L’Est de la Libye a basculé dans les mains des insurgés et Benghazi a célébré mercredi sa victoire sur le régime de Mouammar Kadhafi, dont les menaces ont poussé de nombreux pays à évacuer leurs ressortissants. La répression de la révolte libyenne, menace sans précédent pour le colonel au pouvoir depuis plus de 41 ans, a fait jusqu’à 1.000 morts, selon le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini.
Pour la première fois mercredi, un pays, la France, a demandé explicitement des sanctions contre la Libye.
« Je souhaite que soit examinée la suspension des relations économiques, commerciales et financières avec la Libye jusqu’à nouvel ordre », a dit Nicolas Sarkozy dans un communiqué.
L’Union européenne en discutait mercredi en milieu d’après-midi à Bruxelles. L’Italie, l’ancienne puissance coloniale qui a noué des liens économiques étroits avec la Libye, y était jusqu’à présent opposée mais elle pourrait changer d’avis au vu des derniers événements.
Dans un discours-fleuve mardi, Mouammar Kadhafi a juré de rester en Libye, exhorté ses partisans à descendre dans les rues pour le soutenir et menacé de « nettoyer la Libye maison par maison ».
Malgré l’appel de leur Guide à manifester, seulement 150 personnes se sont rassemblées mercredi sur la place Verte de Tripoli, agitant drapeau libyen et portrait du colonel.
BASE MILITAIRE ABANDONNÉE
Les rues étaient presque désertes à l’heure où, d’ordinaire, les artères de Tripoli sont bloquées par les embouteillages; quelques cafés étaient les seuls commerces ouverts malgré les appels du gouvernement à reprendre le travail.
« Beaucoup de gens ont peur de quitter leurs maisons à Tripoli et les miliciens pro-Kadhafi patrouillent et menacent les gens qui se rassemblent », a raconté un Tunisien, Marouane Mohamed, à la frontière entre la Libye et son pays.
Les nombreux travailleurs immigrés fuient le pays et les opérations d’évacuation des ressortissants européens ont commencé. Quelque 400 Français sont arrivés à Paris dans la nuit, rapatriés par l’armée de l’air française.
Kadhafi tente d’empêcher la contagion en déployant des soldats en Tripolitaine, province de l’Ouest libyen, tandis que la Cyrénaïque, à l’Est, est déjà tombée selon les habitants de Benghazi et les troupes passées dans le camp des insurgés.
La chaîne britannique Sky News a montré une base militaire abandonnée près de Tobrouk, à une centaine de kilomètres de la frontière égyptienne.
Si les plaines de Cyrénaïque et les monts du Djebel al Akhdar sont plutôt calmes, la capitale de la région, Benghazi, est en effervescence.
Dans cette ville de 700.000 habitants, d’où la révolte est partie il y a une semaine, les cris de joie se perdent dans les explosions de pétards et coups de klaxons. Les opposants, nouveaux maîtres des lieux, agitent les drapeaux tricolores (rouge-vert-noir) datant du roi Idriss renversé en 1969 par Kadhafi et distribuent de la nourriture aux passants en même temps qu’ils restituent les armes.
DÉFECTIONS EN SERIE
Une partie de l’armée et de la diplomatie libyennes commencent à lâcher le Guide.
L’équipage d’un avion militaire a refusé de bombarder Benghazi et sauté en parachute, laissant l’appareil s’écraser au sud-ouest de la ville, rapporte le journal local Kourina.
Plusieurs représentants de la Libye, à l’Onu, Paris et dans d’autres capitales, ont condamné l’attitude du numéro un libyen.
D’autres proches de Kadhafi ont fait défection, comme le ministre de l’Intérieur, Abdel Fattah Younes al Abidi, et un haut conseiller de Saïf al Islam Kadhafi, l’un des fils du colonel.
Réuni mardi, le Conseil de sécurité des Nations unies a condamné l’usage de la violence. Le Premier ministre britannique, David Cameron, souhaite qu’il aille plus loin et demande mercredi l’adoption d’une résolution condamnant explicitement le recours à la force.
Le Premier ministre du Qatar a déclaré que l’émirat ne voulait pas que la Libye soit isolée, soulignant la division d’une communauté internationale qui s’inquiète également des suites économiques de ce soulèvement.
Selon les calculs de Reuters, un quart de la production libyenne de pétrole a été suspendue, conséquence de l’abandon et du pillage des installations pétrolières du troisième producteur d’Afrique. Le prix de l’or noir a atteint mercredi son plus haut niveau depuis deux ans et demi, à plus de 110$.