Un même constat aberrant permet de comparer l’Algérie et le Maroc : la courbe inversée entre une hausse exponentielle des dépenses de l’Etat dans le domaine de l’éducation et les minces résultats en termes de performance, modernisation et pilotage stratégique du secteur[1].
Certains s’interrogent : s’agit-il d’un « échec voulu » ou le syndrome de la mauvaise gestion des réformes ? Les citoyens sensibles aux discours ambitieux sont vite désillusionnés par la réalité d’une éducation bien éloignée des paroles printanières annonçant l’instauration imminente de « l’école de demain ». Une internaute marocaine commentait avec amertume sur Facebook le dernier discours du roi « des experts compétents ont réalisé les constats et analyses nécessaires, ont rédigé des rapports proposant des solutions aux problèmes et leur procédure de mise en œuvre. Mais l’éducation n’a jamais été la priorité au Maroc.…je vous laisse deviner pourquoi ».
Cette remarque renvoie à la croyance assez répandue qu’il existe une volonté étatique de « non-développement de l’éducation » capable de contenir les germes de l’esprit critique et donc de la contestation de l’ordre établi. Le jeu subtil des régimes algérien et marocain consisterait donc à maintenir une certaine ignorance et des méthodes d’enseignement abrutissantes couplées aux médias officiels manipulateurs et favorisant l’apolitisation de la société. Mais l’objectif d’un réel développement économique et social ne peut se passer d’une réforme éducative, soulignant l’existence d’un dilemme infernal pour les autorités.
L’Algérie et le Maroc ont connu des trajectoires très différentes en matière d’éducation, la première ayant initialement mis en place un modèle de type socialiste de scolarisation massive et gratuite permettant dans un premier temps la réduction drastique du taux d’analphabétisme. Mais aujourd’hui, les deux pays se retrouvent dans une situation comparable –avec des spécificités propres- de stagnation pesante ; des bilans qualitatifs assez médiocres (redoublements/déscolarisation/chômage des diplômés) compte tenu des dépenses pharamineuses. L’Algérie a doublé ses dépenses consacrées à l’éducation entre 2000 et 2006 (passant de 224 milliards de dinars à 439 milliards)[2] tandis que l’effort financier du Maroc dans le secteur éducatif représente 5,4% du PIB en 2009 et 25% du budget de l’Etat. Si l’Algérie n’a pas encore entrepris une évaluation des politiques mises en place, le Maroc semble davantage se soucier du devenir de l’éducation nationale et miser sur la recherche et la formation de l’élite.
Performances paradoxales et inégales : un accès à l’éducation de base non-garanti pour tous mais une production scientifique significative
Le système éducatif marocain doit se poser le défi urgent de l’accès à l’éducation de base, encore très inéquitable et incomplet, les zones rurales se trouvant dans une situation d’exclusion partielle.
Les plus vulnérables restent encore en dehors du cycle primaire, tandis que l’enseignement collégial n’est guère généralisé en milieu rural comme le souligne ce rapport de l’UNESCO. Rappelons aussi que près de 40% des marocains âgés de 10 ans et plus sont toujours analphabètes, ce taux atteignant 60% en milieu rural et près de 75% chez les femmes.
Autre fait notable, le taux de scolarisation au niveau universitaire demeure faible au Maroc -seulement 11%- et a connu peu d’évolution au cours des dernières années (à titre de comparaison il était de 37,6% en 2009/2010 en Tunisie). De son côté, l’Algérie affiche de meilleures performances en termes de taux de scolarisation universitaire mais se place loin derrière le Maroc et la Tunisie en termes de production scientifique – deux fois moins importante que celle du Maroc, et 1,5 fois moins que celle de la Tunisie-, la production scientifique étant de fait révélatrice du rayonnement universitaire et scientifique d’un pays et de l’exploitation de son potentiel de recherche et d’innovation.
Le Maroc s’est démarqué positivement par sa production scientifique, ayant même été l’un des premiers pays méditerranéens à porter une attention détaillée à ses résultats de recherche comme le souligne cette analyse intéressante. Au cours des années 1990, le Maroc a enregistré une hausse considérable de sa production scientifique le hissant au 3e rang en Afrique, avant de voir cette progression ralentir depuis les années 2000. Parallèlement à ce déclin marocain, l’Algérie et la Tunisie surtout ont connu une phase de progression.
A titre de comparaison, on peut noter que la démarche marocaine diffère -au moins dans la forme- significativement de celle de l’Etat algérien : alors que l’Algérie –otage de sa bureaucratie- se maintient dans une posture de déni et de gaspillage des fonds sans se soucier des résultats, le Maroc a souhaité une « évaluation externe de son système de recherche » entre 2001 et 2003. Cette initiative a permis à de grands scientifiques européens de constater le potentiel de chercheurs que concentre le Maroc et la « croisée des chemins » qui caractérisait à ce moment là la recherche marocaine nécessitant de fait une nouvelle dynamique.
Absence de responsabilité politique à l’heure des bilan
La comparaison avec l’Algérie est éclairante sur les défis et blocages qu’ont en commun les deux voisins. L’Algérie est dotée d’un système éducatif à l’image de ses autres secteurs au grand dam des nouvelles générations: mal géré, non-coordonné, martelé à coup de « réformes » cosmétiques sans capacité de pilotage satisfaisante, sans évaluation, et victime d’un gouvernement considérant à tort que la simple injection de dinars produira par miracle excellence, créativité et qualité de l’enseignement.
Les nouvelles générations paient des deux côtés de la frontière toujours fermée le prix fort de la négligence des autorités, et cette destruction irresponsable de potentiels et ressources humaines est un drame maghrébin menaçant un développement économique et social durable mais également la démocratisation des esprits et l’essor intellectuel. Le ministre algérien de l’éducation en poste depuis 20 ans est l’incarnation de ce mal incurable : des responsables politiques qui ne rendent pas compte de leur échec et s’absoudent éternellement –parfois insolemment- de toute responsabilité ; des politiques mal évaluées ; et des générations sacrifiées. En 2012, aucun pays ne peut se « contenter » d’une simple diminution de son taux d’analphabétisme.
L’unique perspective de changement est l’ouverture d’un débat national sur la qualité de l’éducation qui doit être impérativement investi par la société civile pour forcer l’engagement d’une réforme urgente et structurelle du secteur.
[1] De manière générale, plusieurs indicateurs permettent de souligner le manque de performance des systèmes éducatifs : le taux de rendement interne (TRI) –indicateur mesurant la rentabilité de l’enseignement supérieur- est beaucoup plus faible en Afrique du Nord que dans les pays d’Amérique Latine par exemple, alors que le pourcentage d’entreprises déplorant le déficit de compétences à la sortie des études supérieures demeure élevé (environ 30% au Maroc).
[2] soit 4,34% de PIB dédié à l’éducation et 20% du budget de l’Etat
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