M. l’ambassadeur d’Iran à Paris pique un coup de sang contre la France

Redaction

Alors qu’on reparle aux Etats-Unis, de façon insistante, de possibles frappes israéliennes sur l’Iran, le représentant de Téhéran à Paris durcit le ton. Bakchich est reçu à l’Ambassade.

mir_aboutalebi Lorsqu’il rencontre, le vendredi 6 mars à l’ambassade d’Iran deux journalistes de Bakchich.info, Seyed Mehdi Miraboutalebi, le représentant de Téhéran à Paris, est dans une colère noire. Après quelques propos aimables sur « les quatre cents années d’histoire qui ont marqué les relations entre son pays et la France » et « l’idéal gaulliste d’indépendance nationale qui a rayonné dans le monde entier », le ton chez monsieur l’Ambassadeur monte très vite. « La France a toujours été différente des Anglais, un pays traître, ou des Américains, qui manquent de culture et de profondeur historique. Mais aujourd’hui, on peut se demander si la démocratie existe encore en France. »

Et notre officiel iranien de tonner contre Bernard Kouchner, qu’il ne porte pas dans son cœur. « Avec lui, le Quai d’Orsay a fermé définitivement les stores ». Et encore : « Le système français ne serait-il pas pris en otage par le lobby sioniste ? » Monsieur l’ambassadeur est tout en nuances !

Ce coup de sang n’est pas improvisé. L’ambassadeur est un homme élégant, éduqué, ancien de l’université Columbia (USA) et ingénieur de formation. Il accueille ses visiteurs avec civilité et leur propose un thé à la menthe. Ce diplomate sophistiqué appartient au tout premier cercle du pouvoir iranien et ses colères sont évidemment calculées.

Ainsi, si Seyed Mehdi Miraboutalebi ne porte pas de cravate, c’est que l’ayatollah Khomeiny avait déclaré que cette dernière représentait « la laisse de l’impérialisme », rien de moins.
L’Elysée à la rescousse !

L’indignation de son Excellence est à la mesure des craintes des autorités iraniennes, alors qu’à nouveau, de possibles frappes israéliennes pourraient frapper les sites militaires iraniens. Ce représentant des mollahs iraniens veut faire savoir à la France que, le jour venu, son pays saura se souvenir de ceux qui auront maintenu, malgré les pressions américaines et israéliennes, un dialogue avec Téhéran.

Fin politique, il ajoute : « Vous avez à l’Elysée un président pragmatique, il est temps qu’il reprenne les choses en mains ». Comprenons, que la France se débarrasse de Bernard Kouchner et retrouve une forme de dialogue, sinon d’entente, avec les autorités de Téhéran. D’autant plus qu’« aux Etats-Unis, plaide le diplomate, le nouveau pouvoir est décidé à tenter une approche plus sophistiquée de l’équation iranienne ».
« Le chaud et le froid »

L’heure est en effet à un contexte diplomatique neuf ouvert avec la présidence Obama. D’un côté, les Américains proposent à la Russie de renoncer au bouclier anti-missile qu’ils veulent installer en Europe de l’Est, contre la promesse des russes de faire pression sur Téhéran pour qu’elle renonce à son programme nucléaire. De l’autre, les mêmes se lancent dans une « approche nouvelle » de leurs rapports avec Téhéran, dite de la « main tendue ».

Les États-Unis veulent tourner la page de l’ère Bush et changer ses rapports avec les vilains canards du Moyen-Orient, comme le prouve la rencontre à Damas entre Jeffrey Feltman et Daniel Shapiro, les émissaires d’Obama, et Wallid Mouallem, le patron de la diplomatie Syrienne.

La République islamique est sous un régime de sanctions économiques décidées par le conseil de sécurité de l’ONU. Certains, à Téhéran, commencent à trouver le temps du bannissement assez long et se disent prêt à prendre cette main tendue, comme ex-président Rafsandjani et l’actuel président du parlement Ali Larijani. Cette question est au cœur de la campagne présidentielle iranienne, qui aura lieu en juin.
« L’échappée belle italienne »

Jusqu’à quel point les Américains sont adeptes de la main tendue vers Téhéran ? Une certitude, le gouvernement d’Obama est toujours décidé à rester maître du jeu, comme le prouve l’aller-retour iranien sur ce dossier.

Les 26 et 27 juin prochains, les Italiens, qui président en ce moment le G8, organisent à Trieste « l’outreach Afghanistan ». Le gouvernement italien souhaite que Téhéran y participe. Monsieur Frattini, le conseiller diplomatique de [Berlusconi était annoncé le 10 mars dans la capitale iranienne. Le 5 mars, sur le site de la Farnesina (le Ministère des Affaires étrangères de la République italienne), on apprenait dans un communiqué officiel que monsieur Frattini avait décidé de rencontrer son homologue iranien à un moment plus « favorable ». Le début du communiqué insistait toutefois sur la nécessité, pour le Conseil Atlantique, de continuer à explorer la possibilité d’impliquer l’Iran dans un exercice de stabilisation régionale Afghanistan-Pakistan et d’inviter les Iraniens à toutes les initiatives internationales sur l’Afghanistan.

Gageons que les Américains qui montrent des signes publics d’ouverture font pression sur leurs alliés pour rappeler cette vérité première. Sur l’Iran, c’est l’Oncle Sam, et lui seul, qui prend les initiatives.
« Du Bush dans le texte ! »

Malgré cette agitation diplomatique, la France reste sur une position très ferme à l’égard de la République Islamique. Pas question pour le Quai d’Orsay d’extrader les quarante « moudjahidines du peuple », arrêtés le 17 juin 2003 à Auvers-sur-Oise, sur la base d’informations données par Téhéran puis relâchés en raison de la vacuité du dossier d’accusation. Les raisons de cette rafle ? Il fallait donner en pâture aux Iraniens une petite contrepartie contre un peu de pétrole. Le 17 juin 2003, jour de l’opération de police à Paris, la candidature de Total est retenue pour l’exploitation du gisement du Bangesta.

Autre revendication des Iraniens, le blocus économique. La France fait pression sur ses entreprises pour blackouter tout commerce avec les Iraniens. La BNP, qui travaillait depuis 40 ans en Iran, a cessé toute activité depuis octobre 2007. De même, Thalès, qui avait signé en 2000 avec l’Iran un contrat prévoyant la livraison de cinq radars d’approche, ne livre pas le cinquième, alors que les quatre premiers l’ont été. Et tant pis pour l’aéroport de Bandar Abbas dans le Golfe Persique. « S’il y a un accident sur cet aéroport, qui sera responsable ? » confie l’ambassadeur à Bakchich.

Enfin, les étudiants iraniens qui poursuivent leurs études en France n’ont pas intérêt à être dans une discipline qui peut se rapporter de près ou de loin au nucléaire. Tous les jeunes scientifiques sont blacklistés par les affaires étrangères qui donnent des avis défavorables aux demandes de visas.

« Si la France, conclut l’ambassadeur, ne fait pas un geste montrant ses bonnes intentions à notre égard avant les présidentielles [juin 2009], il ne restera plus de place pour la France en Iran ». Pour l’instant, c’est l’Iran qui ne trouve pas sa place dans la France de Kouchner et Sarkozy.

Source http://www.bakchich.info
13 03 2009

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