Le Liban se fait l’écho de la révolution syrienne. A Tripoli, des factions armées des quartiers pauvres de Bab al-Tebbaneh et Baal Mohsen, respectivement à dominante sunnite et alaouite, se sont affrontés durant plusieurs semaines avant une intervention maladroite de l’armée libanaise.
De récents affrontements sporadiques entre rivaux historiques aujourd’hui polarisés entre le camp révolutionnaire et les maillons du régime syrien, ont touché de nombreuses régions libanaises. Damas n’ayant jamais vraiment quitté le Liban malgré son retrait officiel en 2005, le conflit exacerbe dangereusement les oppositions au sein de la classe politique libanaise. Le Liban sera-t-il encore une fois victime d’une guerre d’influence régionale ? Retour sur ces tensions politiques et communautaires.
Une politique attentiste au Sud source d’inquiétude
Suite au retrait de l’armée israélienne du Liban sud en Mai 2000, un conflit latent s’est installé dans la région entre le Hezbollah et Israël. En effet, sous couvert de maintenir une force de résistance, le Hezbollah n’a cessé de déployer ses forces le long de la frontière et ce parallèlement aux effectifs déployés des Forces Intérimaires des Nations Unies au Liban (FINUL). Cependant, son implantation stratégique au sud va bien au delà de son agenda politique visant à contrer les velléités israéliennes. Il s’agit également de préserver une zone tampon face au fragile statu quo maintenu entre forces politiques du 14 Mars, en majorité présentes au nord et que conduit Saad Hariri, et celles du 8 Mars qui comprend le parti du Hezbollah.
Cet équilibre est remis en cause lorsque le peuple syrien se soulève dès mars 2011. L’axe Iran-Syrie-Hezbollah est mis à mal et le conduit politico-militaire des trois forces alliées est déstabilisé. La situation dramatique de la Syrie polarise alors dans son extrême les deux courants adversaires au Liban: le maintien de la branche militaire du Hezbollah -soutenu par la Syrie- est-il légitime au nom d’une lutte de résistance face à Israël ? Ou bien ne s’agit-il pas de maintenir une force armée servant des intérêts extra territoriaux menaçant l’intégrité du pays? Par ailleurs, le rapatriement des armes du Hezbollah de la Syrie vers le Liban sud sont pour une partie de l’opinion publique libanaise, annonciateur de conflits internes mais également externes face au voisin israélien. Les liens officiels entre les deux alliés sont d’autant plus désavoués qu’ils alimentent un conflit communautaire entre sunnites et chiites exacerbé par les appels des uns et des autres à soutenir l’ASL ou le régime en place.
Le conflit syrien s’invite dès lors sur la scène politique libanaise et place le Hezbollah dans une position délicate. S’agissant du courant du 8 Mars, sa ligne politique étant alignée sur celle de la Syrie la marge de manœuvre s’avère limitée. Si Damas cherche à externaliser le conflit au pays du cèdre, le Hezbollah, malgré son soutien indéfectible à la Syrie, sait bien qu’il n’est pas dans son intérêt d’afficher un soutien clair à Assad.
Il faut également signaler l’évolution sensible du discours du Hezbollah en affichant d’abord en 2011 un soutien explicite au régime syrien, puis une posture plus discrète et silencieuse. Il ressort nettement de la diplomatie du Hezbollah en 2012 une volonté de ne pas compromettre son alliance avec le président syrien, tout en évitant de s’aliéner une majorité de libanais hostile au président Bashar al-Assad. Ainsi, lorsqu’il critique les massacres commis à Houla, Nasrallah le fait sans designer de responsable. Cependant, en faisant preuve de passivité face aux risques d’une guerre civile libanaise, le Parti de Dieu tente également de prouver que le Liban n’a pas encore dépassé l’héritage de Taëf, qui légalise l’occupation syrienne sur le territoire libanais, et ne peut s’extraire de ses querelles confessionnelles sans une Syrie aux couleurs des Assad pour jouer le rôle de médiateur au Liban.
S’agissant du 14 Mars, les soulèvements révolutionnaires apparaissent comme une opportunité de rappeler le soutien immuable entre le Hezbollah et le régime syrien alors que le Liban peinait à se défaire d’une tutelle encombrante en 2005. Le courant du 14 mars y voit également l’occasion de « neutraliser » la force politique et militaire du Hezbollah dont certains membres ont été mis en cause dans l’assassinat de l’ex premier ministre Rafic Hariri par le Tribunal Spécial Pour le Liban (TSL). Lorsque le président Michel Sleiman appelle au dialogue national en vue de tempérer les rivalités entre factions dont les membres s’affrontent sur le territoire national, la question brûlante du désarmement des milices, visant indirectement les armes du Hezbollah, est sujet de discorde.
Allié de Damas, le Parti de Dieu est alors en ligne de mire. Quelle peut être sa stratégie? Acculé et pressé par la communauté chiite et ses alliés aounistes de s’imposer dans le bras de fer face au 14 Mars, Hassan Nasrallah ne change pas sa ligne politique et rappelle la neutralité du gouvernement face à la crise syrienne. Ainsi, lorsque onze libanais de confession chiite sont kidnappés en Syrie, il appelle à la retenue, conscient qu’une partie de l’opinion libanaise se considère prise dans un étau chiite au sud où l’influence du Hezbollah est omniprésente. Au même moment, le débordement syrien au nord voit apparaître un bastion sunnite gagné à la cause de la résistance syrienne.
Nouveau front d’hostilité au nord
Bien que les signes alarmistes se propagent généralement par le Sud du fait de la présence contestée d’Israël dans les fermes de Chebaa, la particularité de cette crise est qu’elle touche le Nord par un effet de contagion provenant de la Syrie. Les éléments propices au conflit sont réunis : 28000 refugiés syriens sont logés chez l’habitant et non dans des camps comme le fait la Turquie, le gouvernement à majorité pro-Hezbollah n’ayant pas pour dessein d’insister sur le caractère humanitaire du conflit. Des membres de l’ASL se manifestent également sur le territoire -dans le Akkar- compliquant ainsi l’équation politique.
La situation prend une tournure dramatique le 12 Mai, lorsque Shadi Al Mawlawi, citoyen libanais sunnite et soutien de l’opposition syrienne est arrêté à Tripoli par Abbas Ibrahim directeur général de la Sureté Générale, affilié au Hezbollah. Soupçonné de liens terroristes et, bien plus inquiétant, de servir d’intermédiaire entre un citoyen qatari également arrêté Abdel-Aziz Atiyeh et un autre homme dont l’identité demeure inconnue, ces arrestations révèlent l’implication de Mawlawi dans un réseau de financement destiné à la résistance syrienne. Accusé de pointer du doigt la communauté sunnite et de jouer le jeu de Damas en arrêtant un homme ouvertement opposé à Assad, le gouvernement est mis en cause et plusieurs membres de l’opposition en demandent la démission.
S’ensuivent des heurts qui causent plus d’une trentaine de victimes et une centaine de blessés dans les quartiers tripolitains de Jabal Mohsen et Bab al-Tabbaneh. Le 20 mai, Sheikh Ahmed Abdul Wahed, de confession sunnite, est tué au niveau d’un check point militaire dans la région du Akkar au Nord Liban. Bien que dans la foulée, Mawlawi soit relâché, la mort du sheikh entérine définitivement l’antagonisme entre pro et anti-Assad -et progressivement entre sunnites et alaouites/chiites- dans le nord du Liban et à Beyrouth.
La mise en cause de l’armée libanaise dans cet incident traduit également la situation précaire d’une institution historiquement perçue comme vecteur de cohésion au sein du pays, garante des libertés face aux velléités des différentes communautés dont les actions rappellent les conséquences dévastatrices de la guerre civile libanaise. A cela s’ajoute la présence grandissante d’armes dans les camps palestiniens. On se rappelle de l’escalade de violence à Nahr el Bared, théâtre de violents affrontements en 2007 entre l’armée libanaise et les mouvements Fath al-Islam et Jund Al Sham.
En somme le départ de la Syrie en 2005 n’aura pas permis au Liban d’être exempté de son influence. Il faudra beaucoup d’habilité au gouvernement pour maintenir une position neutre et rétablir le calme au sein du pays. L’offensive lancée par l’ASL à Damas a certainement poussé Bachar El Assad à demander un alignement clair de la part de ses alliés et voisins. Le gouvernement libanais a déjà interrompu l’aide aux refugiés syriens présents sur le territoire. Enfin, si l’ASL ne gagne pas la bataille d’Alep, il faudra peut être envisager la possibilité du maintien au pouvoir du président syrien et l’entrée de l’opposition dans le gouvernement. Cette issue diplomatique évoquée par la communauté internationale ne signifiera qu’une chose pour le Liban : le Hezbollah en sortira intact et les tensions entre forces politiques monteront dangereusement d’un cran au pays du Cèdre.
Shereen Dbouk
cet article a été initialement publié sur le site d’analyse politique sur le monde arabe ArabsThink.com