« En France, les femmes sont maintenant les premières victimes des actes islamophobes »

Redaction

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Invité mercredi dernier par la Mosquée de Paris pour un iftar, Manuel Valls a dénoncé une « montée des violences à l’égard des musulmans de France ». Des déclarations qui surviennent après une longue série d’actes islamophobes en France. Algérie-Focus s’est entretenu avec Abdallah Zekri, le président de l’Observatoire de l’Islamophobie au sein du CFCM, sur la dangereuse montée de ce phénomène et la réaction du gouvernement français.

Observez-vous une dégradation du climat d’islamophobie en France ces derniers temps ?

Le contexte se dégrade d’années en années. Juste pour le 1er trimestre 2013, 40 agressions islamophobes ont été recensées, ce qui représente une augmentation de 25% par rapport à l’année dernière au cours de la même période. Pour le 1er semestre 2013, les chiffres seront prochainement rendus publics, mais je peux déjà vous dire que la hausse des actes anti-musulmans devrait être encore plus importante qu’au 1er trimestre.

Sinon, rien que depuis la fin du mois de juin, on a déjà enregistré 8 agressions de femmes voilées. Les femmes sont maintenant les premières victimes des actes islamophobes, c’est un phénomène assez récent. Je trouve cela d’une grande lâcheté de s’attaquer à des femmes. Plusieurs d’entre elles portent le voile intégral. Certes, il y a maintenant une loi qui l’interdit, mais ce n’est pas une raison pour que les gens fassent justice elle-même. Une loi qui prévoit simplement une amende ne donne absolument pas le droit à une personne d’aller frapper une femme voilée.

Comment expliquez-vous ce phénomène ?

La justice n’est pas suffisamment sévère. Si les gens avaient vraiment une épée de Damoclès au dessus de leur tête, ils réfléchiraient à deux fois avant de commettre des actes islamophobes, telles que des insultes et des agressions physiques. Jusqu’à maintenant, il n’y a eu que très peu d’arrestations. Prenons l’exemple de cette femme turque agressée à Reims par un mineur en juin. Son agresseur n’a pas été arrêté, et le Parquet a même classé l’affaire sans suite. Cela je ne le comprends vraiment pas. Pour l’instant on doit attendre de voir si, lorsque la justice fera réellement son travail, les actes islamophobes diminueront.

Que pensez-vous de l’attitude du gouvernement et de Manuel Valls vis-à-vis de l’islamophobie ambiante en France ?

Manuel Valls connait le bilan, les chiffres et nos rapports sont communiqués. Le ministre de l’Intérieur dit que ça le préoccupe, mais je souhaiterais qu’il s’implique plus. Ce ne sont pas des paroles que je veux, mais des actes. Monsieur Valls parle toujours de laïcité, mais cela nous le savons, nous respectons les règles de la République et nous respectons la laïcité. Nous voulons maintenant qu’il s’engage contre l’islamophobie. Manuel Valls est un ministre important, il pourrait essayer de taper sur la table pour être entendu. Cela donnerait aussi de l’espoir à la communauté musulmane qui se sentirait soutenue. A cause de l’absence de réaction et de soutien réel de la part des autorités, certains veulent faire justice eux-mêmes. A la suite des attaques contre les femmes, j’entends des jeunes dirent qu’ils veulent s’armer pour défendre les femmes musulmanes. C’est très grave, on ne devrait pas en arriver là.

Comptez-vous interpeller le gouvernement à ce sujet ?

J’ai envoyé un message mardi dernier à l’Elysée, au ministère de l’Intérieur et aux autres autorités concernées, dans lequel je fais part de mon indignation. On est en train de banaliser les actes anti-musulmans. Sinon, j’ai déjà interpellé le président François Hollande. A Matignon, j’avais fait une déclaration pour que la lutte contre l’islamophobie soit reconnue cause nationale, comme cela avait été le cas pour l’antisémitisme juste après l’affaire Mohamed Merah. Il n’y a pas de raison de faire deux poids deux mesures. Le racisme envers les différentes communautés doit être condamné.

Que pensez-vous du traitement médiatique des actes islamophobes en France ?

Cela dépend des médias, mais globalement je trouve que ce n’est pas assez couvert. Par exemple, sur les cinq agressions qui sont survenues à Reims depuis le mois de juin, je n’ai vu que très peu d’articles dessus, juste quelques brèves. Mais si on touchait à d’autres confessions, je suis sûr que cela serait plus médiatisé : imaginez un musulman qui attaque avec un couteau une femme chrétienne ou juive, enceinte, à cause de sa religion ? Un tel acte provoquerait un scandale. Mais surtout ce qui me déçoit, c’est que les autres communautés ne dénoncent pas ces actes contre les musulmans. Alors que nous, dès que des actes antisémites ont lieu, on les dénonce haut et fort. Pour tuer la bête immonde de ce racisme, il faut s’unir tous ensemble.

Entretien réalisé par Maïna F.

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