Le traité européen de Lisbonne après le OUI Irlandais du 02 octobre 2009

Redaction

lisb Les Irlandais se sont présentés à nouveau aux urnes en ratifiant cette fois le Traité de Lisbonne le vendredi 02 octobre 2009 où le oui l’a emporté avec 67,1% selon des résultats officiels diffusés samedi par la radio- télévision publique irlandaise le 03 octobre 2009. Mais existe un autre enjeu de taille convaincre la Tchéquie où le président est un eurosceptique puisque la Pologne a fait savoir courant septembre 2009 qu’elle ratifiera le Traité en cas de la victoire du oui de l’Irlande. C’est que la constitution européenne se propose d’abroger l’ensemble des traités actuels et de les remplacer par un texte unique, le traité de Lisbonne se bornant à modifier les traités existants, d’où le nom de «traité modificatif» ou «mini-traité», expliquant le choix de la ratification parlementaire dans de nombreux pays excepté l’Irlande dont la constitution prévoit le référendum. Le traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 par les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 Etats membres devait permettre à l’Union européenne selon les propos de leurs initiateurs « de disposer d’institutions modernes et de méthodes de travail optimisées grâce auxquelles elle devait relever efficacement les défis de la mondialisation » et qui devrait entrer en application avant le 31 décembre 2009. A cet effet, je mets en relief neuf axes directeurs contenus dans le traité de Lisbonne.

I- LE CAS DE L’IRLANDE ET L’AVENIR DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE

La république d’Irlande a une population qui était estimée à 4.5 millions d’habitants fin 2008, soit une densité moyenne d’environ 60 habitants au km², la plus faible de l’Union européenne. Ce chiffre dissimule un très fort déséquilibre en termes de répartition géographique: plus d’un tiers de la population se concentre, en effet, à Dublin et, dans certaines zones côtières de l’ouest, la densité s’élève jusqu’à 160 habitants au km². Rappelons que l’Irlande a connu une prospérité économique inégalée, avant la crise d’octobre 2008, avec selon les données officielles 2007, un taux de chômage de 4,5 %, un produit intérieur brut de plus de 254 milliards de dollars, un PIB par habitant de plus de 58.000 dollars, des investissements totaux à l’étranger dépassant les 410 milliards de dollars et des investissements totaux de l’étranger de plus de 420 milliards de dollars. En effet, ce pays a connu un développement du secteur des technologies de pointe (informatique, paramédical, les dépenses en recherche développement représentant en 2007 en US/PPA de 2,3 milliards de dollars, soit plus de 1,30 % du PIB) grâce à l’implantation de nombreuses entreprises étrangères, notamment américaines, attirées par de fortes subventions et le coût relativement bas de la main-d’oeuvre et à sa politique fiscale. En poste depuis le 6 mai 2008, le nouveau Premier ministre irlandais, Brian Cowen, qui était en charge du dossier européen n’a pu relever un défi de taille: convaincre les citoyens irlandais de voter «oui» au nouveau traité.

Rappelons que les Irlandais avaient déjà rejeté celui de Nice en 2001 avant de l’entériner un an plus tard lors d’un second vote. Brian Cowen, qui était alors en charge du dossier européen, a pris ses fonctions à la tête du gouvernement irlandais, après la démission de Bertie Ahern, soupçonné de corruption désigné sans élection, ce qui accroît son déficit démocratique. Or, les résultats qui étaient attendus ont été plus fort dans la mesure où, selon les résultats officiels en date du 13 juin 2008, 53,4 % d’Irlandais ont voté non avec un taux de participation assez élevé, environ 53,20 %, et bien que les trois principaux partis politiques irlandais (le Fianna Fail du Premier ministre Brian Cowen, le Fine Gael et le Parti travailliste, dans l’opposition) ont soutenu le traité de Lisbonne, appuyé par les syndicats, les organisations patronales et agricoles. Le «non» a été défendu par une coalition hétéroclite invoquant cinq arguments :premièrement, on ne comprend rien à ce texte; -deuxièmement,l ‘Irlande va perdre le contrôle en matière de fiscalité, de commerce ou de moeurs (sur l’avortement, par exemple);-troisièmement, ce texte menace la neutralité militaire du pays; -quatrièmement, l’Europe veut profiter des nouvelles répartitions de compétence pour sacrifier la PAC et les agriculteurs qui en bénéficient et enfin cinquièmement la nouvelle venue de travailleurs de l’Union notamment des pays de l’ex-camp communiste va faire perdre les emplois des Irlandais et accentuer la pression pour abaisser les salaires. Mais nouvelle donne, la crise mondiale est survenue depuis la crise des prêts hypothécaires aux USA en août 2007 et l’Irlande est touchée de plein fouet avec une récession sans précédent et les populations sentent intuitivement que leur salut ne peut provenir que d’une intégration plus poussée avec l’Europe, les Irlandais voyant en l’UE comme un refuge en cette période de turbulences, ce qui explique que cette situation qui a facilité la victoire du «oui» et également que le parti Libertas, qui avait été à la tête du camp irlandais du «non», a subi une cuisante défaite et son président n’a pas été réélu lors des récentes élections européennes.

Le Oui a été facilité également par les assurances, pour éviter un nouveau rejet, des dirigeants européens qui se sont mis d’accord le 19 juin 2009 pour garantir à Dublin que le traité de Lisbonne ne remettra en cause ni la neutralité militaire de l’île, ni son régime fiscal, ni l’interdiction de l’avortement, aspects que j’ai évoqués précédemment. Les chefs d’Etat européens ont également réaffirmé que chaque pays gardera son commissaire à Bruxelles, quelque soit le nombre d’habitants. Initialement le traité prévoyait le passage en 2014 à une commission resserrée de 18 commissaires au lieu de 27, ce qui faisait craindre aux Irlandais que leur «petit» pays ne soit pas représenté à Bruxelles.

II-LE FONDEMENT DU TRAITE DE LISBONNE

A cet effet, je mets en relief neuf axes directeurs contenus dans le traité de Lisbonne dans sa version originale.

– Premièrement, ce traité prévoyait une commission réduite (2009-2014), un commissaire issu de chaque Etat membre et à partir de 2014, le nombre de commissaires correspondra aux deux tiers des Etats membres (soit 18 dans une Union composée de 27 Etats membres), les membres étant sélectionnés selon un système de rotation égalitaire entre les Etats.

-Deuxièmement, il instaure un Conseil européen stabilisé ayant pour but de définir les grandes orientations européennes. Car actuellement en application du traité de Nice, le Conseil européen est présidé tous les six mois par un Etat membre, ce qui nuit à la stabilité des travaux du Conseil européen. Le traité de Lisbonne prévoit la création d’une présidence stable. Comme le Parlement européen et comme la Commission , le Conseil européen aura un président à plein temps, qui ne pourra pas exercer de mandat national. Il sera élu à la majorité qualifiée par le Conseil européen pour un mandat de deux ans et demi renouvelable une fois président et coordonnant les travaux du Conseil européen et représentant de l’Union européenne sur la scène internationale.

-Troisièmement, l’établissement d’un Conseil des ministres des Etats membres de l’Union ayant pour rôle principal de voter les actes de l’Union européenne. Ce Conseil des ministres siège en public lorsqu’il délibère et vote, ce qui va dans le sens de la démocratisation de l’Union européenne. Autre innovation, à la différence du Parlement européen, où l’on vote à la majorité simple, la règle de vote au Conseil prend en compte le poids respectif de chaque Etat de manière à ce que les «lois» votées reflètent à la fois la volonté de la majorité des citoyens européens mais aussi la réalité du poids des Etats membres de l’Union. C’est ce que le traité de Lisbonne qualifie «double majorité» des Etats et des citoyens.

-Quatrièmement, ce traité crée un Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Il fusionnera les fonctions actuelles de Haut Représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune (poste occupé aujourd’hui par Javier Solana) et de Commissaire européen chargé des relations extérieures (poste occupé actuellement par Benita Ferrero-Waldner). Cette fonction devrait favoriser une cohérence et une unité plus grandes à l’action extérieure de l’Union européenne. Il sera nommé par le Conseil européen et investi par le Parlement européen, il sera vice-président de la Commission européenne et présidera le Conseil des affaires étrangères du Conseil des ministres.

-Cinquièmement, le renforcement des pouvoirs du Parlement en matière législative, budgétaire mais aussi de contrôle politique. Cela est lié au renforcement de la démocratie représentative qui constitue un élément central de la démocratisation de l’Union prévue par le traité de Lisbonne. Dans ce cadre, le Parlement investit le président de la Commission sur proposition du Conseil européen, «en tenant compte des élections du Parlement européen». Ce qui donnerait, selon les rédacteurs du texte, au président de la Commission une légitimité démocratique plus grande, afin d’éviter la technocratisation de Bruxelles «déconnectée» des citoyens. Pourtant, comme cela s’est passé récemment, bon nombre d’Etats privilégiant la stabilité ont reconduit l’actuel président de la commission avant la ratification définitive du Traité de Lisbonne fin 2009.

-Sixièmement, le traité accorde une importance à la démocratisation participative de rapprocher les citoyens de la prise de décision en Europe en introduisant des éléments qui favorisent la participation des citoyens à la vie démocratique de l’Union. Ainsi, les citoyens européens peuvent, dès lors qu’ils réunissent un million de signatures au moins provenant d’un nombre significatif d’Etats membres, demander à la Commission de proposer un «projet de loi». Cela devrait permettre de renforcer la possibilité donnée aux organisations et aux associations de la société civile de prendre part aux décisions européennes d’autant plus que le Conseil des ministres siège en public lorsqu’il délibère et vote la législation.

-Septièmement, en matière économique il y a peu de modifications, excepté que la structuration des liens des Etats membres ayant adopté l’euro est clarifiée afin de coordonner plus étroitement leurs politiques économiques budgétaires et fiscales. En matière de politique monétaire, la Banque centrale européenne (BCE) est compétente pour les Etats de la zone euro. En matière de politiques budgétaires et fiscales, les Etats membres sont seuls compétents mais devant respecter des règles du pacte de stabilité et de croissance, le déficit public devant rester inférieur à 3 % du PIB; la dette publique devant être contenue en dessous de 60 % du PIB. En cas de non-respect des règles du Pacte de stabilité et de croissance, le Conseil émet des recommandations et prend éventuellement des sanctions sous forme d’amende pouvant aller de 0,2 à 0,5 % du PIB.

-Huitièmement, le traité de Lisbonne assigne de nouveaux objectifs sociaux à l’Union européenne, en introduisant une clause sociale «liée à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l’exclusion sociale, ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine».Il consacre également le rôle des partenaires sociaux et renforce le dialogue social, le Conseil européen de printemps étant consacré chaque année à la croissance et à l’emploi, avec la reconnaissance de diverses possibilités de consultation, notamment le sommet social tripartite entre les partenaires sociaux européens et l’Union.

-Enfin, neuvièmement, concernant les conditions d’adhésion, pour adhérer à l’Union européenne, trois conditions doivent être remplies appelées «critères de Copenhague» du nom du lieu du Conseil européen de 1993 où ils avaient été définis: le critère politique: la présence d’institutions stables garantissant la démocratie, l’Etat de droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection; le critère économique: l’existence d’une économie de marché viable; le critère de l’acquis communautaire et l’aptitude à assumer les obligations découlant de l’adhésion, et notamment à souscrire aux objectifs de l’Union politique, économique et monétaire. Mais pour la première fois, il est prévu une clause de retrait de l’Union européenne. Le Conseil statue à la majorité qualifiée après approbation du Parlement européen. Si l’Etat qui a quitté l’Union européenne souhaite de nouveau l’intégrer, il doit faire une nouvelle demande d’adhésion et satisfaire aux conditions d’adhésion.

CONCLUSION- POUR UNE EUROPE OUVERTE SUR LA MÉDITERRANÉENNE ET L’AFRIQUE

En fait, il s’agit d’éviter que le traité de Lisbonne se limite au strict cadre économique alors que l’objectif visé est une Europe politique, plus sociale et plus citoyenne , surtout face à l’ampleur de la crise mondiale de définir de nouveaux mécanismes de régulation synchronisant sphère réelle et sphère financière, par une coordination sans faille de tous les Etats européens assistant à des politiques dites nationales dépassées et surtout favoriser un co-développement avec le sud de la méditerranée et l’Afrique qui abritera horizon 2020/2025 plus de 1,5 milliard d’ habitants si l’on veut éviter ce phénomène croissant des harragas, produit de la misère humaine. Ce d’autant plus que tous les enjeux des années à venir que l’Europe risque d’être sérieusement concurrencée par des pays émergents comme l’Inde et la Chine sans compter l’espace du couple latino américain/ USA d’où l’importance à la fois d’un rééquilibrage en faveur de la rive Sud de la Méditerranée dont l’intégration économique , sous segment de l’ Afrique, est vitale. Mais force est de reconnaître que les résultats du processus de Barcelone sont mitigés loin des attentes, du fait d’un manque de cohérence et de visibilité dans la démarche afin de faire du bassin méditerranéen un lac de paix et de prospérité partagé et que l’UPM est encore au stade de projet.

Docteur Abderrahmane MEBTOUL, économiste, Algerie-Focus.com