L’incroyable destinée des filles afghanes déguisées en hommes

Redaction

En Afghanistan, des fillettes se travestissent en garçons, par obligation et parfois par choix. Qui se cachent derrière celles qu’on appelle les Bacha Posh, littéralement « celles qui s’habillent en homme » ? Retour sur une coutume afghane ancienne, secrète et taboue.

Leur trajectoire rappelle celle de l’héroïne de La nuit sacrée, le chef d’oeuvre de Tahar Ben Jelloun. Comme elle, de petites filles afghanes trompent leur monde sur leur genre. Elles portent le cheveu court ou dissimulé, gainent leur poitrine, enfilent des vêtements masculins et fréquentent les garçons de leur âge.

Une métamorphose souvent imposée par le cercle familial en manque d’héritier mâle. En Afghanistan, ne pas donner naissance à un garçon, c’est risqué l’opprobre sociale et la misère économique. Alors pour éviter le déshonneur, les parents déguisent, dans le plus grand secret, l’une des leurs filles. La progéniture féminine deviendra un garçon sur qui compter pour faire les courses, travailler et subvenir aux besoins si le père venait à mourir.

Moins qu’un sacrifice, ce choix familial est souvent perçu comme une fenêtre de liberté pour ces fillettes. Elles ont le droit de se déplacer comme bon leur semble, dans un pays où la rue appartient aux hommes. Et surtout d’étudier. Un luxe auquel n’ont pas le droit de prétendre leurs sœurs, car, finalement, dix ans après la chute du régime des Talibans, peu de choses ont changé pour les femmes afghanes. Enfermées entre quatre murs ou dans une burqua, leur quotidien reste encore brimé par les hommes. Plus de 80% des femmes sont analphabètes et fréquenter l’école demeure un acte courageux.

Comment devenir une femme après une enfance à se comporter comme un homme ?

Mais la liberté n’a qu’un temps pour celles qu’on appelle les Bacha Posh. A l’âge de la puberté, avec l’écoulement des premières règles, les religieux rétablissent la loi naturelle et ces garçons doivent assumer leur féminité. Ces filles doivent alors rentrer dans le rang : se marier, enfanter et renoncer à leur liberté d’antan. Un retour à la réalité difficile pour elles. Les séquelles psychologiques sont souvent graves pour celles qui ont grandi dans la peur d’être démasquées et qui se retrouvent sous un voile, du jour au lendemain.

Comment devenir une femme quand on a passé son enfance à se comporter comme un homme ? C’est à cette question que tente de répondre le documentaire bouleversant réalisé par Stéphanie Lebrun et diffusé en mai 2012 sur une télévision française. En Afghanistan, où elle y a séjourné plusieurs fois, cette documentariste dit avoir rencontré des « des femmes d’exception ». « Là, je m’attendais à trouver des victimes, des femmes qui subissent, à qui l’on dit un jour, de manière péremptoire : « Tu seras un homme ma fille ». Mais c’est bien plus complexe. Etre une « bacha posh », c’est revendiquer des droits, une liberté à laquelle peu sont prêtes à renoncer ensuite », a-t-elle récemment déclaré au Monde des religions, un mensuel français.

Forcer le respect des hommes

Dans « Kaboul : tu seras un garçon ma fille », Stéphanie Lebrun décrypte un phénomène qui puise ses racines dans une tradition ancestrale et qui est condamné par l’islam. On ne sait d’ailleurs pas combien de filles travesties en garçons compte le pays. Dans son documentaire, la réalisatrice livre le portrait de quatre Bacha Posh. Quatre parcours différents qui éclairent le quotidien de « celles qui s’habillent en homme ». Entre celles qui ont été métamorphosées par leur parents et celles qui en ont fait ce choix et tentent de l’imposer à leur famille.

Mais tenir tête à ses parents et à une société conservatrice n’est pas sans risque. Dans « Je suis une Bacha Posh », Ukmina témoigne à coeur ouvert. Dans ce livre émouvant, paru cette année aux édition Lafon et coécrit avec Stéphanie Lebrun, elle révèle tous les combats, notamment celui contre les Soviétiques. Respectée par les moudjahidines au point de devenir une élue locale, Ukmina est un modèle pour toutes les femmes afghanes. En espérant qu’un jour elles n’aient plus à cacher leur féminité pour forcer le respect des hommes.

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