Dans ses vœux à la Culture, Nicolas Sarkozy a tenu à se placer en « protecteur de notre Culture » et défenseur du droit d’auteur. Le chef de l’Etat souhaite ainsi « déployer une stratégie globale » pour lutter contre le téléchargement illégal, en commençant par l’Hadopi. Toutefois, « si cela ne suffit pas, [il est] prêt à aller plus loin » afin de « dépolluer les réseaux ». Le président appelle ainsi à « expérimenter sans délai les dispositifs de filtrage ».
Des « prétextes pour instaurer un filtrage général »
Interrogé par Nouvelobs.com, Jérémie Zimmermann, porte-parole et cofondateur de la Quadrature du net, s’inquiète de cette « grosse tendance » législative. « Le filtrage est déjà sur les rails avec les lois Hadopi et Loppsi », rapporte-t-il.
Pour l’Hadopi, le texte prévoit qu’elle « évalue les expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance des contenus et de filtrage par les concepteurs de ces technologies » afin de lutter contre le téléchargement. De son côté la prochaine loi Loppsi, concoctée par le ministère de l’Intérieur, prévoit d’instaurer un filtrage des sites pédophiles afin de lutter contre la pédopornographie.
Le piratage et la pédopornographie : un « prétexte pour instaurer un filtrage général », estime Jérémie Zimmermann. « Le filtrage ne fonctionne pas, c’est comme mettre la poussière sous le tapis. Ceux qui s’adonnent à la pédopornographie savent très bien contourner les dispositifs de filtrage », estime-t-il.
« La vraie solution n’est pas de filtrer mais de faire enlever les contenus pédopornographiques. Seulement, la Russie et les Etats-Unis ont toujours été réfractaires à cette idée. Il faudrait que des pays aient enfin le courage de l’exiger », explique le porte-parole de la Quadrature du net.
« Instaurer le filtrage, c’est ouvrir la porte à la censure du web »
« Il est tout à fait possible de contrôler les contenus », a fait valoir Bono dans une tribune publiée par le New York Times. Pour contrer le piratage, le chanteur du groupe U2 en appelle même à une transposition des mesures de filtrage de la Chine…
Jérome Roger, porte-parole de la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF), confiait à PC Inpact être très attentif aux engagements concernant le filtrage des contenus pédophiles pour à terme déployer « des solutions de filtrage […] à l’égard des contenus ».
Pourtant, les dérives de tels dispositifs de filtrage sont faciles à imaginer si le gouvernement est aux commandes du filtrage d’Internet. « Bientôt seront filtrés les sites de jeux interdits, les sites marchants ne payant pas la TVA, puis pourquoi pas les sites faisant offense au président de la République… », pronostique Jérémie Zimmermann. « Instaurer le filtrage, c’est ouvrir la boite de Pandore, ouvrir la porte à la censure du web. » Pour le porte-parole, le filtrage de la pédopornographie est « un cheval de Troie pour le filtrage des autres contenus ».
Une entrave à la liberté d’expression
La volonté de filtrer le web est « la prochaine grosse tendance législative », estime Jérémie Zimmermann. Il rappelle la négociation secrète sur un traité international dénommé Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA). Discuté depuis 2007, cet accord vise à mettre en place une lutte internationale contre le téléchargement illégal de contenus protégés par le droit d’auteur.
« D’après un document publié sur le web sur les négociations, l’ACTA prévoit que les opérateurs Internet soient responsables des contenus hébergés chez eux, et risquent les tribunaux si ces contenus sont protégés » par des droits d’auteurs, rapporte le porte-parole de la Quadrature du net. « Les opérateurs [fournisseurs d’accès, sites de partages de vidéo, blogs…] deviendraient alors des auxiliaires de police. C’est la plus grosse menace sur nos libertés ». Fournisseurs d’accès et autres opérateurs seraient ainsi contraints d’installer le filtrage réclamé par les autorités.
Le filtrage, s’il est instauré, serait sans conteste une limitation de l’accès à Internet, donc une entrave à la liberté d’expression.
« Internet, c’est cette ouverture totale, cette liberté sans limitation, ce formidable foisonnement d’idées novatrices qui permet à deux mecs dans leur garage de créer Twitter, aujourd’hui coqueluche du web », décrite Jérémie Zimmermann. « Le filtrage met tout ça en danger, avec comme en Chine ou en Iran des manipulations d’Etat. Ca fait froid dans le dos… »
Boris Manenti
nouvelobs