Egypte: La direction du PND démissionne, les tractations continuent et la mobilisation se poursuit

Redaction

Ce qu’il faut retenir de la journée de samedi…

Les manifestants de la place Tahrir sont restés mobilisés samedi au Caire tandis que la direction du parti au pouvoir, le PND, démissionnait – y compris Hosni Moubarak et son fils Gamal – et que s’engageaient des tractations intenses pour trouver une issue à la crise répondant à la fois aux revendications, soutenues par l’Occident, et au souci légaliste du pouvoir en place.

Le président égyptien, dont les contestataires exigent à cor et à cri la chute depuis le 25 janvier, mais qui entend achever son quinquennat qui expire en septembre, s’est entretenu dans la matinée avec son nouveau Premier ministre Ahmed Chafik et plusieurs autres membres de son cabinet.

Les Frères musulmans autour de la table des pourparlers

Parallèlement, le vice-président Omar Souleimane a commencé à consulter des personnalités indépendantes qui préconisent qu’il assume de facto l’essentiel du pouvoir en attendant cette échéance, ainsi que des figures de l’opposition. Même les Frères musulmans, ennemis jurés du régime Moubarak, étaient invités à ce dialogue.

Même si la puissante confrérie, parti interdit, mais toléré, et mouvement le plus structuré de l’opposition, est accusée par Moubarak de manipuler les violences qui ont fait 11 morts ces cinq derniers jours, Souleimane lui a offert de s’associer au dénouement de la crise, l’invitant à saisir cette «occasion en or».

Les Etats-Unis, allié essentiel de l’Egypte, estiment que la «transition ordonnée» qu’ils appellent de leurs voeux, imités en cela par les grands pays européens, doit débuter immédiatement. «Le statu quo est tout simplement intenable», a jugé samedi la secrétaire d’Etat Hillary Clinton devant la conférence annuelle de Munich sur la sécurité.

Washington prône le maintien de Moubarak le temps de la transition

«Les principes sont très clairs, les modalités sont très difficiles à définir», a toutefois souligné le chef de la diplomatie américaine en estimant que tous les secteurs de la société égyptienne devaient se montrer patients et contribuer à cette transition.

«Il nous faut arriver à un consensus national sur les conditions préalables à la prochaine étape. Le président doit (Moubarak) doit rester en fonctions afin de conduire ces changements», a ensuite déclaré l’émissaire du président Barack Obama en Egypte, Frank Wisner, lors de la même conférence.

Aux termes du scénario actuellement envisagé pour une telle transition, Souleimane, ancien tout-puissant chef des services de renseignement, nommé vice-président par Moubarak dès le début de la crise, le 25 janvier, se verrait attribuer l’essentiel des prérogatives du président, qui s’est avoué lui-même jeudi las de 30 ans de pouvoir.

Une telle issue – le temps de réformer la constitution et de préparer des élections libres durant le laps de temps qu’il reste à Moubarak pour purger la fin de son mandat – aurait le mérite de lui ménager la sortie digne qu’il exige, tout en satisfaisant le souci des manifestants de le voir lâcher son emprise sur le pays.

Selon Diaa Rachouane, expert indépendant du Centre d’études politiques et stratégiques Al Ahram et membre du «comité de sages» consultés par Souleimane, les manifestants de la place Tahrir sont divisés sur un tel compromis, certains rechignant au maintien de Moubarak, même à titre symbolique. Les Frères musulmans ont fait savoir que l’opposition se concertait toujours pour dégager une position commune.

L’opposition réclame une dissolution pour des élections libres

Outre les «Frères», l’opposition regroupe la Coalition nationale pour le changement de l’ex-directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et lauréat du prix Nobel de la paix Mohamed ElBaradeï, le mouvement Kefaya (Ça suffit), le parti libéral Wafd, le parti de gauche Tagammou et la Jeunesse du 6 avril, dont les cyber-activistes sont à l’origine des manifestations de la place Tahrir.

Le dialogue engagé par Souleimane, dont la télévision d’Etat a annoncé le début sans préciser quelles personnalités il avait déjà rencontrées, porte sur les modalités d’élections présidentielles libres et honnêtes. «Les consultations se poursuivent pour trouver une issue à cette crise», a simplement déclaré Rachouane.

Si l’article 139 de la constitution permet au président de déléguer ses pouvoirs au vice-président, ne conservant que des fonctions honorifiques, l’article 82 ne permet pas à ce dernier de dissoudre le parlement ou de faire procéder à des amendements constitutionnels.

Nombre de responsables de l’opposition arguent donc que les prochaines élections présidentielles ne seront pas plus honnêtes que les précédentes si elles se déroulent dans le cadre de la constitution actuelle. Ils exigent donc que le parlement soit dissous pour élire une constituante.

La direction du PND démissionne

Signe que les choses bougent quand même à la tête du régime, la direction du Parti national démocrate (PND) au pouvoir, honni par les manifestants, dont ils avaient brûlé le siège au début de leur mouvement, a démissionné samedi, y compris Hosni Moubarak et son fils Gamal Moubarak, un moment héritier présomptif du président.

Le nouveau secrétaire général du PND est Hossam Badraoui, considéré comme un membre de l’aile libérale du parti. «Cette démission a beaucoup d’importance sur le plan politique car ce parti exploitait l’Etat pour son propre intérêt», a souligné Rachouane.

«C’est important aussi parce que les gens ayant recours à la violence étaient mobilisés par le parti. Ils ne bénéficieront plus de cette protection désormais», a-t-il ajouté.

«Sauvez ce qui reste de l’Egypte»

Sur la place Tahrir, toujours noire de monde samedi, un manifestant a jugé que cette annonce ne constituait pas une victoire pour le mouvement de contestation. «C’est un truc du régime. Cela ne satisfait pas nos demandes. C’est une diversion.»

Un gradé de l’armée a tenté en vain samedi de persuader avec un porte-voix les milliers de protestataires massés sur la grande place du centre du Caire de rentrer chez eux, arguant que leur mouvement paralyse l’économie de la capitale. «Vous avez tous le droit de vous exprimer mais s’il vous plaît, sauvez ce qui reste de l’Egypte.»

Selon les Nations unies, 300 personnes ont été tuées et 5.000 autres ont été blessés en 12 jours de manifestations. Un rapport du Crédit agricole estime à 310 millions de dollars par jour le manque à gagner de la paralysie actuelle pour l’économie égyptienne.

De nombreux Egyptiens ordinaires commencent à en vouloir aux manifestants pour cet effondrement de l’Etat, de l’ordre et de l’économie depuis le 25 janvier et, en divers endroits de la capitale, des échauffourées étaient signalées entre les protestataires et des Cairotes qui tentaient de les persuader de rentrer chez eux.

20minutes