Interdire le port du foulard dans les universités françaises. Telle était l’une des douze propositions contenues dans un rapport du Haut Conseil à l’Intégration (HCI). La publication des conclusions de ce rapport par le quotidien Le Monde a semé le trouble au sein de la communauté musulmane en France, bien que l’Observatoire national de la laïcité ait déclaré quelques heures plus tard cette proposition hors-d’actualité.
Mais qui se cache réellement derrière cette proposition polémique ? Notre partenaire Rue 89 répond à la question dans un article que la Rédaction d’Algérie-Focus vous propose de découvrir.
La mission sur la laïcité, chargée de faire des propositions à l’Observatoire de la laïcité qui les transmettra au gouvernement, aimerait interdire le voile à l’université. Le Monde a publié ce lundi les conclusions provisoires de la mission.
Il s’agirait de bannir des « salles de cours, lieux et situations d’enseignement et de recherche des établissements publics d’enseignement supérieur, les signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ».
Prudence cependant : ce groupe de travail n’a qu’une fonction consultative. Le président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco, a pris ses distances estimant que le rapport « n’engage que la mission laïcité du Haut commissariat à l’intégration qui n’est plus en fonction ».
La mission sur la laïcité est conduite par Alain Seksig, ancien instituteur et directeur d’école, franc-maçon membre de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) et du comité de rédaction de la revue « Hommes et migrations », devenu inspecteur général de l’Education nationale.
Depuis quinze ans, le fonctionnaire a participé à de nombreux travaux visant à interdire le voile dans de nombreux espaces de la vie sociale : école, entreprise, université, établissement recevant du public. De séminaires en rapports, de tribunes en commissions, Alain Seksig a fait de la laïcité son combat.
« On risque de transformer chaque musulman en intégriste »
En 1999, il cosigne une tribune remarquée dans Libération avec Gaye Salom :
« En acceptant le foulard à l’école, on risque de transformer chaque musulman en intégriste. L’Etat doit légiférer. Clarté, fermeté, laïcité. »
Dix ans après la première « affaire du voile », cinq ans après la circulaire Bayrou, les auteurs réclament une loi sur la laïcité à l’école.
Ils s’alarment de l’augmentation des conflits religieux dans le cadre scolaire, derrière lequel ils voient le sceau de l’intégrisme :
« Le foulard dit islamique ne représente pas la religion musulmane mais bien la volonté des intégristes de dicter leur loi aux musulmans de France et de s’imposer, dans les faits, comme interlocuteurs des pouvoirs publics, notamment à l’école. Si le foulard représentait l’islam, des milliers de jeunes musulmanes, de nationalité étrangère ou française, le porteraient depuis longtemps. Chacun sait que ce n’est pas le cas. […] La nécessité de légiférer en la matière comme c’est déjà le cas en Turquie et en Tunisie, par exemple, où l’exhibition de tout signe religieux à l’école est explicitement interdit se fait tous les jours plus nette. »
Six mois plus tard, Alain Seksig est nommé conseiller technique au cabinet du nouveau ministre de l’Education nationale, le socialiste Jack Lang. Il initie la commission sur la laïcité à l’école.
« Sans enthousiasme débordant »
Lorsque les débats de l’époque sur le voile à l’école se transforment en discussion législative, l’année de mise en place de la commission Stasi (2003), Alain Seksig est invité à une table ronde à l’Assemblée nationale. Il est alors chargé de mission à la direction de l’enseignement scolaire du ministère de l’Education.
Devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, Alain Seksig confie que « c’est sans enthousiasme débordant » qu’il en est « personnellement venu à cette proposition de légiférer ».
« J’aurais préféré que la laïcité continue simplement à faire autorité, qu’ici ou là on ne la tienne pas pour datée mais au contraire, partout, comme faisant date. […] Nous avions le choix, il y a quatorze ans, lorsque éclata la première affaire du foulard. Nous ne l’avons plus aujourd’hui. »
Il donne ensuite plusieurs exemples de difficultés rencontrées par le personnel éducatif, visant à étayer ses propos sur la laïcité en danger :des jeunes rompent le jeûne en classe pendant le ramadan ; d’autres demandent à faire la prière dans les établissements ; un parent d’élève aurait reproché à une directrice d’école primaire d’avoir laissé son fils de 3 ans manger du porc.
Dix ans avant Jean-François Copé et le « pain au chocolat », Alain Seksig illustrait ses anecdotes de tranches de jambon : « Dans un grand lycée de la région parisienne, quelques élèves de confession musulmane ont souhaité se regrouper dans l’une des salles du réfectoire. Cela paraissait humain. Aucune opposition ne leur a été formulée. Aujourd’hui, cette salle a été totalement investie, annexée même, par plus d’une centaine d’élèves, et gare à celui qui oserait se présenter dans cette salle avec une tranche de jambon sur son plateau ! »
Simultanément, le fonctionnaire se prononce en faveur de la création d’écoles privées musulmanes, pour les musulmans qui le souhaiteraient : « Libres à elles de passer un contrat avec le ministère de l’Education nationale pour respecter les programmes comme cela est possible pour d’autres confessions. »
Décoré par la droite
S’il a débuté sa carrière politique au cabinet de Jack Lang, Alain Seksig plaît aussi à droite. Il est fait chevalier de l’ordre du mérite par Eric Raoult (UMP) dès 1996. Et c’est Fadela Amara qui lui décerne la Légion d’honneur en 2008.
Quel que soit le gouvernement en place, il fait preuve d’une remarquable longévité. En 2009, Nicolas Sarkozy le nomme au Haut conseil à l’intégration (HCI) où il siège toujours. Alain Seksig dirige les travaux de la mission sur la laïcité depuis trois ans…
(Crédit Photo : PATRICE MAGNIEN/20 MINUTES/SIPA)