Étude : Le Remake de la politique de puissance militaire des États-Unis

Redaction

Par H.Rafik, analyste

Dans un contexte politique marqué par le retour des Républicains au Congrès, les initiatives récentes de l’Administration Obama, notamment le remplacement au poste de Secrétaire à la Défense, de M. Robert Gates par M. Panetta laissent entrevoir une vision « doctrinaire » consistant à promouvoir et à défendre une politique extensive et élargie de la « puissance militaire » des États-Unis. Cette vision passe pour devenir l’axe essentiel de la politique étrangère américaine qui est reflétée dans le Quadriennal Défense Review (QDR) de 2010.

Les éléments sous-jacents à cette vision sont le renoncement progressif à l’impératif défensif et passif de la guerre contre le terrorisme (notamment à la situation d’immobilisme de la guerre en Irak qui implique un retrait progressif des troupes américaines de ce théâtre d’opérations) et le regain d’intérêt pour une stratégie plus offensive et plus expansionniste trouvant sa traduction dans l’élargissement des missions dévolues aux forces armées américaines. Le meilleur exemple de cette transformation est la détermination des États-Unis à déployer davantage de troupes et d’opérations miliaires en Afghanistan à moyen et long terme. En d’autres termes, le Pentagone aura comme préoccupation majeure une présence militaire durable dans certains théâtres d’opérations dans le monde (comme l’Afghanistan et l’Irak) qui transcendent une victoire rapide et éclair de plus en plus incertaine sur un ennemi terroriste manifestement insaisissable.

C’est une présence militaire durable dans les zones de conflit qui permettra, selon les concepteurs de la défense au sein de l’administration américaine, de remporter la lutte anti-terroriste. Durant les premières années du conflit en Irak et en dépit des efforts consentis dans la guerre longue contre le terrorisme « Long War », les résultats ont été en deçà des attentes. Selon un rapport du Département d’Etat, le nombre d’attaques terroristes a augmenté de 25% entre 2005 et 2006 atteignant plus de 20 498 dont 45% ont été perpétrés en Irak, là où les États-Unis concentraient l’essentiel de leurs ressources.

C’est ensuite que la tactique du « sursaut » (Surge), suggérée par Entreprise Institue (Un Think Tank d’obédience néoconservatrice) à l’administration Bush, a été appliquée avec succès en Irak. Une telle tactique ne reposait pas sur une reconfiguration des forces américaines, ni sur une refonte de la stratégie de défense dans son ensemble (avec ce que cela implique comme transformation radicale des programmes d’armement) comme semble l’avoir voulu à l’époque l’ancien Secrétaire à la Défense, Rumsfeld. Elle est basée plutôt sur un renforcement de la présence des forces US dans le théâtre d’opérations irakien. Le président Obama a d’ailleurs annoncé récemment que la tactique du « Surge » va être de nouveau appliquée, mais cette fois en Afghanistan.

Par ailleurs, la lutte contre le terrorisme ne doit pas signifier aux yeux de l’establishment militaire américain un renoncement au complexe militaro-industriel hérité de la guerre froide puisque ce dernier ne néglige pas que d’autres conflits puissent éclater à tout moment (Iran, Corée du Nord) et s’efforce de prévenir que d’autres puissances périphériques comme la Chine et la Russie puissent disputer la place « hégémonique » des États-Unis.

Selon certaines sources, la Russie envisage de développer un nouveau programme de réarmement de 650 milliards de dollars à l’horizon 2020 comprenant 20 nouveaux sous-marins, dont huit nucléaires, plus de 600 avions de combat, 100 nouveaux vaisseaux de guerre et 1000 hélicoptères.

Quant à la Chine, son budget de défense pour 2011 est de 91,5 milliards de dollars, soit une hausse de 12,7% par rapport à 2010. Parallèlement à leur montée en puissance militaire, ces deux pays n’ont pas coopéré avec Washington pour autoriser l’intervention militaire contre la Libye au Conseil de Sécurité des Nations Unies et rejettent tout plan d’invasion terrestre contre ce pays.

Ces tendances stratégiques poussent les États-Unis à maintenir leurs forces armées expéditionnaires et leurs bases militaires déployées en Europe et en Asie de l’Est et à assurer une présence militaire dans des régions nouvelles comme l’Europe de l’Est et l’Afrique (afin de sécuriser l’approvisionnement en pétrole). Plus précisément, les États-Unis poursuivent la stratégie selon laquelle il est primordial de rassembler les forces nécessaires afin de dresser une capacité de dissuasion dans plus de quatre « régions critiques », à savoir l’Europe, l’Asie du Nord Est (Corée du Sud et Japon), l’Asie de l’Est (Détroit de Taiwan) ainsi qu’au Moyen Orient avec pour but d’empêcher la domination militaire de puissances rivales et d’être capable de mener deux conflits en même temps.

De plus, l’émergence de nouveaux conflits presque inattendus est un facteur qui devrait compter à l’avenir dans les calculs stratégiques de l’Administration et du Pentagone : les récents soulèvements des populations chiites dans certains pays du Golfe sont perçus par ces pays comme des tentatives de déstabilisation soutenues par l’Iran. La déclaration du Roi du Bahreïn selon laquelle les forces d’opposition dans ce pays ont bénéficié d’un entrainement par le Hezbollah incite les analystes à Washington à redouter davantage l’influence de l’Etat Perse dans le Golfe Arabe, une région riche en pétrole et de transit stratégique pour les approvisionnements énergétiques mondiaux (40% des flux énergétiques de la planète) et ou sont localisées d’importantes bases militaires américaines.

Par ailleurs, le dernier accord de paix entre le Hamas et l’OLP qui a été rendu possible grâce à la médiation égyptienne a bénéficié du soutien de l’Iran et de la Syrie, ce qui fait redouter aux États-Unis un isolement d’Israël et une projection de l’influence stratégique iranienne dans tout le Moyen Orient. Les experts américains et les titres de presse proches des milieux néoconservateurs ont pris l’exacte mesure du nouvel axe égypto-iranien.

Tous ces facteurs stratégiques devraient sans doute se traduire dans le sillage du budget de la Défense 2012 par une augmentation des troupes, la modernisation des armements grâce aux atouts technologiques, le maintien de la supériorité aérienne et de la force de dissuasion nucléaire, la projection des forces navales dans les océans et l’accès privilégié à l’espace extra-atmosphérique, ce qui nécessite un budget militaire colossal avoisinant les 693 milliards de dollars en 2010 contre 316 milliards de dollars en 2001 qui dépasse de loin celui entretenu durant la Seconde Guerre Mondiale, la Guerre Froide et le conflit du Vietnam.

Les experts du Pentagone se sont résignés à l’idée selon laquelle l’intégration dans le complexe militaire américain de nouvelles technologies dédiées spécialement à la lutte contre le terrorisme (développement des drones, multiplication des forces spéciales, renforcement des opérations anti-insurrectionnelles, recours progressif aux systèmes à hélice pour le transport et les opérations aériennes et la protection des cyberespaces) ne doit pas conduire à restructurer, ni diminuer les autres programmes d’armements plus massifs hérités de la guerre froide. Cette vision expansionniste qui est favorisée notamment par certains cercles influents au Congrès et par une alliance entre le Congrès et le Pentagone au point où on parle aujourd’hui de complexe militaro-congrès, surtout dans un contexte qui a été marqué récemment par la victoire législative des républicains, semble ne pas avoir été partagée par M. Robert Gates, l’ancien Secrétaire à la Défense, ni par son prédécesseur, M. Donald Rumsfeld. Le premier voulait supprimer purement et simplement un certain nombre de programmes coûteux comme la production de l’avion de combat de dernière génération F-22, le report de la construction de certains navires ainsi que la rationalisation du Futur Système de Combat, ce qui a tout de suite provoqué des tensions autour du budget de défense 2012.

Les systèmes d’armement les plus controversés sont représentés dans le tableau ci-dessous :

Désignation Investissement
Future Combat System Programme de modernisation élargi de l’armée de dernière génération
Joint Strike Fighter Nouvelle génération d’avions de combat pour l’Air Force, la Navy et le corps des Marines
F-22A L’acquisition de 20 nouveaux avions
Construction de navires Le développement du porte-avion de nouvelle génération CVN-21 ainsi que la construction du navire de transport amphibie LPD-17. L’objectif à long terme est la construction de 313 vaisseaux pour la Navy en 2020

Ce tableau montre la volonté de la bureaucratie militaire de maintenir les programmes d’armement coûteux hérités de la guerre froide malgré leur inadaptation aux exigences de la guerre contre le terrorisme (la guerre en Irak est l’illustration parfaite de cet état de fait, il suffit à cet égard de voir de près l’incapacité de l’armée américaine à prévenir et à lutter contre les attaques par le moyen des bombes placées dans les routes). Ils reflètent également une croyance longtemps maintenue en la puissance technologique américaine comme étant le facteur clé de la position hégémonique des États-Unis dans de nombreuses régions du monde. C’est, en outre, la garantie la plus sûre pour que l’équilibre des forces stratégiques dans le monde demeure en faveur des États-Unis et pour qu’il ne soit pas altéré à long terme dans un contexte mondial marqué par l’émergence de nouvelles puissances.

L’importance des programmes coûteux et très avancés sur le plan technologique se traduit par le fait que c’est l’US Air Force et la Navy qui occupent la première place dans les budgets d’équipement de défense durant une longue période allant de 1990 à 2010 avec des taux respectifs de 36% et 33%, alors que l’armée de terre ne représente à la même période que 16%. Ces facteurs sont globalement responsables de l’accroissement du budget de défense.

C’est l’ancien Secrétaire à la Défense, M. Rumsfeld qui a vraiment voulu initier une transition transformationnelle de la politique de défense américaine. Le dur conflit qui l’opposa à l’arrière-garde de l’establishment militaire à Washington soutenue par les néoconservateurs et les industriels marqua profondément les esprits chez les milieux de la Défense au point où le complexe militaro-Congrès ne pouvait se permettre de prendre de nouveaux risques et de permettre à M.Gates de renouveler l’expérience. Agacé par sa résistance farouche, ce dernier fut finalement amené à quitter son poste.

Le document clé qui reflétait la stratégie de M.Rumsfeld est le Quadriennal Defense Review (QDR) de 2006. En dépit du fait qu’il mettait l’accent sur les nouvelles exigences du moment pour les forces armées, à savoir la guerre contre le terrorisme (il prévoyait notamment la création d’un commandement séparé pour les forces spéciales et un rôle plus important des forces armées dans la guerre contre le terrorisme), il apportait des modifications importantes dans la politique de défense sous sa forme la plus générale. Celles-ci consistait à renoncer à un vieux concept de la période post-guerre froide, celui de la préparation de l’armée américaine à conduire simultanément « deux guerres » sur deux théâtres d’opérations et à abandonner la stratégie basée sur la « menace » et son remplacement par le concept de « capacités » en focalisant sur la manière dont les « adversaires stratégiques » des États-Unis combattent plutôt que sur les pays susceptibles précisément de représenter une menace pour les États-Unis.

Cette reconfiguration suscita particulièrement des craintes chez l’establishment militaire dans la mesure où elle risque de créer, selon eux, des besoins injustifiés par rapport à l’exigence de faire face à des ennemis réels et non à des « adversaires conjoncturels ». M.Rumsfeld était également très réfractaire à l’idée d’augmenter le nombre des troupes américaines, de développer de nouveaux armements ou de lancer de nouveaux programmes pour l’élargissement des forces navales. Cette vision a été considérée par ses adversaires au Pentagone et au Congrès comme ambiguë ne satisfaisant nullement l’objectif d’instaurer une hégémonie mondiale. En effet, les critiques du QDR de 2006 arguaient que les États-Unis ne pouvaient se permettre de négliger les autres fronts dans le monde au moment où de nouvelles exigences s’imposaient (Russie, Chine et Afrique).

Lorsqu’il s’agit de politique de défense, ce sont souvent les idées néoconservatrices qui prennent le dessus. Le meilleur exemple est le revirement idéologique du Président Obama lui-même. Lorsqu’il était Sénateur démocrate de l’Etat de l’Illinois, sa vision en matière de défense se démarquait habituellement de celle du groupe des Démocrates, qui défendent toujours le plus farouchement possible une véritable politique de puissance militaire. Par exemple, il s’était engagé, au cas où il serait élu Président, à démanteler toutes les armes nucléaires placées dans les sites vulnérables. Néanmoins, la position nucléaire des Etats-Unis aujourd’hui, n’a pas été substantiellement modifiée. Il avait également soutenu, un certain temps, une augmentation du nombre des soldats américains en proposant, lors d’un discours au Council on Global Affairs de Chicago en 2006, le chiffre de 65 000 hommes pour l’Armée et 27 000 pour les Marines. Le lancement d’un nouveau Surge militaire en Afghanistan et le niveau exorbitant du budget de la défense (700 milliards de dollars) qui ne sera pas réduit même en 2012, marque un retour révisionniste de cette administration démocrate aux idées néoconservatrices.

Au-delà de l’action habituelle des sénateurs démocrates qui sont traditionnellement les plus engagés à l’affermissement de la politique de défense américaine, à l’instar de Joe Libermann, l’actuelle Secrétaire d’Etat Mme Hillary Clinton et ancienne Sénatrice de l’Etat de New York, est habituée à des virages politiques l’amenant à soutenir progressivement le développement du bouclier anti-missiles et l’accroissement des forces armées américaines afin de bénéficier du soutien financier à sa campagne des leaders des finances, de l’industrie et des médias proches des néoconservateurs alliés au lobby pro-israélien. D’ailleurs, la revue Jewish Forward a révélé que Mme Hillary a toujours été la favorite dans la course aux donations juives.

Sur ce plan, il n’y a pas de clivage entre le groupe des démocrates et l’arrière-garde des républicains ; à l’image du Sénateur John McCain (État de l’Arizona) qui a toujours défendu un accroissement significatif des forces américaines et une posture offensive de la politique de défense.
Il existe donc un véritable soutien politique bi-partisan à la politique de renouvellement des forces, mais également au développement à une grande échelle des équipements de défense. Même avant la prise du pouvoir des démocrates au Congrès, leurs idées forces plaidaient en faveur de l’augmentation des dépenses militaires des Etats-Unis. Ces idées sont clairement reflétées dans le document intitulé « Progressive internationalism, a democratic national security strategy » qui malgré sa tonalité libérale et sa propension à faire le réquisitoire politique de l’héritage du Président Bush, affirme néanmoins « nous rejetons le reproche perpétuel de la Gauche à l’égard du fait que l’Amérique dépense beaucoup pour l’armée […] ce n’est nullement le moment de rétrécir le budget du Pentagone. »

Les Démocrates ont, de même, manifesté, juste après leur victoire aux élections de mi-terme, un intérêt pour des domaines spécifiques, là où ils avaient souhaité une augmentation sensible des dépenses militaires. Ils ont notamment adhéré en mars 2006 à un plan intitulé « Real Security ». Ce plan prévoit de sécuriser le matériel nucléaire contre un détournement des terroristes. Ils ont également affiché des réticences à réduire le nombre des têtes nucléaires de l’arsenal de dissuasion américain et à renoncer au projet de bouclier anti-missiles qui a coûté plus de 130 milliards de dollars depuis la fin de l’ère Reagan.

Par ailleurs, il existe un facteur de nature économique qui a toujours été favorable à l’augmentation des forces et plus généralement à un accroissement des dépenses militaires. Ce facteur a trait, ce qui est « paradoxal », au fait que malgré l’importance des dépenses militaires des Etats-Unis, elles ne grèvent pas substantiellement le Produit National Brut. Elles ne représentent en l’état actuel que 4% du PNB (les fonds destinés au financement des opérations en Irak et en Afghanistan inclus). Ceci n’est en rien comparable à la situation budgétaire du pays avant la guerre du Vietnam et à un degré moindre durant l’ère Reagan. En 1962, ce taux était de 9.3% et en 1986, il était de 6%. L’augmentation du budget de la défense est peu budgétivore par rapport aux dépenses de la sécurité sociale, du programme Medicare et de Medicaid qui représentent plus de 8.7% du PNB. Cette aubaine permet de hausser le budget de défense à un niveau sans précédant. De plus, les Etats-Unis pourront soutenir sa hausse annuelle sans recourir à une augmentation substantielle des taxes fédérales et en utilisant seulement les taxes sur les revenus qui augmentent automatiquement à condition que la croissance économique des Etats-Unis soit assurée, ce qui n’est pas un cas d’école dans un contexte de crise financière et économique.

Mais au plus profond de la doctrine stratégique américaine, on peut déceler les idées qui ont été professées par « The Project for the New American Century » (PNAC) autour duquel se sont regroupées, dès 1997, les plus grandes figures de l’establishment néoconservateur américain comme Dick Cheney, John Bolton, Elliott Abrams, Richard Armitage et Paul Wolfowitz. Ce groupe a jeté les bases d’un plan pour le futur de la politique de puissance militaire des Etats-Unis.

Déjà en septembre 2000, le Projet publie un document intitulé « Rebuilding America’s Defenses » dans lequel il est énoncé que « […] les États-Unis représentent la seule superpuissance mondiale, combinant leurs capacités militaires dominantes, leur leadership technologique ainsi que leur large économie » et que « la présence des forces américaines dans les régions critiques autour du monde est l’expression visible de l’extension du statut de l’Amérique comme superpuissance mondiale. » La stratégie des Etats-Unis consiste, par conséquent, à préserver et à étendre cette position avantageuse aussi loin dans le futur.

Ce rapport recommande également de nouvelles missions pour les forces armées américaines comprenant une puissance nucléaire de premier plan dotée d’armes nucléaires de nouvelle génération, des forces de combat suffisantes afin de vaincre dans plusieurs guerres ainsi que des forces supplémentaires pour ce qui est appelé les «missions de police » (constabulary missions) autour du monde qui seraient conduites sans le recours à un mandat de l’ONU (cette recommandation ouvrait la voie à toute une panoplie de concepts comme celui des attaques préemptives ainsi qu’à l’invasion de l’Irak en 2003). La mise en œuvre de cette stratégie débute dès l’accession de Dick Cheney au poste de Vice-président. Cette prise de pouvoir des néoconservateurs au sein de l’Administration Bush s’accompagne aussitôt par le retrait des Etats-Unis du Traité ABM (Anti-balistic Missiles Treaty) qui est la pierre angulaire du système de dissuasion nucléaire entre les Etats-Unis et la Russie et qui est devenue chose faite en 2000, le développement du projet de bouclier anti-missiles et l’augmentation des troupes de 25 000 hommes chaque année. Les attentats du 11 Septembre 2001 n’ont fait qu’accélérer davantage la mise en œuvre de ce plan.

Sur un plan plus géostratégique, la nature offensive des concepts militaires des États-Unis traduisent des objectifs s’inscrivant à long terme pour affermir la puissance militaire américaine et lui assurer une suprématie mondiale. Ces objectifs touchent de vastes régions mondiales :

L’« endiguement » militaro-stratégique de la Chine et de la Corée du Nord dans l’Océan Pacifique :

Les États-Unis tentent d’entraver la montée en puissance de rivaux potentiels qui seront capables dans le futur proche de rivaliser sur le plan militaire avec les États-Unis. Le pays le plus concerné par cette politique est la Chine. En effet, une étude prospective réalisée récemment par le Strategic Assessment Group du National Intelligence Council prévoit que la Chine atteindra en 2020 le même niveau de puissance militaire que les États-Unis. Des analystes de la CIA et du Pentagone prévoient, en outre, que le développement continu par l’armée chinoise de capacités aériennes, navales et de projection de la force lui permettra à moyen terme de forger une puissance de dissuasion susceptible d’entraver sérieusement les activités des forces chinoises américaines dans le Pacifique, voire même dans le Détroit de Taiwan rendant plus difficile la défense de cette Ile tant réclamée par la Chine.
Afin de faire face à ce défi stratégique, les États-Unis mettent en branle un processus de consolidation des liens stratégiques avec leurs alliés les plus proches dans la région comme le Japon et l’Australie dans le cadre d’une politique d’endiguement de la Chine.

L’Alliance militaire entre Washington et Tokyo est devenue la pierre angulaire de la stratégie sécuritaire américaine en Asie-Pacifique. 50 000 soldats américains sont déployés dans l’archipel japonais, soit le plus grand contingent de forces américaines en Asie comprenant la seule Marine Expeditionary Force de la région ainsi qu’une base de porte-avion. L’archipel japonais est également un avant-poste privilégié pour la projection stratégique dans l’océan Pacifique grâce à la présence de plusieurs escadrilles d’avions de combat, de surveillance et de soutien au sol de la 5ème Air Force dans quatre bases aériennes constituant le fer de lance des Pacific Air Forces : Kadena, Yokota, Misawa et Shariki. Afin d’élargir ces capacités militaires et les rendre plus opérationnelles, les deux pays ont amorcé un « réalignement » en vue d’une participation accrue du Japon dans les opérations militaires américaines dans la région. Tokyo devient, par conséquent, le partenaire idéal des États-Unis dans leur stratégie d’encerclement de la Chine et se place comme le meilleur allié en cas de conflit dans le Détroit de Taiwan dans un contexte marqué de surcroît par le déclin de l’alliance militaire entre les États-Unis et la Corée du Sud avec le retrait progressif des forces américaines stationnées dans le Sud de la Péninsule coréenne. En 2008, ces forces ont été réduites de 32 000 à 25 000 hommes.

Toutefois, des plans militaires plus agressifs ont été élaborés par le Pentagone. Ces plans prévoient l’édification extensive de forces militaires en Asie de l’Est comme base sous-jacente à une stratégie élargie et non déclarée afin de développer une capacité d’endiguement et de « dissuasion militaire» contre la Chine. Cette stratégie englobe des changements dans le déploiement de groupes de porte-avions d’attaque avec leur déplacement progressif de l’Atlantique vers le Pacifique ainsi que l’affermissement de la présence militaire américaine à un niveau jamais égalé dans les zones proches du territoire chinois.

L’Ile de Guam à l’Ouest de l’Océan Pacifique est un point clé dans cette stratégie dans la mesure où l’armée américaine y a installé une nouvelle base (base d’Andersen), là ou des bombardiers stratégiques (six B-52 et deux B-2 faisant des vols continus en rotation) pouvant atteindrent des « cibles chinoises » en trois heures ont été déployés. 5 milliards de dollars sont aussi dépensés pour y établir des vaisseaux de guerre ainsi que des sous-marins équipés de 150 missiles de croisière. Suivant le même processus, il est prévu le déplacement de 8 000 hommes de la Force Expéditionnaire Marine III ainsi que de 9 000 hommes du corps de soutien de la base américaine d’Okinawa (Japon) à l’Ile de Guam à l’horizon 2014, avec ce que cela implique comme relocation des structures de commandement et des moyens. De même, l’US Air Force a commencé à baser des avions de transport militaire à long rayon d’action (C-17) à Hawaii dans le cadre d’une approche élargie en matière de projection des forces dans le Pacifique.

Les États-Unis sont également associés à un dialogue sécuritaire trilatéral associant le Japon et l’Australie et qui consiste dans des pourparlers sécuritaires entre les ministres de la défense et des affaires étrangères des trois pays suivant la formule 2+2. Tokyo et Canberra sont liés par un pacte militaire, le deuxième en importance pour le Japon juste après le traité de défense américano-japonais. Ce processus préfigure la création d’un bloc militaire anti-chinois à l’image de l’OTAN durant la Guerre Froide. Il est même prévu l’élargissement de ce dialogue trilatéral à l’Inde. Ce qui indique de manière significative les progrès réalisés dans cette voie, les États-Unis ce sont les exercices militaires auxquels ont participé les forces navales des trois pays dans l’Océan Pacifique près du Japon. La première étape de ces exercices (opération dénommée Malabar 07-1) s’est déroulée du 6 au 11 avril 2007 et a impliqué la participation de 6 500 marins américains. Le groupe de navires indiens a visité dans ce cadre le port de Yokosuka au littoral d’Okinawa. Ensuite, des vaisseaux japonais ont rejoint la flotte indo-américaine. Cette initiative s’inscrit dans le cadre d’un processus de rapprochement stratégique entre le Japon et l’Inde enclenché après la visite du Premier Ministre indien, Manmohan Singh au Japon en décembre dernier et la signature d’un accord-cadre entre les chefs militaires des deux pays prévoyant des visites alternées de navires dans les ports. Le soutien américain à un tel processus ne fait pas de doutes. Washington s’est engagé, depuis 2005, dans un partenariat stratégique avec New Delhi intégrant un accord de coopération nucléaire.

Sur un plan plus défensif, le Pentagone a franchi des pas significatifs dans la défense anti-missiles en accélérant le déploiement d’intercepteurs avancés (Patriot PAC-3) autour de Tokyo afin d’assurer une protection du territoire japonais contre les missiles balistiques nord-coréens (Taepodong 2) en plein développement depuis une vingtaine d’années (les Nord-coréens ont effectué depuis 1998 plusieurs tests de missiles dans la Mer du Japon). Un nouveau système radar X-Band a été également installé dans la base aérienne de Shariki afin de compléter le dispositif. De plus, une soixantaine de croiseurs de la classe Aegis et de destroyers naviguant au Pacifique ont été équipés de radars de surveillance afin de traquer les missiles balistiques et six d’entre eux ont été modifiés afin de transporter des intercepteurs anti-missiles. Par ailleurs, devant l’accès nord-coréen aux armes nucléaires et balistiques, le Japon envisage sérieusement à se doter d’une force de dissuasion comprenant des armes nucléaires.

L’« encerclement » de la Russie et l’affermissement du leadership américain en Europe : Les Etats-Unis ont adopté une stratégie visant l’encerclement de la Russie. Cette stratégie repose sur l’installation de nouvelles bases militaires non loin du territoire russe, en Europe de l’Est ainsi que des systèmes pour la défense anti-missile en Pologne, en République Tchèque et tout récemment en Roumanie (à Deveselu), à 500 kilometres de la base navale de la Flotte Russe en Mer Noire; le soutien à l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN; la poursuite d’une politique agressive visant à repousser l’influence russe dans des régions névralgiques comme la Mer Noire, la Mer Caspienne et le Caucase ainsi que l’affaiblissement des rapports de la Russie avec l’Europe de l’Ouest. Durant les récentes années, plusieurs facteurs ont contribué à la dégradation des relations américano-russes et à l’adoption par les Etats-Unis d’une attitude franchement hostile à l’encontre de la Russie. Cette attitude est motivée en grande partie par le potentiel énergétique de la Russie, par la dépendance de l’Europe vis-à-vis de l’approvisionnement en pétrole et en gaz russes ainsi que par l’élément corollaire : la capacité de Moscou à réguler, voire « menacer » les pays européens de suspendre cet approvisionnement. Il est vrai que les Russes ont interrompu à plusieurs reprises la fourniture de pétrole à la Biélorussie et ont menacé de suspendre les exportations de gaz à travers l’Ukraine. D’ailleurs, la stratégie américaine en matière d’approvisionnements énergétiques à partir de la Mer Caspienne consiste à encourager le développement de pipelines contournant la Russie et débouchant vers la Turquie à l’exemple du BTC (transportant le pétrole à travers la ligne Bakou- Tblissi- Ceyhan) et du BTE (transportant le gaz à travers une ligne Bakou-Tblissi-Erzerum) et à affaiblir l’accès des tankers russes par les détroits du Bosphore et des Dardanelles.

Afin de faire face à cette menace, La Russie s’engage dans un processus permettant d’intégrer davantage le réseau de pipelines à travers la Mer Noire et le Sud de l’Europe (projet de pipeline pétrolier trans-balkanique s’étendant du port bulgare de Burgas sur le Mer Noire jusqu’au port d’Alexandroupolis sur la Mer Egée et le Northern European Gaz Pipeline GNEP qui permettra d’acheminer sous le mer Baltique le gaz de Russie jusqu’en Allemagne). Moscou soutient aussi la création d’un cartel international du gaz à l’image de l’OPEP.

La vision de l’Administration Bush à l’égard de la Russie ne renferme pas seulement ce genre de considérations géoéconomiques mais également un « discours idéologique » hostile à la politique intérieure du Président Poutine, laquelle a rompu avec le libéralisme au profit d’un étatisme impliquant, non seulement, la récupération des prérogatives de l’Etat après une décennie de privatisations anarchiques mais aussi l’affaiblissement du pouvoir des « oligarques » russes du pétrole et l’affermissement du contrôle de l’Etat sur les richesses nationales en hydrocarbures (l’une des firmes pétrolières privées les plus puissantes, Youkos a été dissoute et son président Mikhaïl Khodorovski emprisonné. Quant à l’autre grand magnant des médias, Boris Berezovsky il s’est exilé à Londres et tente de déstabiliser le gouvernement russe. De plus, Moscou applique une politique restrictive à l’encontre des compagnies étrangères du pétrole).

La Russie tente, par ailleurs, de réaffirmer sa puissance dans son voisinage suivant une approche défensive afin de faire face à la politique « expansionniste » du Pentagone en Asie Centrale. Elle s’associe pour mener à bien cette politique avec la Chine dans le cadre de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). Crée le 15 juin 2001, ce groupe régional comprend en plus de la Russie et de la Chine, les 4 pays d’Asie Centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan et Ouzbékistan). En effet, ni la Russie ni la Chine ne voient d’un bon œil l’installation de nouvelles bases militaires américaines près de leurs territoires. On l’a déjà vu clairement pour le cas de Pékin. Cette dernière s’associe, d’ailleurs, avec les pays d’Asie Centrale à travers des exercices militaires communs. Par ailleurs, lorsque l’OCS appelle, lors de son sommet de 2005, les Etats-Unis à débuter un calendrier de retrait des bases américaines de l’Ouzbékistan et du Kirghizstan, Tachkent a demandé la fermeture de la base américaine de Karshi Khanabad. Quant au Kirghizstan, il adopte un contrat élevant considérablement les coûts de stationnement des troupes américaines dans la base de Manas. De plus, la Chine et la Russie ont effectué en 2005 des exercices militaires conjoints à Vladivostok, dans les régions à l’extrême Est de la Russie et dans la péninsule de Shangdong à l’Est de la Chine.

L’autre facteur de tension est le fait que les Etats-Unis vont redéployer certaines de leurs bases militaires (60 000 à 70 000 hommes) qui seront transférées de la Corée du Sud et de l’Allemagne vers la partie Est de l’Europe. La Pologne, la Bulgarie et la Roumanie recevront prochainement ses nouvelles bases suite à des accords avec les gouvernements de ces pays. Le dessein d’un tel redéploiement tel qu’annoncé par les responsables du Pentagone et le Commandement Américain en Europe (EUCOM) est le rapprochement stratégique des régions critiques là où les intérêts sécuritaires des Etats-Unis sont importants, à savoir le Moyen Orient et l’Asie Centrale puisque la partie Est de l’Europe est plus proche de ces régions. Cependant, la portée d’un tel changement dans le théâtre européen n’est pas loin d’être significative pour la Russie. Celle-ci se verra de plus en plus encerclée, stratégiquement et militairement parlant. Il convient de préciser que ces actions sont en violation avec l’engagement déjà pris par les Etats-Unis consistant à ne pas entreprendre de baser des troupes ou des équipements militaires dans ces pays en cas d’intégration à l’OTAN.

Le Pentagone a également annoncé un plan pour l’installation de 10 intercepteurs anti-missiles en Pologne et un système radar en République Tchèque. Ces intercepteurs seront équipés de têtes non explosives conçues pour détruire les missiles balistiques à une altitude de 45 000 pieds et seront placés dans des silos sous terrains. Un radar sera également déplacé des Iles Marshall jusqu’en République Tchèque afin de traquer les missiles balistiques.

L’objectif déclaré du Pentagone est la protection des forces américaines et alliées en Europe contre des attaques de missiles longue et moyenne portée iraniens et nord-coréens. Il est prévu que le déploiement de ce système de défense anti-missiles ne sera achevé qu’en 2013, soit deux ans avant que les Iraniens puissent développer des missiles intercontinentaux et les équiper de têtes nucléaires (selon les estimations des services de renseignement américains).

Toutefois, la Russie a exprimé des inquiétudes à propos de l’objectif réel de ce système de défense, lequel sera installé dans des pays proches du territoire russe. Les officiels russes ont, d’une part, affiché des doutes sur la capacité réelle des Iraniens à développer des missiles intercontinentaux à cette date selon les estimations de la CIA et, d’autre part, ils se sont interrogés sur le risque qu’une telle présence militaire puisse être élargie dans le futur proche. Non seulement les caractéristiques techniques de ces intercepteurs pourront être modifiés pour face aux missiles russes mais ce qui est plus important encore c’est qu’ils pourront demain fournir un prétexte à davantage d’engagements militaires américains en Europe de l’Est, d’autant plus que les pays d’accueil sont membres de l’OTAN depuis 1999.

D’ailleurs, la Pologne a récemment appelé les États-Unis à conclure des partenariats sécuritaires avec les pays d’Europe Centrale et Orientale en arguant que si les relations entre ces pays et la Russie se détériorent par l’effet d’un déploiement de bases d’interception anti-missiles, alors « Washington devra faire pour ces pays ce qu’elle a déjà fait pour le Japon » à savoir une alliance militaire en bonne et due forme. Les inquiétudes de Moscou se sont d’autant plus aggravées que Washington envisage de déployer davantage de systèmes de défense anti-missiles en Roumanie (intercepteurs SM-3, en Ukraine, en Géorgie, c’est-à-dire dans l’espace intérieur de l’ex-Union Soviétique.

Parallèlement à ce facteur déstabilisant pour l’équilibre des forces dans ces régions proches de la Russie, les Etats-Unis développent depuis leur retrait unilatéral du Traité ABM (1972) en 2002 un système de défense pour la protection du territoire américain contre des attaques de missiles stratégiques comprenant un centre de commandement dans le Colorado, deux sites d’interception en Californie (4 intercepteurs) et en Alaska (40 intercepteurs) ainsi que des stations radars au Royaume-Uni (à Fylingdales) au Groenland et en Norvège (à Thulé) mais aussi des armes offensives, nucléaires et conventionnelles avec pour but de remplacer l’équilibre de dissuasion en supériorité stratégique pour les Etats-Unis. En effet, ceux-ci déclenchent une course à l’armement afin d’affaiblir le potentiel de dissuasion nucléaire de la Russie qui est le seul à l’heure actuelle à pouvoir rivaliser avec celui des Etats-Unis. Le Pentagone entretient le développement sans précédent de la capacité de frappe stratégique à travers la conception de têtes nucléaires de dernière génération (Reliable Replacement Warhead RRW), des missiles conventionnels manoeuvrables à de très grandes distances pouvant remplacer les missiles nucléaires ainsi que la modification des missiles intercontinentaux « Trident » lancés par sous-marins en les dotant de têtes conventionnelles de haute précision. En fait, les Etats-Unis veulent garder une marge de manœuvre afin de ne pas compromettre le processus d’affermissement de leur posture nucléaire.

La politique actuelle de l’Administration américaine à l’égard de la Russie vise, en outre, à disloquer son influence régionale à une échelle jamais égalée par le passé et ce, depuis la chute de l’Union Soviétique. Ceci est attesté, en premier lieu par le processus soutenu par Washington d’élargissement de l’OTAN couvrant d’anciennes républiques soviétiques en plus de l’espace balkanique (notamment l’inclusion projetée par l’OTAN de la Géorgie et de l’Ukraine).

Par ailleurs, l’une des grandes priorités des Etats-Unis est l’affaiblissement des relations de la Russie avec l’Union européenne ainsi que l’affermissement du « leadership transatlantique » sur le continent européen. Pour ce faire, Washington instrumentalise le concept de « nouvelle Europe » (couvrant les pays proaméricains d’Europe Centrale et Orientale) comme un repoussoir de l’axe Russie-Allemagne. En effet, l’Allemagne n’a pas cessé, ces dernières années, de se rapprocher de la Russie en raison de plusieurs facteurs sensibles : les échanges commerciaux entre ces deux pays ont atteint 40 milliards de dollars. Au cours de la même année, les investissements allemands en Russie avoisinent les 2 milliards de dollars. L’Allemagne est également très dépendante du pétrole et du gaz russes et cherche à sécuriser cet approvisionnement en développant de nouveaux pipelines et en obtenant des conditions avantageuses.

Les États-Unis considèrent l’Europe comme un « pont stratégique » avec toute la région eurasienne (Russie, Asie Centrale, Asie du Sud, Asie de l’Est). Cependant, afin d’empêcher l’Union européenne de bâtir une politique commune et autonome de défense à partir des instruments actuels (PESC et PESD) lui permettant de se distancer des États-Unis et de se débarrasser du leadership militaire américain après des décennies de vulnérabilité stratégique comme étape décisive pour transformer l’Europe en puissance réelle dans le monde, Washington s’appuie sur l’OTAN. Dans la mesure où celle-ci est sous leadership américain et qu’elle reste l’instrument privilégié de la relation transatlantique, l’OTAN est le seul moyen d’« encastrer » l’Europe dans la politique de puissance américaine. Washington renforce ce processus en apportant son soutien stratégique et militaire au continent. Il faudrait tenir compte également du retard technologique européen vis-à-vis des États-Unis et, notamment, en matière de moyens militaires hautement avancés comme les bombardiers stratégiques, les moyens de projection stratégique (les grands avions de transport militaire) et les satellites d’observation militaire, des facteurs qui accentuent la dépendance stratégique de l’Europe vis-à-vis de la puissance outre-atlantique.

Parallèlement à ce processus, l’Alliance Atlantique intervient dans le monde au-delà de son cadre géopolitique, ce qui est exactement le souhait de Washington. Son engagement en Afghanistan (dans le cadre de International Security Assistance in Afghanistan –ISAF-) permet notamment d’aligner l’Europe sur les objectifs de l’agenda de politique étrangère des Etats-Unis. Mais ce n’est pas seulement à travers l’OTAN que les Etats-Unis maintiennent leur emprise stratégique sur l’Europe mais également grâce à de nombreux accords bilatéraux ainsi qu’à travers une stratégie « bicéphale » qui consiste à traiter avantageusement avec ce qui est appelé la « nouvelle Europe » (pays d’Europe Centrale et Orientale) et à punir les pays de la « vielle Europe » en tuant dans l’œuf toute réémergence d’un axe France-Allemagne-Russie. Ainsi par exemple, au-delà des projets de redéploiement de certaines bases de l’Allemagne vers la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie et du retrait d’Allemagne de la 1ère Division Blindée et de la 1ème Division d’Infanterie, l’armée américaine à utilisé durant l’invasion de l’Irak la base aérienne de Sarajevo et le port de Burgas en Bulgarie ainsi que la base aérienne de Mihail Kogalniceanu et le port de Constanta en Roumanie.

Néanmoins, Washington accentue la dépendance stratégique de l’Europe de l’Ouest vis-à-vis des Etats-Unis en maintenant une forte présence militaire dans cette partie du monde et ce, malgré certaines divergences transatlantiques à propos de questions d’importance régionale comme l’Irak et l’Afghanistan. En effet, le Pentagone ne renonce point à d’importantes bases militaires permanentes comme en Allemagne (avec le Commandement Américain en Europe basé à Stuttgart et les bases aériennes de Ramstein et de Spegdahlem abritant deux escadrons de F-16) en Italie (avec la 173ème brigade aéroportée déployée à Vicenza, l’Etat-major des forces navales américaines en Europe à Naples et les deux escadrons de F-16 à la base d’Aviano), en Espagne (avec la base aéronavale de Rota) ainsi qu’au Royaume-Uni (avec plusieurs stations-radar et des bases pour les bombardiers stratégiques). Cette présence militaire américaine se consolide et n’est nullement affectée par le processus engagé récemment dans le cadre du Strategic Posture Review conduisant à la fermeture de plusieurs installations considérées comme des « reliques de la guerre froide » à l’instar de la base aéronavale de Keflavik (Islande) et de la base aérienne des Acores (Portugal).

Maintenir l’emprise stratégique des Etats-Unis sur le Moyen Orient : Les Etats-Unis sont confrontés aujourd’hui à de nombreux défis majeurs au Moyen Orient comme la montée en puissance de l’Iran laquelle s’appuie sur ses richesses énergétiques, ses relations privilégiées avec des puissances régionales comme la Russie et la Chine ainsi que sur son influence grandissante en Irak et dans certains pays du Golfe du fait de la présence de fortes minorités chiites dans ces pays; la vulnérabilité stratégique d’Israël après son échec militaire devant le Hezbollah et l’affaiblissement structurel de l’Irak, lequel fait face plus que jamais à de nombreux problèmes comme la guerre sectaire, le terrorisme et le déclin de la domination sunnite au sein de l’appareil d’Etat et des forces de sécurité irakiennes. Afin d’y faire face, Washington recourt à un large éventail de solutions qui sont pour la plupart d’entre elles de nature militaire et sécuritaire. Cette politique d’obédience néo-conservatrice. Pour ce faire, les Etats-Unis s’appuient sur un réseau de bases militaires au Moyen Orient qui n’a cessé de s’élargir ces dernières années. Il est composé aujourd’hui (sans inclure l’Irak) de plus de 70 bases (25 pour les forces terrestres, 20 pour l’US Air Force, 16 pour la Navy et 9 bases de la mission d’entraînement en Arabie Saoudite) totalisant 40 000 hommes. Les pays ou sont déployées ces forces sont l’Arabie Saoudite, le Kuweit, Oman, le Bahreïn, le Qatar, les Emirats Arabes Unis, le Yémen, la Jordanie, l’Egypte, Israël et l’Irak depuis son invasion.

Il convient de préciser que dans le cas où les forces américaines seraient retirées de l’Irak, le Pentagone maintiendra à long terme des installations militaires clés dans ce pays. Le réseau de bases militaires américaines au Moyen Orient gagnerait également à être plus efficace en bénéficiant d’un meilleur soutien aérien et d’un ravitaillement plus régulier avec le déplacement prévu de plusieurs bases d’Europe de l’Ouest aux pays de l’Est dans la mesure où cette dernière région est plus proche du Moyen Orient. De plus, le Moyen Orient, notamment la région du Golfe Arabe avec ce qu’elle représente comme foyer potentiel de menaces terroristes, de richesse énergétique et de position stratégique est la seule partie du monde qui n’a pas connue, ces dernières années, de retrait, de redéploiement ou même un « réalignement » des forces américaines à l’instar d’autres régions comme les pays d’Europe de l’Ouest (Allemagne), l’Islande, la Corée du Sud ou le Japon. Washington apporte également un soutien militaire à ses alliés dans la région. Au-delà d’Israël, l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Jordanie ainsi que la plupart des pays du Golfe sont des récipiendaires de l’aide militaire américaine ainsi que des clients privilégiés de la vente d’armement. Washington cherche plus particulièrement à ajuster cette aide en vue d’adapter les forces de ces pays alliés aux nouvelles menaces comme l’Iran et le terrorisme.

Le groupe des pays du Golfe en tête duquel se place l’Arabie Saoudite, ils bénéficieront d’une vente d’armes sophistiquées. Ce dernier pays est devenu, au cours des dernières années, un client privilégié des Etats-Unis (depuis 2001, il reçu pour une valeur de 4 milliards de dollars un équipement militaire comprenant des véhicules blindés, un armement offensif, des radios ainsi qu’un matériel de vision de nuit). Ce pays a acheté, depuis 1990, des armements pour une valeur de 30 milliards de dollars. Toutefois, c’est évidemment Israël qui demeure le premier partenaire militaire des Etats-Unis. Au-delà de l’aide annuelle qui lui est destine, l’équipement de l’armée israélienne endommagé durant le conflit avec le Hezbollah en été 2006 a été remplacé aux frais des Etats-Unis. Afin de consolider sa politique d’assistance militaire aux alliés, l’Administration a entrepris avec le soutien du Congrès des pas significatifs afin de lever les restrictions rigides imposées par la législation américaine dans le domaine de l’assistance miliaire en vigueur depuis la guerre froide.

Au-delà de cette politique d’influence régionale que les Etats-Unis exercent depuis la fin de la guerre froide sur les pays du Golfe, les Etats-Unis développent à l’heure actuelle une stratégie militaire plus ambitieuse et plus agressive afin d’endiguer la montée en puissance de l’Iran. Les idées centrales de cette stratégie sont de dissuader l’Iran d’instaurer une position hégémonique dans la région du Golfe en s’appuyant sur ses minorités chiites par un déploiement militaire américain plus musclé; d’envoyer un message clair à Téhéran lui montrant que son influence grandissante en Irak ne l’immunisera pas d’une attaque militaire préventive contre son territoire.

Suivant cette nouvelle approche agressive, les Etats-Unis ont adopté un certain nombre de dispositions sécuritaires et militaires parmi lesquelles, il y a le déploiement d’un important groupe naval de combat dans le Golfe dont le fer de lance est constitué par les deux porte-avions, USS John C. Stennis et Dwight D. Eisenhower ainsi que par les sept vaisseaux dont le navire d’assaut USS Bataan d’un effectif de 2 200 hommes et marins américains (ce groupe d’attaque naval est appuyé par des hélicoptères d’attaque et une centaine d’avions) ainsi que l’envoi de plusieurs avions de ravitaillement à la base américaine de Diego Garcia dans l’Océan Indien. Avec de tels préparatifs, l’Armée américaine est en mesure de lancer des attaques aériennes contre l’Iran 24h sur 24h pendant plus de quarante jours.

Enfin, la présence militaire américaine en Afghanistan représente davantage un facteur stratégique s’intégrant de manière « contingente » dans la politique d’escalade des Etats-Unis susceptible d’être dommageable pour la sécurité de l’Iran. Par exemple, la base aérienne de Shindand là ou sont déployés 100 hommes des forces spéciales et des hélicoptères d’attaque est située à 16 kilomètres seulement de la frontière iranienne. Les Iraniens suspectent un déploiement plus musclé des forces américaines dans cette base dans le cadre d’un plan d’attaque contre l’Iran.

La pénétration militaire américaine en Afrique subsaharienne:

Les États-Unis assurent à l’heure actuelle suivant une approche progressive une présence militaire très « controversée » dans le continent africain. Celle-ci est motivée par un spectre de facteurs stratégiques qui sont devenues cruciaux ces dernières années. Parmi ces facteurs, il y a l’importance grandissante de l’Afrique dans les approvisionnements énergétiques mondiaux, la concurrence acharnée de la Chine dans le continent africain dans les domaines énergétique, économique et diplomatique ainsi que la menace du terrorisme. Déjà en 2002, le Rapport Cheney sur la sécurité énergétique des Etats-Unis évoque la place unique qu’occupe l’Afrique dans l’équation énergétique mondiale en ces termes « Il est attendu que l’Afrique de l’Ouest deviendra l’une des sources de pétrole et de gaz les plus prometteuses pour le marché américain ». Par ailleurs, un document publié en 2005 par le Conseil des Relations Extérieures intitulé « More than Humanitarianism : A Strategic US Approach Toward Africa » soulève plus explicitement un aspect clé en affirmant « A la fin de la décennie, l’Afrique subsaharienne est susceptible de devenir une source d’importations énergétiques américaines aussi importante que le Moyen Orient. »

Ainsi, Washington a pris conscience que l’Afrique, un continent qui n’a jamais vraiment représenté par le passé une région névralgique pour les Etats-Unis, pourrait devenir une alternative à la région du Golfe, une région en proie à l’instabilité et au terrorisme, comme source privilégié de pétrole. L’approvisionnement du marché américain à partir de cette région présente aux yeux des stratèges américains deux grands avantages : la plupart des gisements et des réserves prouvées de pétrole de l’Afrique sub-saharienne sont situées près de l’Océan Atlantique et dans la côte d’Afrique de l’Ouest, ce qui rend l’acheminement du brut vers les Etats-Unis beaucoup moins coûteux que celui provenant de la région du Golfe Arabe ou de la Mer Caspienne. Le deuxième atout stratégique est le fait qu’hormis le Nigeria, la plupart des autres pays africains exportateurs de pétrole ne sont pas membres de l’OPEC.

Le Gabon, par exemple, s’est retiré du cartel en 1995 sous la pression américaine. Même le Nigeria se retrouve aujourd’hui dans une situation conflictuelle avec l’OPEC en s’engageant dans une politique de production intensive de pétrole (en effet, le gouvernement d’Abuja projette d’augmenter sa production à 40 millions de barils/jour en 2010). Une telle évolution est susceptible de remettre en cause la cohésion de l’OPEC dans un contexte international caractérisé par l’engouement des pays importateurs en faveur d’une diversification des sources de production de pétrole et de gaz. Ceci est une « aubaine » pour les compagnies privées occidentales, lesquelles ont été confrontées, ces dernières années, à des obstacles récurrents chez d’autres pays producteurs comme la Russie et le Venezuela.

Cependant, c’est évidemment la contribution africaine à la sécurité énergétique des Etats-Unis qui représente le facteur clé. L’Afrique contribue déjà à hauteur de 15 % dans les importations américaines de pétrole et sa production va doubler durant les prochaines décennies. Celle-ci pourrait atteindre 25% de la production mondiale en 2025, ce qui permettra d’ajouter plus de 8.3 millions de barils/jour au marché mondial, un facteur porteur d’espoir pour les Etats-Unis. De cette manière, l’Afrique est devenue très attractive aux investissements énergétiques des compagnies internationales. Celles-ci y ont investi, durant la dernière décennie, plus de 50 milliards de dollars.

Les États-Unis, pour leurs parts, prévoient d’y investir jusqu’à 33 milliards de dollars en 10 ans. En premier lieu, la région du Golfe de Guinée recèle des réserves estimées à 60 milliards de barils. Ces réserves sont concentrées, plus particulièrement, au Nigeria, lequel possède des réserves prouvées de pétrole estimées à 36 milliards de barils (concentrées dans le Delta du Niger).

Malgré ce dynamisme africain dans l’équation énergétique mondiale qui suscite un grand intérêt de la part de Washington, certains exportateurs subsahariens comme le Nigeria, sont confrontés à de nombreux problèmes sécuritaires. L’insécurité dans le delta du Niger (Nigeria) pose un sérieux problème qui fait obstacle aux ambitions des compagnies américaines. La région riche en pétrole est très instable en raison de l’action de plusieurs mouvements insurrectionnels comme le Movement for the Emancipation of the Niger Delta (MEND). De cette manière, un débat controversé aux États-Unis sur la nécessité d’une sécurisation des sources de pétrole et de gaz a émergé.

Les États-Unis ont opté davantage pour des choix de nature militaire. Déjà en 2003, un article du Wall Street Journal avait rapporté la déclaration d’un responsable de haut niveau au Pentagone ayant gardé l’anonymat selon laquelle les forces américaines ont désormais comme mission la sécurisation des gisements de pétrole du Delta du Niger. Au mois de mai de cette même année, le Commandement américain en Europe avait déclaré que les forces navales américaines consacreront moins de temps à des opérations en Méditerranée et qu’au lieu de cela elles assureront une présence plus forte dans les eaux de l’Afrique de l’Ouest.

Mais c’est à travers le développement d’une nouvelle infrastructure militaire en Afrique que les Etats-Unis entendent sécuriser les voies d’approvisionnement énergétiques. Déjà, la base américaine de Diego Garcia dans l’Océan Indien offre une capacité de projection stratégique de premier plan dans la mesure où des bombardiers B-52 et B-2 y sont positionnés. Cette base permet, en outre, de déployer plus de 3 500 soldats et 17 300 marines dans une vaste région couvrant l’Afrique Australe et de l’Est. Toutefois, le Pentagone a adopté une stratégie nouvelle consistant à s’appuyer sur des « têtes de pont » au cœur des territoires africains nécessitant le déploiement d’un nombre relativement faible de troupes mais qui requièrent des infrastructures adéquates (pistes d’atterrissage et entrepôts d’armement) afin de permettre de lancer rapidement des opérations à l’échelle régionale. Ces infrastructures peuvent être, en vertu d’accords signés avec les gouvernements des pays concernés, entretenues par du personnel local jusqu’à leur utilisation par les forces américaines en temps de crise. Les premières bases de ce genre ont été établies dès 1980 au Kenya (port de Mombasa et bases aériennes d’Embakasi et de Nanyuki).

Toutefois, les Etats-Unis ont étendu ce genre d’installations militaires dans une région s’étendant de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique de l’Est. L’armée américaine a, notamment, obtenu des concessions à l’aérodrome de Dakar (Sénégal) qui a servi comme point d’appui à plusieurs opérations en Afrique de l’Ouest comme au Liberia; à l’aéroport d’Entebbe (Ouganda) où deux installations ont été bâties afin de stocker de l’équipement et abriter des troupes (cette base se trouve à un état très avancé en raison de sa position stratégique au sud du Soudan); dans un terrain d’atterrissage près de Bamako (Mali) ; au Ghana ainsi qu’au Gabon. Par ailleurs, des accords ont été signés avec les gouvernements de Namibie et Zambie permettant aux forces aériennes américaines de se ravitailler dans des bases militaires appartenant à ces pays, deux points d’appui permettant de couvrir l’Angola par le Sud et l’Est.

Cette stratégie discrète d’accès militaire dans une vaste région, laquelle présente l’avantage de ne pas heurter les opinions publiques de ces pays sous le reproche traditionnel de néocolonialisme, ne signifie nullement que le Pentagone est loin d’assurer une présence militaire permanente dans le continent. Bien au contraire, il a installé 1 700 hommes des forces spéciales dans une base de grande envergure dans le « camp Lemonier » (ancienne base française) à Djibouti, là se trouve aujourd’hui l’Etat-major de la Joint Task Force pour la Corne de l’Afrique. Elle revêt également une importance particulière en raison de sa proximité du Soudan (notamment du pipeline Higleig-Port Soudan). Elle est située également à 50 kilomètres seulement de la Péninsule Arabique près du détroit de Bab el Mandeb à l’entrée de la Mer Rouge, par ou passe la route qu’empruntent les tankers provenant des pays du Golfe Arabe en direction des Etats-Unis et de l’Europe. Concernant le Golfe de Guinée, les Etats-Unis envisagent sérieusement d’établir une base navale permanente à Sao-Tomé-et-Principe, ce qui permettra de sécuriser les gisements pétroliers off-shore d’une des régions les plus prometteuses d’Afrique subsaharienne.

Le Pentagone a complété ses efforts en déployant à plusieurs reprises ses navires dans les eaux africaines que se soit dans le cadre d’exercices militaires unilatéraux ou communs avec certains pays africains. Cette implication forte des forces navales américaines dans la région attire notre attention sur quatre éléments significatifs. Elle traduit, en premier lieu, un engagement militaire américain de très grande envergure et à très long terme dans la région, il est même envisagé dans ce contexte la création d’une Garde du Golfe de Guinée à l’image de ce qui existe déjà en Mer Caspienne et qui sera engagée dans la région pendant une dizaine d’année ; elle repose également sur une stratégie préventive élargie consistant à agir à travers des opérations militaires ponctuelles afin d’endiguer les menaces sécuritaires dans le continent à une grande échelle en associant le maximum de pays, ceci est clairement reflété dans le plan adopté lors de la Conférence sur la Sécurité Maritime du Golfe de Guinée tenue à Cotonou (Bénin) entre le 13 et le 15 novembre 2006 et à laquelle ont participé plus de 11 pays de la région. C’est le cas également de la Conférence de Naples en octobre 2004 ainsi que celle d’Accra en mars 2006 à laquelle ont participé plus de 13 pays.

Toutefois, au-delà des efforts communs dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, la piraterie, la contrebande d’armes et le trafic de drogue, l’objectif premier des États-Unis est de préparer le terrain à de futures interventions militaires américaines dans le continent afin de contrôler les voies d’approvisionnement énergétiques, lutter contre le terrorisme et instaurer à terme une zone d’influence en Afrique. Le meilleur exemple aujourd’hui c’est la Somalie en 2006, là ou les forces aériennes américaines ont effectué un raid contre la faction islamiste. Cette attaque intervient, en effet, dans un contexte marqué par le contrôle exercé par quatre des grandes compagnies américaines, Chevron, Conoco, Amoco et Philips sur les deux tiers des concessions pétrolières de ce pays.

L’autre exemple c’est Sao-Tomé-et-Principe ou les forces américaines sont intervenues pour mettre fin à un coup d’Etat en juillet 2003. Juste après cette intervention, des compagnies pétrolières américaines ont soumissionné pour 500 millions de dollars afin d’explorer les eaux profondes du Golfe de Guinée. Les stratèges du Pentagone ont donc compris qu’une présence navale permanente des flottes de la Navy dans cette région permettra de rendre plus facile les futures opérations militaires américaines en Afrique en vue de sécuriser le pétrole et qui pourront ainsi être déployées moins d’une semaine dans les régions visées. Cette stratégie repose sur la doctrine de l’intervention militaire off-shore.

Par ailleurs, même si les officiels du Pentagone nient que la création de l’AFRICOM soit susceptible d’entrainer le renforcement de la présence militaire américaine en Afrique, il n’en demeure pas moins que son objectif avéré est de regagner une influence stratégique dans le continent au détriment de la Chine.

D’ailleurs, pour ce faire, les États-Unis pourront utiliser une palette de choix qui ne se limitent pas à des opérations de type militaire en recourant à un accroissement des interventions humanitaires à partir des bases comme celle de Djibouti ; la multiplication des contacts diplomatiques et l’élargissement de l’assistance économique à travers un « plan Marshall » pour l’Afrique. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’AFRICOM comprend non seulement des militaires mais également un personnel civil provenant du Département de la Défense, du Département d’Etat, voire même du Département de l’Agriculture. Cette stratégie présente l’avantage d’empêcher la Chine de transformer son statut de partenaire économique privilégié de l’Afrique en une influence militaire réelle dans le continent et ce, malgré le dynamisme de cette dernière.

Quoi qu’il en soit, les États-Unis n’en démordent pas et affirment avoir dressé un véritable plan stratégique pour l’Afrique dont la dimension militaire est loin d’être négligeable pour l’avenir de la politique étrangère américaine vis-à-vis de ce continent.

Éléments de conclusion

Il convient de revenir sur certaines spécificités de la politique de défense américaine qui sont très différentes de celle des autres puissances du monde. En premier lieu, le Pentagone bénéficie d’une grande supériorité budgétaire. Afin de l’illustrer, il suffit de voir que les dépenses militaires, même sans compter les coûts de la guerre en Irak et en Afghanistan, sont les plus importantes du budget fédéral d’autant plus qu’elles sont purement « discrétionnaires » puisqu’elles sont financées par le contribuable à contrario de la sécurité sociale, laquelle est autofinancée par les cotisations. D’ailleurs, la hausse de ce budget nécessite la suppression de nombreux programmes sociaux dans un contexte de crise financière, ce qui exactement le souhait des Républicains. Conjuguée à la réduction des impôts pour les riches, les dépenses militaires reflètent une véritable pression qui est exercée sur les pauvres.

Avec 647.2 milliards de dollars, ils se hissent à un niveau jamais égalé par le passé, que se soit durant les conflits de la seconde guerre mondiale, du Vietnam, de la Corée, voire même durant la guerre froide au plus fort de l’ère Reagan. En second lieu, il s’avère que le budget de défense américain est désormais plus élevé que tous ceux des pays du monde combinés. Il dépasse de dix fois celui de la Chine, sans parler de ceux des autres puissances comme la Russie et le Japon. En outre, il est supérieur de 120 fois le coût des opérations du Département d’Etat y compris l’aide non militaire destinée à l’étranger.

Ceci est une donnée importante pour prendre l’exacte mesure du degré de « militarisation de la politique étrangère américaine. » Un examen approfondi des mécanismes de redistribution de la richesse budgétaire du Pentagone montre très bien que la politique étrangère américaine n’est pas seulement guidée par des intérêts politiques ou économiques d’ordre national, régional ou international, ni même par les intérêts des lobbys, des milieux d’affaires américains ou ceux des géants du pétrole mais également par les intérêts puissants de l’industrie d’armement et de tous ceux qui de près ou de loin entretiennent des affaires avec le Pentagone. Ces derniers ont besoin d’encourager un certain militarisme et un climat de guerre afin de justifier leur part du lion dans le budget de la défense. Pour ne citer qu’un exemple récent, il suffit de voir que la récente pénétration militaire en Afrique qui est tant justifiée par l’instabilité politique et économique du continent, plus particulièrement par les exigences de la lutte anti-terroriste, a été accompagnée par le recours fréquent par l’EUCOM et le Département d’Etat à des entreprises privées comme Logicon et Northrop-Grumman pour la fourniture d’équipements militaires et d’armements. Cela signifie que les objectifs géostratégiques de la politique de défense américaine sont dictés par les fabricants d’armement. Ces objectifs mêmes sont loin de relever d’une politique recourant à davantage de diplomatie et d’alliance car celles-ci sont de nature à réduire les dépenses militaires.

De manière plus décisive encore, l’armée américaine requière non seulement un nombre relativement élevé de troupes, pour l’Irak et notamment pour l’Afghanistan (140 000 hommes), mais aussi une extension des plateformes et des systèmes d’armement pour l’Air Force et la Navy qui sont gourmands en technologie. Le budget de défense américain reflète d’ailleurs le poids des fabricants d’avions, de chars, de navires et d’armes de toutes sortes comme Lockheed Martin, Boeing, Northrop Grumman et Général Dynamics Corp et marque ainsi leur triomphe sur les politiques d’auterite de M.Rumsfeld et de M.Gates qui ont du démissionner. Cette réalité a également des conséquences importantes sur la configuration des forces terrestres puisque le Pentagone peut se contenter de déployer quelques forces expéditionnaires dans les points chauds de la planète comme au Japon (50 000 hommes) et au Moyen Orient (40 000 hommes sans compter les 140 000 soldats déployés en Irak) et de maintenir ses 700 bases dans le monde puisque les Etats-Unis ne risqueront jamais de faire face à des conflits internes et ce, contrairement aux armées des autres puissances comme la Russie et la Chine qui assument, entre autres, un rôle de sécurité intérieure (le cas de la Tchétchénie pour la Russie et des révoltes sociales sans compter les irrédentismes des provinces comme le Xinjiang et le Tibet pour ce qui concerne la Chine).

Les systèmes d’armements américains sont enfin conçus de manière à assurer une suprématie militaire mondiale sans même risquer une guerre. De par leur coût exorbitant et leur technologie avancée, le bombardier stratégique B-2 Spirit (coûtant un milliard de dollars pièce) et l’avion de dernière génération F-22 (annoncé à 300 millions de dollars pièce) sont des armements difficiles à reproduire par d’autres pays.

D’aucun n’ignore que tous ces facteurs concourent à la hausse budgétaire suivant une relation « dialectique » entre les exigences géostratégiques de l’establishment politique qui reposent sur une doctrine missionnaire et expansionniste inspirée du Manifest Destiny et du PNAC et le militarisme du Pentagone qui trouve sa justification dans les programmes d’armements coûteux reflétant les intérêts des compagnies américaines.

Les États-Unis ont, durant les 90 dernières années, cinq fois de suite désarmé après un conflit – la première guerre mondiale, la deuxième guerre mondiale, la Corée, le Vietnam ainsi que la guerre froide [….] les Etats-Unis n’ont dépensé que 9.8% du PNB au plus fort de la guerre du Vietnam, 11.7% durant le conflit de Corée et seulement 4.4% à la fin de la guerre froide en 1991. Toutefois après avoir tirés les dividendes de la paix pour plusieurs années à la fin de chaque conflit, voilà qu’ils découvrent que le monde n’a pas réellement changé en leur faveur et qu’il leur fait face à nouveau, ce requière d’eux d’accroître à nouveau leurs dépenses militaires.

Mais cette fois, leur puissance économique n’est pas à la hauteur de leur ambition militaire démesurée. Un officiel américain qui a préféré gardé l’anonymat a déclaré récemment que le rythme des dépenses militaires s’il ne sera pas modifié substantiellement est susceptible d’enclencher un déclin économique des Etats-Unis comme ce fut le cas pour l’Union Soviétique.