La Russie a lancé cette semaine ses premières frappes sur la Syrie. Et certains commentateurs n’hésitent pas à parler du début d’une 3ème guerre mondiale. Que veut véritablement Moscou ? Affaiblir Daech ? Affaiblir l’ASL et l’opposition pro-occidentale ? Sécuriser la Syrie de Bachar El Assad ? Le conflit est complexe. Les différents camps sont dispersés. Mais derrière les belles valeurs et les drapeaux de paix se cachent les tristes intérêts des nations.
Avec la fin de plusieurs contrats d’armements avec des pays du Moyen-Orient (plus de 10 milliards de dollar), les printemps Arabes furent loin d’être une bénédiction pour la Russie. Mais la lutte contre le terrorisme islamique, pour des raisons souvent peu rationnelles, continuent d’être une priorité pour Moscou, et les nombreux partenariats stratégiques avec Alger en sont le symbole.
Tout comme les Etats-Unis, la Russie a des relations souvent paradoxales avec le Monde Arabe : la peur du terrorisme islamiste est présente, mais la volonté de supporter des régimes s’opposant ou résistant aux influences occidentales constitue aussi une des dimensions majeures de sa politique étrangère.
Dans cette perspective, quelles relations Alger entretient-il donc avec Moscou ?
Les économies des deux pays ont des similarités. L’Etat russe est moins dépendant de son pétrole que ne l’est l’Algérie, mais sa rente constitue tout de même près de 35% de son PIB. Les deux économies souffrent de la corruption, et la baisse du prix du baril pèse lourdement sur leurs monnaies respectives.
Si les accords commerciaux entre les deux pays sont limités, Mansouria Mokhefi, chercheuse à l’IFRI, relève que c’est dans les secteurs de l’énergie et de la défense que la coopération algéro-russe est la plus importante.
Alger tente progressivement de s’établir comme la puissance régionale d’Afrique du Nord, notamment face à la déstabilisation de ses pays voisins, en Tunisie, au Mali, en Lybie, et la compétition avec le Maroc intensifie ses objectifs militaires. Cette volonté rencontre celle de Moscou en termes de lutte contre le terrorisme islamique.
La politique sécuritaire de l’Algérie, avec l’augmentation des conflits autour de ses frontières, et la résurgence d’une menace terroriste sur le territoire national, l’incite en effet à augmenter sa demande d’armements, alors que plus de 80% des armes algériennes proviennent de Russie. Les premiers accords post-conflit civil datent de 2001, lorsque Poutine et Bouteflika signèrent un accord d’entente stratégique. Pour Tobias Schumacher, du Collège d’Europe, et Cristian Nitoiu, de la London School of Economics, cet accord a permis de rendre au régime algérien la légitimité internationale qu’elle avait perdu lors de la décennie noire.
La Russie avait déjà une longue histoire de collaboration avec l’Etat algérien, notamment entre les années 1960 et 1980, et cette collaboration a donc repris dans les années 2000. Les deux chercheurs mettent en avant que la Russie avait déjà l’habitude d’entraîner, occasionnellement, les forces antiterroristes algériennes, et qu’entre 2003 et 2012, « Rosoboronexport et le complexe militaire russe ont augmenté leurs ventes de plus de 10%, faisant de l’Algérie le 3ème plus grand consommateur d’armes russes ».
« Le deuxième pilier de la relation russo-algérienne est l’entente énergétique », explique Mansouria Mokhefi. Poutine exploite la dynamique entretenue grâce au commerce d’armes. Si Moscou est le partenaire privilégié d’Alger dans ce secteur, il y a une bataille plus discrète dans le domaine énergétique entre la France et la Russie. Récemment ce sont les pro-français qui se sont inclinés, notamment avec un accord algéro-russe prévoyant la construction de la première centrale nucléaire sur le sol algérien, en 2025. C’est un accord garantissant la collaboration de Rosatom, l’agence de l’Etat russe chargé de coopération énergique nucléaire, et du ministère algérien de l’énergie.
L’aspect intéressant de la relation avec Moscou est la continuité de la politique étrangère algérienne avec une longue tradition de non-alignement, car ces accords avec la Russie n’empêchent pas l’Etat algérien d’avoir d’excellents rapports avec les Etats-Unis.
Deux évènements ont changé l’image de l’Algérie aux yeux des deux grandes puissances de l’ancien monde bipolaire : la décennie noire et le 11 septembre, qui ont tous deux fait de la question sécuritaire une des priorités majeures du gouvernement algérien. Dès lors, en s’établissant fermement comme le grand pays du Maghreb en lutte contre le terrorisme islamique, l’Algérie s’est forgé une réputation qui lui vaut les amitiés de Washington et Moscou.
De plus, comme le montre la chercheuse de l’IFRI, les bonnes relations de l’Etat algérien ne s’arrêtent pas aux grandes puissances que sont la Russie et les Etats-Unis. Malgré les « je t’aime, moi non plus » constants entre la France et l’Algérie, et une certaine méfiance de l’Europe vis-à-vis de l’Etat algérien, le pays garde de bons rapports avec une majorité des pays de l’Union Européenne. Au premier semestre 2015, d’après les données du service économique régional de l’ambassade de France en Algérie, la France est le deuxième fournisseur du pays, avec une part de marché de 10.2%, derrière la Chine (16%). Dans ce même rapport de l’ambassade, on trouve donc à la première place le géant chinois, qui investit massivement en Algérie, et creuse l’écart avec les autres nations.
Son non-alignement a beaucoup d’atouts, comme le montre ses relations commerciales avec les grandes puissances actuelles. La position avec la Russie permet notamment de négocier plus facilement avec les autres puissances occidentales, et c’est une stratégie adoptée par la plupart des nations du Maghreb, qui sont souvent dans un rapport économique ambigu avec l’Occident. Néanmoins, il peut poser quelques problèmes sur le plan diplomatique, lorsque les intérêts économiques des uns entrent en conflit avec les intérêts politiques des autres, et le climat actuel au Moyen-Orient, couplé à la dégradation de la situation économique algérienne, risque à long terme de demander de jolis numéros d’équilibriste à la diplomatie économique d’Alger.
Tahar S.