Alors que le bureau d’Al Jazeera à Gaza a été ce matin la cible de tirs, la situation des journalistes travaillant dans les territoires occupés est des plus préoccupante. Un rapport publié ce mardi par Reporters sans frontières (RSF) pointe du doigt l’attitude criminelle de l’État israélien, qui met en danger la vie des journalistes.
Le bureau d’Al-Jazeera à Gaza touché par des tirs
Aujourd’hui, mardi 22 juillet, le bureau d’Al-Jazeera à Gaza, situé au 11e étage d’un immeuble, a été la cible de tirs de semonce. Aucun des bâtiments alentours n’a été touché par ces bombardements. Le personnel de la chaine a été immédiatement évacué, et aucun blessé n’est à déplorer. Dans un communiqué publié sur son site Internet, Al Jazeera met en cause la responsabilité du gouvernement israélien. « Nous tenons les autorités israéliennes pleinement responsables. Elles ont mis la vie de nos journalistes en danger. Nous journalistes font un travail remarquable pour rendre à notre audience de ce qu’il se passe sur le terrain. Une menace pour l’un est une menace pour tous, et ceci est mauvais signe pour tous les journalistes travaillant à Gaza. Les journalistes doivent être protégés lorsqu’ils font leur travail […] Le journalisme n’est pas un crime ! Nous assurons notre public que nous continueront à rendre compte de tous les aspects des événements actuels, avec le plus grand professionnalisme. Nous continuerons à couvrir ce qu’il se passe, en prenant toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de nos équipes », peut-on lire dans le communiqué.
Les relations entre Al-Jazeera et les autorités israéliennes ont toujours été désastreuses. L’État hébreu accuse la chaine d’être un instrument de propagande terroriste. Hier encore, le ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, a affirmé sa volonté d’interdire les activités de la chaine en Israël. Il a accusé Al-Jazeera, financée par le Qatar, de « soutenir le terrorisme » et d’être « un maillon central de l’appareil propagandiste du Hamas ».
En réponse, le porte-parole de la chaine a affirmé que « les déclarations du ministre étaient une menace directe contre nous et semblent avoir donné le feu vert pour le ciblage de nos journalistes à Gaza ».
Israël veut-il réduire les journalistes au silence ?
Les journalistes d’Al-Jazeera ne sont pas les seuls à travailler dans des conditions particulièrement dangereuses. Les journalistes présents sur place, qu’ils soient palestiniens, israéliens ou étrangers, sont en permanent danger de mort.
Certains ont même péri sous le feu israélien. Le 9 juillet, un chauffeur de la chaine Media 24, Hamdi Shibab, a été tué dans un raid de l’aviation israélienne, alors qu’il rentrait chez lui à bord de son véhicule estampillé « Press », rapporte RSF. Le 20 juillet dernier, un journaliste palestinien de 26 ans a été mortellement blessé dans les bombardements israéliens. Khalid Hamad, 26 ans, était cameraman pour l’agence The Continue. Il a été tué au cours d’un reportage sur les attaques de l’armée israélienne contre des ambulanciers palestiniens. RSF rapporte que K. Hamad était muni de son casque et de son gilet pare-balles estampillé « Press » lorsqu’un tir a touché l’ambulance à côté de laquelle il se trouvait. Celle-ci a pris feu et Hamad n’a pas pu être évacué assez rapidement. Plusieurs autres journalistes ont été blessés depuis le début de l’opération Bordure protectrice : un cameraman de Medi 1 TV, Karim Al-Tartouri, un cameraman de l’agence Al-Watania, Mohamed Shabat, ainsi que deux journalistes de la radio Sawt Al-Wattan, Ahmed Al-Ajla et Tarek Hamdieh.
RSF rappelle que, « en vertu de la résolution 1738 du Conseil de sécurité des Nations unies de 2006 et des Conventions de Genève, l’ensemble des parties au conflit ont pour obligation de garantir la sécurité des journalistes ».
Par ailleurs, le gouvernement israélien se décharge de toute responsabilité quant à la sécurité des journalistes étrangers sur place. Lorsqu’ils rentrent à Gaza, les journalistes doivent se déclarer auprès du Government Press Office (GPO) et signer une décharge dans laquelle « ils déclarent être pleinement conscients des dangers auxquels ils s’exposent et s’engagent à ne nullement tenir pour responsable l’armée israélienne en cas de dommages ou blessures résultant des opérations militaires à Gaza, excluant d’emblée toute poursuite judiciaire à l’encontre de Tsahal » rapporte RSF. Le 19 juillet dernier, le GPO a envoyé un e-mail aux correspondants présents sur place, message que l’envoyée spéciale du Huffington Post à Gaza a relayé sur son compte Twitter. « Gaza et ses environs sont un champ de bataille. Couvrir le conflit expose les journalistes à un danger de mort », avertissent les autorités israéliennes, qui précisent que le Hamas utilise les journalistes comme boucliers humains. « Israël n’est aucunement responsable des blessures ou des dommages qui pourraient survenir suite à des reportages sur le terrain », ajoute encore le GPO dans son message.
Ces menaces masquées ne sont pas le premier fait d’armes d’Israël. RSF rappelle que « le traitement des journalistes par Israël en période de conflit a souvent été mis en cause ». Un exemple parmi tant d’autres, en 2012, Israël était accusé de bombarder sans relâche les bâtiments où travaillaient des journalistes.
Des journalistes victimes de la censure
La censure n’est certes pas une menace mortelle comparable à celle représentée par les bombes, mais elle participe également du travail de sape qui empêche les journalistes de travailler correctement à Gaza.
Diana Magnay, correspondante pour la chaine américaine CNN, couvrait en direct le lancement de l’offensive terrestre israélienne depuis la colline de Sderot, en Israël, où des Israéliens s’était réunis pour admirer le spectacle et applaudir les frappes israéliennes. Quelques minutes après la fin de sa longue intervention, parfaitement professionnelle et impartale, Magnay a tweeté : « Les Israéliens sur la colline de Sdérot applaudissent lorsque les bombes frappent Gaza. Ils menacent de détruire notre voiture si on dit un mot de travers. Ordures ». Le tweet a rapidement été effacé, mais la journaliste a été mutée par sa direction à Moscou. Un responsable de CNN a expliqué que Magnay avait été menacée par les Israéliens présents sur place ce soir-là, et qu’elle avait donc écrit ce tweet sous le coup de la colère. Visiblement, cette infime erreur lui a coûté très cher.
Un autre journaliste américain a également fait les frais de la censure pro-israélienne. Le 17 juillet, la chaine américaine NBC a rapatrié aux États-Unis son correspondant à Gaza. Ayamn Mohyeldin, un Américano-Égyptien, travaillait depuis longtemps dans les territoires palestiniens. En 2011, le magazine du Times l’avait inclus dans la liste des 100 personnalités les plus influentes du monde. Pour justifier sa décision, NBS a laconiquement invoqué des « raisons de sécurité », avant d’envoyer, un jour plus tard, 2 autres journalistes sur le terrain.
Les jours précédents son rapatriement, Ayamn Mohyeldin était tombé sous le feu de critiques lui reprochant sa couverture pro-palestinienne du conflit. En particulier, ses détracteurs l’avaient accusé de s’être trop épanché sur la mort des 4 enfants palestiniens tués le 16 juillet dernier sur une plage par un tir israélien. Si ces reproches semblent infondés, une chose est sûre : Mohyeldin était très critique envers Israël, qu’il avait accusé le 2 juillet de cibler délibérément les journalistes. « La police israélienne tire sur la foule des manifestants palestiniens et sur des journalistes clairement identifiés comme tels. Bien que nous avons crié que nous étions des journalistes, ils ont continué de nous tirer dessus et nous ont menacé de nous tuer si nous ne partions pas », avait-il écrit dans un tweet. Mais selon l’éminent journaliste américain Glenn Greenwald, « le travail de Mohyeldin ces deux dernières semaines a été bien plus équilibré que la couverture pro-israélienne habituelle qui domine la presse américaine ».
Son renvoi a soulevé un tollé dans le monde entier. La mobilisation internationale a été telle que Mohyeldin a finalement été rappelé à Gaza le 18 juillet.