Entretien avec Ali Amar, auteur du livre Mohammed VI, le grand malentendu
Maroc Hebdo International: Pourquoi un livre sur le Roi
Mohammed VI maintenant?
Ali Amar:Il y a deux raisons. La première est personnelle. La sortie du livre Mohammed VI: le Grand malentendu coïncide avec la fin d’une expérience professionnelle. Celle de la publication Le Journal Hebdo. Un hebdomadaire que j’ai fondé en 1997 et où j’ai vécu durant dix ans au coeur de l’actualité marocaine. Pour moi, c’est un cycle qui se termine. La seconde raison est les dix ans de règne de Mohammed VI. J’ai voulu apporter mon regard de journaliste sur cette période cruciale du Maroc et participer à l’écriture de l’histoire immédiate du pays.
Quel bilan faites-vous de cette décennie?
Ali Amar :La transition démocratique tant attendue et tant espérée avec l’accession de Mohammed VI au pouvoir n’a pas eu lieu. Le changement de Roi n’est pas forcément un changement de régime. C’est vrai qu’il y a des avancées dans le domaine du développement territorial, dans la modernisation de l’administration et le désenclavement des régions, mais au niveau des libertés, il y a encore des choses à faire. Il y a comme un goût d’inachevé. Cela dit, ce n’est qu’un constat personnel. Le débat est ouvert.
Comment expliquez-vous le titre Mohammed VI: le grand
malentendu? Est-ce un malentendu entre le Roi et vous?
Ali Amar: Non. C’est un malentendu à deux niveaux. L’avènement d’un jeune Roi au pouvoir était porteur de grand espoir. Avec Mohammed VI, on s’attendait à une clarification du jeu politique, à une consolidation des institutions démocratiques; ce qui passe par une désacralisation des centres de pouvoir. Malheureusement, cela
ne s’est pas produit, la monarchie absolue est devenue une hyper monarchie. Le second malentendu est celui de l’image moderne et ouverte que véhicule Mohammed VI, qui occulte les réalités du Maroc. Un Maroc où la torture sévit encore et où la liberté d’expression est restreinte. Si l’on se compare aux pays du monde arabe, nous sommes, certes, les mieux lotis, mais pourquoi ne pas se comparer à des pays d’Amérique latine? Et, pourquoi pas à l’Espagne, notre voisin du nord?
Plusieurs personnes, notamment le prince Moulay Hicham,
Driss Jettou,Aboubakr Jamaï,ont démenti des faits ou des
déclarations que vous leur attribuez dans votre livre,qu’est-
ce que vous leur répondez?
Ali Amar: Il n’y a pas eu de démentis officiels. C’est juste la
presse, particulièrement arabophone, qui relaie les démentis
des uns et des autres sans apporter des précisions. Je ne peux,
donc, pas répondre. André Azoulay, le conseiller du Roi, a déclaré
qu’il ne m’a jamais rencontré à Rabat alors que nous nous sommes rencontrés une ou deux fois. À l’époque, il était chargé d’intervenir auprès des médias étrangers pour empêcher les responsables du Journal Hebdo de mener une campagne pour dénoncer les abus dont ils étaient victimes. Driss Jettou a apporté une précision sur les propos que je lui ai attribués dans le livre.
Lors d’un dîner, chez Abbderrahim Lahjouji, alors patron de la
CGEM, Driss Jettou a dit «Au Palais, on ne lit pas tous vos articles
dans le détail… Vous n’avez pas affaire à des intellectuels.» L’ancien
Premier ministre remet cette phrase dans son contexte et affirme
qu’il voulait dire que les articles de presse ne sont pas lus intégralement par manque de temps. J’accepte cette précision. Moulay
Hicham ne m’a pas envoyé de démenti précis. Quant à Aboubker Jamaï, il serait mécontent selon la presse qui cite son entourage.
Après la sortie de votre livre,est-ce que Aboubakr Jamaï
vous a contacté?
Ali Amar: Non, nous n’avons eu aucun contact. Quand l’idée de ce livre a germé, je lui ai téléphoné pour lui proposer de l’écrire à quatre mains, sauf que sa réponse était négative. Je me suis senti libéré. Mais, tout au long de la réalisation de cet ouvrage, j’appelais Aboubakrpour discuter du contenu ou demander des précisions. Après l’édition, je lui ai envoyé un exemplaire.
Est-ce que vous avez demandé l’autorisation aux personnes
que vous avez citées dans votre livre?
Ali Amar:C’est encore la polémique du “On” et du “Off” qui se pose. Je n’ai pas lâché les sources qui nous avaient révélé des informations. Je témoigne de choses que j’ai vécues personnellement. C’est différent. C’est par exemple le cas de l’épisode où Aboubakretmoi rencontrons Edwy Plenel alors directeur de la
rédaction du Monde, à Paris.
Plenel ne s’était pas exprimé sous le sceau du secret et, pendant l’écriture du livre, j’ai téléphoné à Aboubakrpour vérifier avec lui que Plenel nous avait bien dit à tous les deux qu’André Azoulay lui avait bien
déclaré à propos du jeune roi, que Le Monde voulait interviewer: « n’y pensez pas, Edwy, ce jeune homme est ingénu.» S’il y a confusion, c’est parce que c’est la première fois au Maroc qu’un journaliste témoigne d’une période récente et écrit l’histoire immédiate. Sous d’autres cieux plus démocratiques,c’est un exercice rodé qui ne choque plus, mais permet d’ouvrir le débat.
Pourquoi avoir été si dur avec le prince Moulay Hicham?
Ali Amar:Je suis juste. J’ai de l’affection et du respect pour Moulay Hicham, qui a beaucoup contribué à engager le débat sur les réformes et les libertés au Maroc. Dans mon livre, je n’ai fait que décrire ce qu’il a vécu. Je ne sais pas s’il s’en est offusqué.
Mais, ce n’est pas parce que c’est mon ami que je vais en dresser un portrait flatteur.
Pour reprendre votre adjectif, ne trouvez-vous pas que ce livre est plutôt dur avec Mohammed VI et son entourage?
Avec vous,on découvre une autre facette du Journal Hebdo,
à quel jeu jouait-il?
Ali Amar: Nous étions proches de l’entourage de Mohammed VI.
Je rappelle que son ami d’enfance Hassan Aourid était chroniqueur au Journal Hebdo, mais nous n’avons jamais accepté de jouer le jeu du pouvoir. Et pourtant, les propositions ne manquaient pas. Je raconte dans le livre que Hassan II voulait offrir au Journal Hebdosa propre imprimerie d’une valeur de 5 millions d’euros. Nous avions décliné l’offre. Pour nous, l’accepter aurait été à l’évidence synonyme de perte immédiate de notre crédibilité et de notre indépendance.
Quels sont vos projets pour l’avenir, comptez-vous écrire un
autre livre ou pensez-vous avoir tout dit?
Ali Amar:Je suis journaliste et je le reste. Écrire un livre est un marathon. Je ne suis pas sûr de pouvoir attaquer un deuxième. Mais, qui sait?
Propos recueillis par Loubna Bernichi
(Maroc Hebdo International)