération d’organisations terroristes transfrontalières à la guerre régionale interétatique, voire une remise en cause de l’intangibilité des frontières héritées du colonialisme.

Ce qui paraît probable est que si la Tunisie semble le pays qui souffrira le plus -et non seulement sur le plan économique- de la tourmente libyenne au cas où il aura un gouvernement n’adhérant pas au nouvel ordre mondial, ce sont l’Algérie et l’Egypte qui pourraient être menacés. Si certains dignitaires tribaux Algériens et Égyptiens évoquent ouvertement la possibilité d’aller combattre les forces de l’OTAN si jamais celles-ci interviennent au sol en Libye, il demeure incertain que ces deux pays, les plus peuplés du monde dit arabe puissent entrer dans un conflit ouvert avec l’OTAN sur le littoral libyen. Mais ils joueront certainement un rôle similaire à celui qu’ont joué la Syrie et l’Iran en Irak sous l’occupation américaine.

La chute du rempart libyen entrainera une grave perturbation de l’espace sahélien et possiblement l’installation de bases occidentales en parallèle avec des noyaux d’activisme liés au phénomène connu sous le nom d’Al-Qaida. Ces deux menaces vont heurter de front les intérêts stratégiques de l’Algérie tout en assurant une certaine conjonction entre l’espace sahélien ouest-africain avec l’espace sahélien oriental dans lequel la sécurité de l’Egypte est menacée en amont. Ce sera le prélude à la création de la fameuse ceinture de feu séparant hermétiquement l’espace géopolitique arabe du nord du reste de l’Afrique subsaharienne tout en s’assurant le contrôle de la mer rouge et de la mer d’Oman.

D’autre part, le contrôle de la Libye par un régime fantoche (monarchique ou pas) totalement affidés aux USA, la Grande Bretagne et la France, entrainera l’encerclement de l’Egypte à l’est (laquelle sera opposée à Israël au Nord-Est, au Soudan au Sud et à la Libye à l’Ouest) et l’Algérie (volatibilité au Sahel, tensions récurrente avec le Maroc et la menace libyenne)

Plus globalement, la perte de la Libye aura des conséquences pour la Russie qui y perdra un bon client en matière d’armement russe, probablement des ports d’escale en Méditerranée et des ressources pétrolières et gazières au profit de l’OTAN. Néanmoins, plus encore avec les crises libyenne et syrienne, que ce soit au niveau officiel ou à travers ses médias et ses chaînes d’information, la Russie apparaît de plus en plus comme une puissance altermondialiste offrant nettement un autre son de cloche que ceux des puissances américano-atlantiques.

L’autre grand perdant est la Chine, dont la politique africaine pourrait enregistrer son premier sérieux revers. Prélude à son écartement de l’ensemble du continent par les puissances coloniales qui voyaient d’un très mauvais œil l’implantation de la Chine en Afrique, chasse gardée des multinationales occidentales. L’abstention de la Chine lors du vote de la résolution 1970 aurait été motivée par le désir de Pékin de ménager l’Arabie Saoudite et le Qatar, mais il n’en demeure pas moins que ce faisant, ce grand pays émergeant risque fort de perdre tous les acquis qu’il a pu enregistrer jusque là en Afrique au bénéfice des puissances coloniales.

L’acharnement des milieux financiers internationaux et transnationaux à déclencher des guerres s’accroît à mesure que s’aggrave la crise dans laquelle sont plongés la plupart des pays occidentaux, Japon y compris. Va-t-on vers une troisième guerre mondiale afin de réguler et reconfigurer les structures géoéconomiques et stratégiques au profit des tenants du système dominant à l’échelle planétaire ?

En l’espace de quelques années, le paradigme de la puissance s’est considérablement transformé. Jadis, on ciblait un empire dans le cadre d’une identification manichéenne entre le bien et le mal en omettant soigneusement de personnaliser le conflit. Actuellement, on personnifie l’ensemble du conflit dans un seul homme. Cette approche dans laquelle la chasse à l’homme joue un rôle prépondérant rend caduc l’ensemble des progrès réalisés jusqu’ici en matière de droit international et viole de facto l’ensemble des coutumes du droit des gens. C’est la nouvelle face de l’hégémonie néolibérale visant non seulement l’indépendance et la spécificité culturelles des peuples mais désormais leur indépendance économique et politique.

Ce nouvel ordre néolibéral possède ses propres « valeurs » et ne tolère aucune valeur non marchande. D’où son aversion pour l’honneur, la vérité ou le courage (valeurs aristocratiques et patriarcales menaçant les fondements du marché qu’il faut éliminer au profit des nouvelles qualités consuméristes basées sur l’adhésion passionnée et irréfléchie, le mensonge et la lâcheté) ou son hostilité pour tout ce qui peut entraver sa vision du monde, réduite à une recherche effrénée et sans fin de nouveaux marchés. Ultime gage de sa survie.

Wissem Chekkat

Quitter la version mobile