Alors que de violentes manifestations secouent le monde musulman – de l’Égypte à l’Indonésie-, Naoufel Brahimi El Mili, spécialiste du Maghreb, s’interroge : le « printemps arabe » et « l’islam modéré » ne seraient-ils qu’un leurre ?
Benghazi, le pendant libyen de Sidi Bouzid et de la place Al-Tahrir, ces berceaux du printemps arabe, a connu ce 11 septembre (est-ce un hasard ?) 2012 une nouvelle victime d’une attaque au lance-roquette. Il s’agit de l’ambassadeur américain tué par des islamistes libyens, détenant essentiellement des armes lourdes parachutés par l’Otan.
Ces djihadistes sont furieux contre un film jugé anti-islam. Au même moment où d’autres djihadistes, armés par le Qatar et l’Arabie Saoudite, mènent le combat contre le régime d’Al-Assad aux côtés des insurgés syriens, soutenus par le monde entier, sauf la Russie et la Chine.
La surenchère islamiste comme réflexe
Cette fois-ci un film américain, hier des caricatures danoises, avant un livre britannique (« Les versets sataniques »), autant de modes d’expression qui attisent une violence inqualifiable des fondamentalistes.
Mais puisque printemps arabe il y a, des experts et politiques occidentaux nous signalent l’émergence d’un islam modéré, planche de salut de la démocratie du Maghreb au Mashrek. Cependant, au regard des événements et surtout des déclarations des responsables islamistes élus sans fraudes, je considère que l’expression « islam modéré » contient un mot de trop : quand il s’agit de l’exercice du pouvoir basé sur un tel fondement doctrinaire, la surenchère islamiste devient un réflexe surtout pour faire face aux différentes crises notamment morales.
Tout comme le vocable « printemps arabe » que je juge inapproprié, car il renferme une vision romantique voire béate des évènements qui secouent cette partie du monde. Accentuée par les chutes successives des dictateurs que personne ne regrette, cette perception angélique se nourrit aussi d’élections historiques : des Arabes votent librement.
La démocratie est devenue un piège à démocrates
Est-ce une nouvelle « fin de l’histoire » ? C’est plutôt le début d’une épopée islamiste. Ces Frères musulmans, qui n’ont pas du tout été vus sur les barricades, tant à Tunis que sur la place Al-Tahrir face aux forces de l’ordre ou aux Baltagias (hommes de main de Hosni Moubarak), cueillent les fleurs de ce printemps sous les applaudissements de l’Occident.
Pourtant, les débats sur les nouvelles constitutions destinées à construire la démocratie ne sont pas totalement déconnectés des injonctions de la charia. Une contradiction parmi tant d’autres. La démocratie est devenue un piège à démocrates, fini le temps des élections « piège à musulmans ». Les islamistes braconnent sur les terres des démocrates arabes, certes inexpérimentés et mal organisés. On ne peut donc pas parler de « l’innocence des islamistes ».
La palme d’or de la duplicité revient sans conteste au président égyptien Mohamed Morsi, qui, dès son élection, il promet à ses supporters de faire libérer le cerveau de la première tentative d’attentat contre le Trade World Center, en 1993, le Cheikh égyptien Omar Abdelrahmane, condamné à la perpétuité par la justice américaine. Ce même Morsi est attendu le 22 septembre à l’Assemblée générale de l’ONU à New York !
Naoufel Brahimi El Mili, est docteur en sciences politiques
Cet article a été initialement publié sur le site du Nouvelobs.com