Etude. L’option militaire israélienne contre l’Iran

Redaction

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L’étude que nous vous proposons a été réalisée fin 2010 et n’a jamais été publiée dans la presse avant aujourd’hui. Elle analyse de manière exhaustive et technique l’option militaire que prépare Israël pour une probable attaque contre les installations nucléaires iraniennes, une option que l’administration Obama écarte pour le moment, mais que l’Etat hébreu maintient. Les derniers bouleversements politiques dans le monde arabe (la chute du régime Moubarak entre autres), exigent certainement une prise en considération de nouveaux éléments qui changeraient la donne, que l’étude, élaborée antérieurement, ne traite pas.

L’actualité proche orientale des derniers jours fait rappeler curieusement qu’Israël bénéficie désormais d’une marge de manœuvre stratégique pour mûrir et peut être mettre en œuvre son option militaire contre l’Iran. La décadence stratégique du monde arabe est une aubaine pour l’Etat hébreu. Il suffit juste d’évoquer le soutien implicite de certains pays de la région à l’option militaire israélienne contre la république islamique pour se rendre compte à quel point le monde arabo-musulman est fragmenté et divisé comme il le fut jadis lorsque les croisés ont pris Jérusalem en 1099 et ont crée les Etats latins d’Orient. Cette image du faible contraste avec celle des pays membres de l’Otan qui sont engagés dans le cadre d’un système de sécurité collective en vertu de l’article cinq de la charte atlantique.

A ce propos, il convient de réexaminer les plans israéliens en exploitant les études et les analyses les plus sérieuses qui ont été élaborées en Occident.

En effet, certains spécialistes militaires travaillant pour des « réservoirs de pensée » et les bras armés de lobbys et cercles influents des pays occidentaux sont parvenus à la conclusion qu’une attaque préventive des forces aériennes israéliennes contre l’Iran est une option possible tenant compte de la forte capacité de frappe d’Israël, de l’expérience de l’Etat hébreu en matière d’attaque de longue distance contre des cibles situées profondément en territoire ennemi, du nombre limité d’installations clés en Iran dont la destruction occasionnerait un préjudice irréparable au programme nucléaire de la République Islamique ainsi que de l’insuffisance des moyens de défense iraniens pouvant dissuader Tel Aviv.

Nous allons traiter ce sujet en deux volets : la rationalité de l’option militaire israélienne afin de délimiter les véritables facteurs sous-jacents qui incitent Israël à la renforcer. Puis nous allons nous pencher sur sa faisabilité tactique et technique.

La « rationalité » de l’option militaire israélienne contre l’Iran

Le programme nucléaire iranien de par son état d’avancement et son envergure est devenu un sujet de préoccupation stratégique dans les cercles dirigeants israéliens. Si l’orientation actuelle de la politique iranienne de l’Administration Obama qui est plus encline à la négociation avec le régime iranien ainsi que le délai nécessaire avant que Téhéran parvienne à fabriquer des armes nucléaires (estimée par certaines sources à 5 ans) semblent limiter aujourd’hui l’engouement des États-Unis à opter pour des frappes militaires contre les installations nucléaires iraniennes, Israël a, en revanche, plus de raisons de vouloir éliminer à brève échéance la « menace » que représentent les capacités nucléaires de Téhéran.

Plusieurs rapports font, en effet, état d’un intérêt croissant de l’Etat hébreu pour une attaque aérienne préventive pouvant anéantir le programme nucléaire iranien qui trouve sa justification, non seulement, dans les déclarations belliqueuses du Président iranien, Ahmadinejad à l’égard d’Israël et de la menace que représentent les projets nucléaires iraniens, mais aussi dans un faisceau de facteurs stratégiques et politiques qui vont au-delà de ces deux éléments.

1- La pression stratégique exercée par l’Iran sur Israël

Le revers militaire subi par l’armée israélienne au Sud-Liban devant le Hezbollah en été 2006, lequel est qualifié par Tel Aviv de « commandement occidental » des Gardiens de la Révolution, a persuadé les dirigeants israéliens que l’Iran est une « menace existentielle » pour l’Etat hébreu. Ce revers bien qu’on ne puisse honnêtement l’extrapoler en le considérant comme une « défaite militaire » (des experts américains de notoriété à l’instar de Mark Perry et d’Anthony Cordesman n’hésitent pourtant pas à employer ce terme) a toutefois bouleversé l’ensemble de l’establishment militaire et de la classe politique israélienne.

Israël n’est parvenu ni à détruire ni à affaiblir les forces militaires du Hezbollah. Son offensive aérienne ne lui a permis ni de neutraliser la majorité des bunkers, les principaux centres de commandement et les entrepôts de roquettes du « Parti de Dieu » ni de « décapiter » son état-major et son leadership politique. Les attaques à la roquette du Hezbollah se sont d’ailleurs poursuivies pendant trente-trois jours jusqu’à la fin du conflit, obligeant des milliers d’habitants du Nord d’Israël à se réfugier plus au sud.

L’Etat hébreu n’a pas non plus réussi, à l’issue de son offensive terrestre, à déloger le Hezbollah de ses positions au Sud Liban. Il a, enfin, accusé pour la première fois des pertes humaines et matérielles assez significatives (plus d’une centaine de soldats, une cinquantaine de chars et deux navires de guerre). L’après conflit n’a pas été non plus à l’avantage d’Israël puisque la résolution 1701 du Conseil de Sécurité des Nations Unies ne fait aucunement référence aux roquettes du Hezbollah et ne prévoit rien pour mettre fin à l’approvisionnement militaire du « Parti de Dieu » à partir de la Syrie.

L’échec israélien a eu un impact indéniable, non seulement, sur l’équilibre des forces dans la région mais aussi sur le statut de la puissance de dissuasion de l’Etat hébreu. Ses répercussions se sont fait sentir jusqu’à la bande de Gaza. Juste après le conflit au Sud-Liban, les responsables militaires israéliens ont révélé que les incursions militaires de « Tsahal » dans ce territoire rencontrent une résistance plus acharnée de la part des forces du Hamas qui se sont organisés en compagnies et en bataillons militaires dédiées à la protection de zones névralgiques et à des embuscades contre les troupes israéliennes. Il s’est doté en outre d’une chaîne de commandement et a tiré des roquettes sur les villes israéliennes.
Il n’est donc pas incongru de penser que l’opération « Plomb durci » contre Gaza en 2009 qui a été d’une violence inouïe et qui a coûté la vie à 3000 civils palestiniens fut le résultat de l’échec israélien devant le Hezbollah. L’Etat hébreux ne voulait pas prendre le risque de faire face à un deuxième front au Sud. Les officiers israéliens ont, d’ailleurs, imputé le renforcement de la capacité combative du Hamas à l’entraînement et à l’équipement de ses forces par l’Iran et le Hezbollah. En vérité, le parti islamiste palestinien a tiré les leçons de la dernière guerre du Liban en recourant à la même stratégie militaire employée avec succès par le Hezbollah.

Les conséquences de la deuxième guerre du Liban ont été également très négatives pour la politique de l’ancienne administration américaine dans la région qui consistait à s’appuyer sur Israël pour faire « la guerre contre le terrorisme » et affaiblir les organisations dites «terroristes » dans la région. Ce conflit a été finalement une épreuve de force par « procuration », à la fois, entre Israël et l’Iran mais ce qui est plus important encore, entre l’Iran et les États-Unis. Washington a soutenu politiquement et militairement –à travers l’envoi au plus fort des hostilités de munitions à guidage précis de l’armée américaine en Israël- les offensives de l’armée israélienne jusqu’à la fin du conflit malgré le bombardement intensif des infrastructures et les importantes pertes civiles libanaises et ce, avec un double objectif, l’un tactique : la destruction du Hezbollah et l’affaiblissement durable du Hamas, deux groupes considérés par Washington comme des organisations terroristes de manière à sécuriser Israël et dicter des conditions de paix entre Palestiniens et Israéliens qui seraient plus favorables pour les intérêts israéliens. L’autre objectif est stratégique : infliger une perte importante de prestige à l’Iran auprès de l’opinion publique arabe et disloquer son influence dans la région en la privant de son meilleur atout politico-militaire au Proche-Orient.

Ces deux objectifs n’ont pas été atteints en recourant seulement à la puissance militaire israélienne ce qui a amené les États-Unis à, d’une part, se repositionner dans la région et, d’autre part, à édifier une nouvelle « stratégie de confrontation » avec l’Iran qui ne s’appuie plus sur l’Etat hébreu. Cet échec a finalement contribué à l’effondrement de la politique de l’ancienne administration Bush au Proche Orient en amenant l’avènement d’une nouvelle administration plus prudente et plus modérée dans ces choix stratégiques. L’une des conséquences immédiates de ce bouleversement est le renoncement progressif par Washington à l’option militaire contre l’Iran.

2- La « dilution » de l’option militaire anti-iranienne de l’allié américain 

Lorsqu’elle a été interrogée sur une éventuelle option militaire de l’Administration Obama contre l’Iran, la Secrétaire d’Etat, Hillary Clinton a déclaré « que toutes les options ne sont pas sur la table ». L’orientation de la politique iranienne de cette administration repose désormais simultanément sur la négociation et la politique de sanctions et écarte toute action de nature militaire. Tandis que la Secrétaire d’Etat rassure les pays voisins de l’Iran en affirmant, lors d’une visite au Qatar, que ces derniers peuvent toujours compter sur le bouclier défensif américain, le président du collège des chefs d’état major américain, l’amiral Mike Muellen, a prévenu Tel Aviv sur les conséquences inattendues d’une attaque israélienne contre l’Iran. Les garanties sécuritaires de l’administation américaine fournies aux pays voisins de l’Iran sont révélatrices du tournant révolutionnaire dans la stratégie américaine.

Au lieu d’être offensive, cette stratégie devient défensive. Ces garanties sont de surcroit très judicieuses : alors qu’Israël dispose d’une capacité de dissuasion nucléaire de premier plan (l’Etat hébreu possède une centaine de bombes nucléaires et thermonucléaires pouvant annihiler la République Islamique), les autres pays de la région en sont dépourvus et craignent d’être des victimes expiatoires de l’Iran et de se retrouver en première ligne du conflit en cas d’attaque israélienne contre les installations nucléaires iraniennes.

En renonçant à l’option militaire contre l’Iran, l’administration Obama entend renforcer le régime des sanctions contre ce pays en exploitant les relations privilégiées entre la Chine et l’Arabie Saoudite. La Secrétaire d’Etat a tenté, lors d’une visite à Ryadh, de persuader ce pays de supplanter l’Iran comme principal fournisseur de pétrole à la Chine, au cas où de nouvelles sanctions entraîneraient l’interruption de l’approvisionnement énergétique iranien vers Pékin. Washington espère ainsi convaincre Pékin de rejoindre la coalition anti-iranienne.

Alors que rien ne garantit le succès de ces sanctions, la nouvelle stratégie américaine a plongé l’allié israélien dans l’effroi. Il se retrouve désormais seul à envisager une option militaire. Le journal israélien de gauche Haaretz a publié en février 2010 un éditorial dans lequel il avertit le gouvernement de Benjamin Netanyahu de ne pas lancer une opération aérienne contre l’Iran sans le soutien diplomatique et stratégique américain.
Un certain nombre d’observateurs en Israël ont vu dans cet éditorial, le signe de préparatifs sérieux en vue d’une attaque préventive contre la République Islamique. Désormais, Tel Aviv sait que le temps joue en sa défaveur, ce qui risque de rendre son option militaire anti-iranienne plus «radicale » et plus «imminente. »

3- Insuffisance du régime des sanctions contre l’Iran

L’Iran s’est montré très efficace à braver aussi bien les sanctions des Nations Unis que les mesures coercitives unilatérales des États-Unis. Deux récents évènements reflètent cette capacité anti-coercitive : l’alimentation en combustible nucléaire du réacteur de Bushehr par la Russie après plus d’une vingtaine d’années d’arrêt de cette installation nucléaire en dépit des mises en garde américaines et israéliennes et la décision du Brésil et de la Turquie en juin dernier de voter contre la résolution 1929 du Conseil de Sécurité des Nations Unies prévoyant des sanctions plus sévères contre l’Iran.

La réactivation, en soi, du réacteur de Bushehr ne représente pas un important risque de prolifération mais il reflète un état de fait qui a toujours prévalu pour ce qui concerne le régime des sanctions contre l’Iran : leur inefficacité. Tandis que la Secrétaire d’Etat américaine a affirmé que la position des États-Unis à l’égard du réacteur de Bushehr ne serait ouverte que si l’Iran assure à la communauté internationale qu’elle ne procédera pas à l’enrichissement de l’uranium et que sa décision de réactiver ce réacteur n’était pas due aux sanctions internationales, le président de la commission parlementaire de la sécurité Nationale et de la politique étrangère en Iran, Allaa Eddine Boroujeri a rétorqué que les questions de l’enrichissement de l’uranium et de la sécurité nationale sont étroitement liées. Ceci montre que la politique coercitive anti-iranienne ne dissuade pas le régime iranien de devenir un « proto pays nucléaire » disposant d’une capacité d’enrichissement. Une fois cette étape franchie, Téhéran vise maintenant à réactiver le petit réacteur situé non loin de la capitale iranienne. Ces pas significatifs ne sont le résultat que des sanctions occidentales qui ont toujours suscité la méfiance de la Russie et de la Chine. Cette réactivation tant attendue prouve que la Russie ne sera jamais un membre actif de la coalition internationale anti-iranienne étant donné les importants liens économiques et nucléaires qui lient ce pays à l’Etat Perse.

Quant à l’opposition du Brésil et de la Turquie aux dernières résolutions prévoyant des sanctions contre l’Iran, elle s’explique par le fait que ces deux pays n’ont pas réussi à convaincre les pays occidentaux du bien fondé de leur initiative prévoyant un échange d’uranium avec l’Iran qui a été interprétée par les Occidentaux et les Israéliens comme une manœuvre pour alléger le régime des sanctions.

De toutes les façons, les sanctions occidentales contre l’Iran n’auront pas un impact décisif ni sur l’économie iranienne, ni sur la détermination politique du régime iranien dès lors que la République islamique dispose de revenus pétroliers significatifs lui permettant de maintenir ses subventions sociales et ses politiques -dans un contexte marqué de surcroît par un renchérissement des prix du pétrole- et qu’elle avait déjà entrepris de réorienter ses flux commerciaux de l’Ouest vers l’Est.

La Chine, un membre permanent du Conseil de Sécurité, est devenue le premier partenaire commercial de l’Iran en reléguant l’Allemagne, un pays nettement engagé en faveur du système de sanctions anti-iraniens, à la deuxième place. Il est donc naturel que Pékin se rallie à la Russie pour bloquer tout renforcement des sanctions internationales.

Certains observateurs américains rappellent même que les sanctions des États-Unis n’ont jamais permis par le passé d’affaiblir et d’isoler des régimes comme ceux du Pakistan, de l’Inde, de Cuba, de la Corée du Nord, de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie-Zimbabwe. Les sanctions sont politiquement contre-productives, ils adressent toujours un mauvais signal au pays cible. Selon une étude effectuée récemment par David Lektzian et Christopher Sprecher de l’Université du Texas, elles impliquent toujours le risque d’une escalade militaire surtout lorsqu’elles sont perçues comme faibles par le pays visé, celui-ci sera alors tenté de multiplier ses provocations. Quant au pays qui sanctionne, il devra souvent compenser leur inefficience en recourant à l’escalade. De récentes analyses laissent même entendre que ce sont les sanctions qui font monter le prix du pétrole. Les dernières décisions du front occidental anti-iranien ont été rendues responsables du renchérissement du baril. Même avec un risque faible de conflit militaire, les spéculateurs et les investisseurs sont tentés d’ajouter jusqu’à 15 dollars par baril.

La faisabilité de l’option militaire israélienne contre l’Iran

Sur un plan opérationnel, Israël a tiré l’enseignement du précédant irakien avec la destruction par son aviation du réacteur nucléaire Osirak en juin 1981. Ce succès a été remporté avec un minimum d’implications politiques, peu de dommages collatéraux et sans qu’Israël ne subisse de pertes.
Depuis lors, l’Etat hébreu se tient prêt pour une tentative plus ambitieuse contre d’autres pays ennemis s’engageant à développer un programme nucléaire. Le raid réussi contre le réacteur nucléaire en construction en Syrie le 6 septembre 2007 l’atteste. Ce réacteur était sur le point d’être achevé mais n’avait pas encore été muni de combustible à l’uranium.

Par ailleurs, la thèse de nombreux observateurs, selon laquelle, la destruction du programme nucléaire iranien serait infiniment plus difficile que l’anéantissement d’Osirak n’est pas infaillible. Ces derniers mettent en doute la capacité d’Israël à retarder de manière significative le développement d’armes nucléaires en s’attaquant aux installations déjà connues. A ce propos, ils estiment que Téhéran fut parfaitement en mesure de développer un programme nucléaire clandestin et parallèle qui serait nettement plus avancé que le programme officiel supervisé par l’AIEA et que la République Islamique pouvait dissimuler aux inspections internationales. L’existence d’activités nucléaires en Iran n’a été révélée qu’en 2002, ce qui aurait signifié que les Iraniens aient pu bien avant cette date développer simultanément deux programmes nucléaires en consacrant un haut niveau de dépenses, de main d’œuvre et de dissimulation, chose difficile à croire.

A supposer qu’un tel programme clandestin avait bel est bien existé, Téhéran ne pouvait se permettre de le garder et ce devant l’état d’alerte des services de renseignement occidentaux. De cette manière, toute atteinte aux activités d’enrichissement et de conversion de l’uranium des principales installations iraniennes connues affecterait considérablement les capacités nucléaires iraniennes et seule une attaque aérienne massive pourrait en venir à bout.

1- Les cibles iraniennes : les installations nucléaires clés

Bien que les Iraniens aient tiré les leçons du raid aérien contre Osirak en dissimulant leur complexe nucléaire national, en dispersant ses composantes à travers tout le territoire (celles-ci atteindraient le nombre de 400) de manière à rendre impossible une destruction complète de l’ensemble de leurs infrastructures et en développant de manière intégrée aussi bien des capacités d’enrichissement de l’uranium, de production d’eau lourde que de reprocessing du combustible nucléaire pour la séparation du plutonium, des activités posant d’énormes risques de prolifération, il n’en demeure pas moins qu’Israël serait en mesure de retarder avec des chances de succès raisonnables le programme iranien en ciblant uniquement les sites de production de matière fissile, c’est-à-dire le combustible nucléaire militaire.

Par ailleurs, les efforts iraniens sont beaucoup plus avancés en matière d’enrichissement de l’uranium que dans le domaine de la production du plutonium, ce qui limite considérablement les cibles critiques.

Les sites iraniens clés dans la production de matière fissile sont l’usine chimique de conversion de l’uranium d’Ispahan (laquelle fournit notamment le gaz nécessaire aux centrifugeuses d’enrichissement de l’installation de Natanz au sud de Téhéran) et le complexe constitué par l’usine de production d’eau lourde et les réacteurs de plutonium en cours de construction à Arak. Quant au réacteur à eau légère de Bushehr, il n’implique pas de risques notables de prolifération dans la mesure où son combustible devra être fourni par la Russie aux termes d’un accord signé avec Téhéran.

Cependant, une destruction complète du site d’Ispahan comporte d’énormes risques de contamination chez la population d’une des plus grandes villes d’Iran. A supposer qu’Israël soit disposée à assumer ce risque, il lui reste à attendre le moment propice pour tenter un raid aérien contre l’autre site, l’usine d’enrichissement de Natanz. Il est nécessaire qu’un tel raid soit lancé avant que cette installation ne reçoive le gaz nécessaire à l’enrichissement afin d’éviter les risques de contamination. De plus, sa destruction serait inutile si elle se produit avant la réception d’un maximum de centrifugeuses.

Des milliers de ces centrifugeuses représentent un lourd investissement qu’il est très difficile de remplacer. Enfin malgré leur importance dans le dispositif de fabrication d’armes nucléaires (il est prévu que la capacité de production d’eau lourde atteigne 14 tonnes par an), les réacteurs à eau lourde en cours de construction à Arak ne représentent pas à l’heure actuelle une menace de premier plan dès lors qu’ils ne seront opérationnels qu’en 2014.

2- Les moyens militaires israéliens: une capacité de frappe aérienne de premier plan

Depuis la destruction du réacteur nucléaire irakien en 1981, l’aviation israélienne a développé considérablement ses capacités de frappe aérienne à travers l’acquisition de munitions de haute précision et d’avions de transport et d’attaque à long rayon d’action.
Israël s’est dotée notamment auprès des États-Unis d’un arsenal en bombes connues sous le nom de «bunker bustes» d’une forte pénétration pouvant être lancées de haute altitude contre des cibles au sol bien défendues. En plus des bombes de la classe PB 500AI dont elle disposait déjà, elle a annoncé, en septembre 2004, son intention d’acheter 5000 bombes de la classe BLU-109. Puis en 2005, le Pentagone informa le Congrès de la vente de 100 munitions à guidage précis par laser de la classe BLU-113. Les États-Unis ont commencé à livrer ces armes en juillet 2006 au plus fort du conflit entre Israël et le Hezbollah au Liban.

L’utilisation de ces munitions avancées est particulièrement exigée contre une cible aussi bien défendue telle que l’usine de Natanz. Celle-ci est une installation très large enfouie à 23 mètres sous le sol et elle est protégée par plusieurs couches de sacs de sable. Afin de venir à bout de ce site, les Israéliens envisagent de recourir à une technique inspirée de l’US Air Force qui l’a largement utilisée durant la première guerre du Golfe. Un ancien Commandant des forces aériennes israéliennes, le Général Eitan Ben-Elyahu (information rapportée par Jane’s Defense Weekly) a affirmé que même si une seule bombe se révèle insuffisante, il est possible de diriger d’autres bombes directement dans le trou ainsi formé par la première. De cette manière, il devient plus aisé de détruire n’importe quelle cible aussi défendue soit-elle.

Afin de remplir cette mission, les Israéliens utiliseront vraisemblablement 34 munitions de la classe BLU-113. Un nombre beaucoup plus réduit de munitions de ce type permettent, en revanche, une complète destruction de l’usine de conversion d’Ispahan puisque une grande partie de cette infrastructure n’est pas enfouie. Quant aux autres installations, elles ne présentent pas de difficultés notables dans la mesure où elles ne sont ni bien dissimulées ni bien protégées. Ainsi, des munitions de la classe BLU-109 pourront venir à bout du complexe en chantier d’Arak.

La stratégie aérienne d’Israël repose également sur le renforcement de ses capacités de frappe sur un long rayon d’action contre des cibles situées profondément en territoire adverse en diversifiant ses escadres de chasseurs-bombardiers et ses avions de ravitaillement en vol. Outre l’affaire d’Osirak, le raid de l’aviation israélienne contre le quartier général de l’OLP à Tunis en 1985 sur une distance de plus de 4 000 kilomètres est une illustration parfaite de cette évolution.

En plus des F-15 et des F-16 traditionnels, l’Etat hébreu a créé une puissante force aérienne constituée de 35 F-15I Raam et du même nombre de F-16I Soufa qui sont des variantes améliorées d’avions américains spécialement conçus pour des attaques sur une distance de départ de 1700 kilomètres. Au-delà de cette distance, ses escadres seront ravitaillées en vol. Pour remplir cette mission, l’aviation israélienne dispose d’une dizaine de KC-707 et de cinq KC-130H. Le commandement israélien a même prévu un soutien au sol de ce dispositif d’attaque en formant deux unités de forces spéciales pouvant s’infiltrer en territoire iranien avant le raid, l’une est chargée de désigner les cibles au laser afin d’assister les bombardements (Sayeret Shaldag ou Unité 5101), l’autre a pour mission de confirmer leur destruction.

Israël dispose, en outre, d’une capacité de seconde frappe grâce à plusieurs sous-marins propulsés au diesel de la classe Dolphin capables de lancer des missiles de croisière très performants comme ceux du type Harpoon, Gabriel et Popeye. Le recours à un tel armement offre, d’ailleurs, un avantage particulier pour des cibles situées non loin du Golfe Arabe comme c’est le cas du réacteur de Bushehr.

Autre élément à prendre en considération, les Israéliens ont lancé, en juin 2007, un satellite d’observation militaire de dernière génération, Ofek7, utilisant une technologie de haute précision. Ce satellite a été sans doute utilisé par les spécialistes israéliens du renseignement pour appuyer le raid sur le réacteur syrien.

Les forces aériennes israéliennes ont le choix d’emprunter trois routes possibles pour parvenir aux cibles iraniennes. La première consiste à voler au-dessus du Nord de la Méditerranée (la base de départ pourrait être Hatzerim près de Beersheba) puis à traverser la Turquie d’Ouest en Est en franchissant au départ une courte distance à travers la frontière syrienne puis en passant par l’Est d’Adana, le Sud de Dyarbakir jusqu’à la frontière iranienne près d’Orumieyh. A partir de là, l’aviation israélienne pourra atteindre Arak, Natanz et Ispahan en traversant le territoire iranien par le Sud Est. La distance totale est de 2 220 kilomètres.
Cette route présente des avantages certains comme la possibilité d’un ravitaillement en vol dans les eaux internationales de la Méditerranée, c’est-à-dire à un moment de grande vulnérabilité. Une fois le ravitaillement effectué, les avions israéliens pourraient manœuvrer contre la défense iranienne sans ce soucier du carburant. Toutefois, elle comporte des risques à la fois diplomatiques et opérationnels. Non seulement, la Turquie ne tolérera point une incursion israélienne dans son espace aérien tenant compte de la politique actuelle du gouvernement turque, mais en plus l’aviation israélienne devra passer au dessus de deux grandes bases aériennes turques (Incirlik près d’Adana et Dyarbakir) et près d’un certain nombre de bases aériennes iraniennes. Par conséquent il est fort probable que les Israéliens décideront de choisir de traverser en grande partie le territoire syrien plutôt que le turque en courant le risque limité d’une défense farouche des Syriens.

La deuxième route d’une distance de 2 160 kilomètres consiste à voler par le Sud Est à partir du Golfe d’Akaba en passant par la Jordanie près de Amman puis par l’Irak dans toute son étendue. Le ravitaillement en vol s’effectuera vraisemblablement au-dessus du territoire irakien et exigera l’approbation des Américains ainsi que celui du gouvernement irakien. Cette route permettra à l’aviation israélienne de passer moins de temps au-dessus du territoire iranien en parcourant le minimum de distance possible et ce, contrairement à la première option. Néanmoins, les avions israéliens prendront le risque de passer près des bases iraniennes non loin de la frontière irakienne là où elles sont le plus en alerte.

La dernière route s’étend sur 2 410 kilomètres et traverse le Nord de l’Arabie Saoudite d’Ouest en Est jusqu’au Golfe Arabe. A partir de là, elle oblique par le Nord Est à travers l’Iran afin d’atteindre Natanz. Les Israéliens seraient confrontés dans le cas où ils opteront pour cette route à des difficultés diplomatiques, voire militaires d’autant plus si les avions israéliens recourront à un ravitaillement en vol au moment de leur passage par le territoire saoudien. Mais il ne faut pas sous-estimer l’orientation actuelle de la politique iranienne de l’Arabie Saoudite qui serait susceptible de faire volte-face.

De toutes les manières, les difficultés auxquels feraient face les Israéliens au cours d’un tel « périple » ne sont pas insurmontables et ce, devant l’enjeu politico-sécuritaire d’une destruction complète du programme nucléaire iranien. Les risques aussi bien opérationnels que diplomatiques ne signifient pas, en outre, que la défense iranienne soit en mesure, en l’état actuel de ses moyens et de sa préparation, de dissuader les Israéliens de mener une attaque musclée contre les installations nucléaires d’autant plus que ces derniers peuvent assurer une défense des escadres aériennes durant tout le vol en consacrant des F-15 et F-16 supplémentaires, en utilisant les contre-mesures électroniques et en ajoutant davantage de munitions de réserves tenant compte de la capacité suffisante de leurs avions d’attaque.

3- L’insuffisance des moyens de défense iraniens

La réussite d’attaques aériennes contre les installations nucléaires iraniennes dépendra beaucoup des capacités de défense de l’Etat Perse. Cependant, les travaux d’Anthony Cordesman du Center for Strategic and International Studies de Washington jettent la lumière sur un certain nombre de faiblesses qui sont susceptibles de compromettre la capacité de la défense iranienne à déjouer une attaque aérienne préventive.

D’abord, il convient de rappeler que l’équipement de la défense aérienne iranienne est un vieux mélange de technologies américaine (obtenue à l’époque du Shah lorsque l’Iran était l’un des meilleurs alliés militaires des États-Unis) mais aussi russe et chinoise. Par ailleurs, l’insuffisance de la maintenance et de l’entraînement empêche la défense iranienne de rivaliser avec la puissance aérienne israélienne. L’armement iranien n’est pas, non plus, de qualité homogène puisque au-delà des intercepteurs russes MIG29, la défense anti-aérienne repose en grande partie sur des missiles sol-air d’origine américaine de type Hawk faiblement répartis sur le territoire iranien et datant des années 1970. En outre, Israël possède cet armement et a eu donc le temps de développer des contre-mesures électroniques très fiables. Téhéran a tenté à plusieurs reprises de combler ces insuffisances en cherchant à acquérir de nouveaux systèmes anti-aériens auprès de la Russie. Le résultat de ces efforts a été l’acquisition des SAM Gauntlet SA d’une portée maximale de 6 000 mètres d’altitude. Néanmoins, les forces aériennes israéliennes dédiées aux attaques de longue distance opèrent à plus de 5 000 mètres d’altitude et peuvent lancer des munitions à 10 kilomètres des cibles, ce qui les met hors de portée.

L’autre élément crucial sous-jacent à la faiblesse des capacités défensives iraniennes est le fait que les Iraniens ne sont pas parvenus jusqu’à présent à acquérir les missiles anti-aériens russes S-300 et S-400 réputés extrêmement performants en raison des réticences de Moscou. Celle-ci ne veut ni susciter le courroux de Washington ni compromettre les juteux contrats d’armement en cours de négociations avec certains pays du Golfe.

Il convient de rappeler que durant la guerre Iran-Irak, la défense anti-aérienne iranienne a été peu efficace devant l’aviation irakienne qui est largement inférieure à l’Israeli Air Force. Un autre exemple accrédite davantage cette thèse puisqu’il reflète des conditions techniques comparables à celles d’une attaque israélienne éventuelle contre l’Iran. C’est le raid américain contre la Libye en 1986 au cours duquel 34 F-111 ont opéré sur de longues distances (du Royaume-Uni jusqu’en Méditerranée). Malgré un état d’alerte maximum en Libye, les forces américaines n’ont perdu qu’un seul avion.

Conclusion

Une attaque de l’aviation israélienne contre les installations nucléaires iraniennes est non seulement possible mais réalisable. Toutefois, lorsqu’on parle de faisabilité de l’option militaire israélienne contre l’Iran, il est difficile de ne pas se limiter à des considérations purement militaires et techniques en faisant abstraction des calculs politiques du gouvernement israélien et de son allié américain, voire même des représailles iraniennes. Il est vrai qu’après le raid sur Osirak, l’Irak était impliquée dans une guerre avec l’Iran ce qui limita sa capacité de représailles contre Israël.

En revanche, avec un Irak très instable, un Hezbollah faisant la guerre par « procuration » au Liban et des prix exorbitants de pétrole, Téhéran dispose d’une capacité de représailles plus grande. Ces facteurs rendent illusoire de définir l’option militaire comme l’ultime solution à la crise de la prolifération nucléaire au Moyen Orient.
Mais c’est justement le caractère pour le moins rédhibitoire de la menace militaire israélienne, la complexité des affaires proche orientales, de l’hypocrisie latente des pays occidentaux pour tout ce qui touche les questions de prolifération nucléaire dans la région et la fragmentation stratégique du monde arabe qui font d’Israël, l’un des problèmes majeurs et peut être même existentiel de cette partie du monde.

Rafik H.