Israël fait face au plus important mouvement de protestation de migrants subsahariens. Motif de leur colère : l’Etat juif piétine leurs droits et leur dignité, en les enfermant dans des centres de détention dans le désert.
Ils sont arrivés mardi à Jérusalem. Épuisés, très peu vêtus, malgré la température glaciale à l’extérieure. Certains foulent la neige, couvrant encore les rues de la ville trois fois sainte, de leurs sandales usées. Sur leur visage, on peut lire leur colère. Au bout de deux longues journées de marche, relayant le Sud d’Israël, à Jérusalem, ils sont environ 200 demandeurs d’asile, originaires du Soudan et d’Erythrée,à brandir des affiches devant le bureau du Premier ministre Benyamin Netanyahu et du siège du parlement, sur lesquelles on lit : « Réfugiés mais pas criminels », « En danger, pas dangereux ».
Enfermés dehors
Ces migrants subsahariens, entrés illégalement en Israël, sont partis dimanche de Beersheba, la plus grande ville du désert du Néguev, dans le sud d’Israël. Ils ont d’abord fui Holot, littéralement « sable » en hébreu, le centre de détention où ils ont été parqués par l’Etat juif, pour la ville de Beersheba, avant de reprendre la route jusqu’à Jérusalem.
Une marche pour leur dignité et rappeler à Israël ses devoirs envers eux. Une manifestation, qui rencontre un écho particulier puisqu’il coïncide avec la Journée internationale des migrants, célébrée chaque année le 18 décembre. Le dernier épisode du vieux combat des réfugiés politiques subsahariens, qui ont trouvé refuge en Israël.
Cette marche intervient tout juste deux semaines après que les députés israéliens ont approuvé un amendement à la loi sur la prévention des infiltrations, qui a pour vocation de réguler l’immigration clandestine en Israël. Avec cette loi, Israël peut désormais détenir sans durée limitée et sans procès les migrants illégaux, qui se trouvent déjà sur le sol israélien, dans des centres de détention ouverts. Pour ceux qui entrent aujourd’hui en Israël sans-papier, l’Etat juif peut les enfermer dans ces centres, pendant au moins un an sans qu’ils ne passent devant le juge.
« Rentrer chez eux ou rester » dans ces centres
Le premier centre de détention ouvert a été installé en plein désert, à plusieurs kilomètres des villes israéliennes. Une volonté politique dont ne se cache pas le gouvernement de Benyamin Netanyahu. « Cette loi va permettre d’éloigner les ‘infiltrés’ des centres de nos villes », a ainsi expliqué le ministre de l’Intérieur, Gideon Saar, ajoutant : « c’est notre responsabilité, pas celle des organisations de défense des droits de l’homme ou des tribunaux, de protéger nos frontières ». Ce centre de détention est dit « ouvert » car les migrants sont autorisés à circuler librement la journée mais doivent obligatoirement rentrer dormir dans le centre la nuit, de 22h à 6h du matin. Nourris et soignés, les détenus subsahariens, ou plutôt 10 à 20% d’entre eux selon les chiffres évoqués par les autorités israéliennes, auront même la possibilité d’être employés par l’État, moyennant, en théorie, un maigre salaire, indique le quotidien israélien Haaretz. On connaissait les réserves indiennes, les camps d’apartheid en Afrique du Sud, Israël invente donc les centres de détention ouverts. Une nouvelle prison à ciel conçue par Israël, après celle de la bande de Gaza, sous blocus depuis 2006.
Avant le vote de cette nouvelle législation, les migrants pouvaient être détenus sans procès pendant plus de trois ans. Ils étaient également enfermés de jour comme de nuit dans le centre de Saharonim, dans le désert du Néguev, sans jamais avoir la possibilité d’en sortir. Mais la cour suprême d’Israël a abrogé la précédente loi, estimant qu’elle violait les principes de dignité et de liberté. Avec la nouvelle législation, les conditions de détention des migrants se sont assouplies puisqu’ils ont la possibilité de quitter le centre au cours de la journée. Ils ne peuvent toutefois pas s’en éloigner étant donné qu’ils sont contraints de pointer trois fois par jour. Une façon de les empêcher de travailler à l’extérieur du camp, indique-t-on dans l’entourage du ministère de l’Intérieur. Et ceux qui tentent de s’échapper de Holot sont directement renvoyés à la prison de Saharonim. Selon des sources du Service des prisons d’Israël, quelque 484 détenus ont déjà été transférés de Saharonim à Holot, durant la semaine dernière.
« Ça reste les mêmes prisons »
En Israël, la nouvelle loi provoque un véritable tollé. Les associations de défense des droits de l’Homme se sont déjà emparé du dossier, criant à l’impunité de l’Etat juif. L’approbation de la nouvelle législation, qui est pire que celle rejetée par la Cour suprême, est une honte pour la démocratie israélienne », a dénoncé un collectif d’ONG, dans un communiqué, publié mercredi 11 décembre.
Du côté des réfugiés, on ne parle aussi d’une dégradation de leur traitement. « Il n’y a pas de différence », raconte Yasir Abdullah Mashin, 26 ans, un marcheur, originaire du Soudan, au New York Times. « Ça reste les mêmes prisons. Nous sommes des réfugiés ; autrement nous n’aurions jamais quitté le Soudan. Mais comment expliquer qu’un réfugié soit enfermé en prison pendant deux ans ? », interroge-t-il.
Malgré l’important mouvement de protestation, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu garde le cap. « Nous sommes autant déterminés à protéger nos frontières qu’à faire appliquer nos lois », a-t-il déclaré mardi, en invitant les migrants illégaux soit « à rester là [dans le centre de détention ouvert] soit à rentrer chez eux ».
Depuis 2005, environ 60.000 Africains, en majorité des Soudanais et des Érythréens, sont entrés en Israël. Selon le droit international, ces réfugiés politiques n’ont pas le droit d’être renvoyés chez eux étant donné les risques qu’ils encourent pour leur vie. Mais l’Etat hébreu est bien connu pour prendre ses distances avec les conventions internationales et le droit international. Cette fois, Israël se défend, expliquant qu’il ne peut pas prendre en charge ces individus, qui transitent par le Sinaï, parce qu’ils fuient moins une situation politique et sécuritaire instable dans leur pays qu’une misère sociale et économique.
Quatre heures après leur manifestation à Jérusalem, les forces de polices israéliennes ont placé les migrants en colère dans des bus. Direction le Sud. D’après un porte-parole du ministère de l’immigration, ils vont être réincarcérés à Saharonim, la prison à ciel ouvert du désert.