Les musulmans sommés de se désolidariser de l’État islamique autoproclamé

Redaction

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Alors que l’organisation « État islamique », aussi appelé Daech, est omniprésente dans les médias et sur les réseaux sociaux, les musulmans du monde entier sont incités, de plus en plus pressement, à dénoncer les agissements barbares de ce groupe djihadiste. Cette dénonciation permet-elle l’expression de la majorité silencieuse au sein de la communauté musulmane ou, au contraire, renforce-t-elle les amalgames entre Islam et terrorisme ?

Au sein de la communauté musulmane, les deux discours existent. Certains musulmans trouvent important que la majorité silencieuse puisse s’exprimer, d’autres pensent qu’ils n’ont pas à dénoncer publiquement des agissements qu’ils n’ont jamais soutenus.

Dénoncer l’État islamique autoproclamé, un « devoir » pour certains

La campagne « Not in my name » est un exemple parmi d’autres de la dénonciation publique des actes barbares commis par l’État islamique autoproclamé. Lancée par la fondation Active Change après l’assassinat de l’humanitaire britannique David Haines, cette campagne encourage les musulmans du monde à se désolidariser de Daech. Elle a rencontré un franc succès sur les réseaux sociaux. De très nombreux messages à travers le monde ont été postés avec le hashtag #NotInMyName (« Pas en mon nom »), majoritairement par des jeunes musulmans.

Des initiatives comme celle-ci visent à contrer la propagande qu’effectue l’organisation « État islamique » sur les réseaux sociaux. « Les jeunes musulmans sont en colère de voir ces criminels qui utilisent les réseaux sociaux pour radicaliser les jeunes et diffuser leurs discours violents au nom de l’Islam », explique Hanif Qadir, fondateur de la fondation Active Change, au Huffington Post.

La dénonciation vient également des responsables musulmans. En France notamment, les institutions représentatives des musulmans ont tenu à dire leur horreur face aux agissements de Daech. Mohammed Moussaoui, président de l’Union des mosquées de France (UMF), estime que « des mots et des actions forts sont attendus ». « Il faut que les musulmans de France regardent les choses en face et dénoncent avec force la radicalisation », a-t-il déclaré dans les colonnes du quotidien Libération.

Dans une tribune publiée sur le site du Figaro, un collectif de musulmans va encore plus loin. Il ne faut pas se contenter d’exprimer notre fraternité, déclarent ces musulmans issus de la société civile. « Il est de notre devoir, au nom précisément de cette religion de paix et du véritable islam, d’appeler tous les musulmans qui veulent rester fidèles à ces valeurs cardinales, à exprimer, là où ils sont et quelles que soient les circonstances, leur dégoût devant cette ultime manifestation de la barbarie », écrivent-ils.

Ne pas céder à un « mouvement de culpabilisation »

Un « devoir » de dénonciation. Voilà précisément ce qui choque d’autres musulmans, qui estiment qu’ils n’ont pas l’obligation de se désolidariser d’agissements qu’ils n’ont jamais soutenus.

« Le seul fait qu’on me le demande est pénible, cela sous-entend que je pourrais ne pas condamner ces actes », déplore Fateh Kimouche, fondateur du site Al Kanz, au Parisien. « Demande-t-on aux catholiques de se désolidariser des prêtres pédophiles ? », interroge en retour Corrine Torrekens, professeur à l’université libre de Belgique.

Certains, comme le collectif contre l’islamophobie en France, voient donc dans cet appel à la dénonciation un « mouvement de culpabilisation imposé aux musulmans de France ».

Le site Rue89 dénonce quant à lui une islamophobie à peine voile. Dans une tribune publiée jeudi, la rédaction s’indigne : « On est en absurdie : voilà qu’on demande aux musulmans de se désolidariser de la barbarie de l’Etat islamique autoproclamé ! Comme si on demandait aux femmes de se désolidariser de Nabila (…) ».

« Pourquoi demande-t-on aux musulmans de se désolidariser de l’assassinat d’Hervé Gourdel en Algérie ? Pourquoi des musulmans ressentent-ils la nécessité de condamner, plus fortement que les autres, cet acte odieux ? Pourquoi des musulmans anglais ont-ils lancé une campagne antiterroriste sous le slogan « Not in My Name » ? Pourquoi LeFigaro.fr a-t-il proposé un sondage dont la question était : « Estimez-vous suffisante la condamnation des musulmans de France ? », avant de le retirer ? Pourquoi nous attendons-nous à ce que les musulmans le fassent ? », interroge le journal électronique.

« La logique à l’œuvre dans tout cela est terrible. Elle présuppose que les musulmans seraient, par défaut, solidaires des actes des terroristes. Elle présuppose que tout musulman est relié au terrorisme islamiste et qu’il doit publiquement couper ce lien. Elle présuppose une suspicion a priori. Une suspicion qui est parfois explicite mais qui est le plus souvent sourde, voire intériorisée par les musulmans eux-mêmes (…) Cette logique relève de ce qu’on appelle, à défaut d’avoir un autre mot, « l’islamophobie ». Elle s’est insinuée partout. C’est une logique folle », dénonce Rue89.

Une « logique folle » contre une autre encore plus folle, la question paraît insoluble. Faut-il que les musulmans passent sous silence les atrocités commises par l’organisation « État islamique », au risque de voir la propagande djihadiste se répandre comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux ? Ou doivent-ils, au contraire, employer tous les moyens possibles pour dénoncer ces horreurs, prenant le risque d’un renforcement des liens entre islam et terrorisme ?

Les deux attitudes ne sont pourtant pas irréconciliables. Comme l’écrit Aziz Senni, membre fondateur de l’Union des démocrates et indépendants (UDI, un parti politique français), sur le site du Parisien, « on ne devrait pas dire « Not in my name » parce que je suis musulman, mais parce que je suis humaniste ».

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