Le chaos moyen-oriental par Mustapha CHERIF

Redaction

Les pays arabes et musulmans se débattent dans des problèmes sans fin et apparaissent comme les derniers sous-développés politiques de la planète.

La colonisation se poursuit, les bombardements continuent, l’impunité de l’entité sioniste s’aggrave et personne ou presque ne proteste énergiquement et n’agit concrètement pour faire pression. La trahison, l’hypocrisie, la désinformation battent leur plein, sous prétexte de realpolitik, dans un monde où pourtant les questions de la souveraineté, de la survie et de la démocratie sont incontournables.
Les relations internationales ne sont pas démocratiques. Les pays arabes acceptent les faits accomplis et sont humiliés. Alors qu’il était connu pour son intelligence aiguë et son nationalisme arabe, le secrétaire général de la Ligue des Etats arabes, Amr Moussa, à Davos lors du Forum mondial, a eu un comportement indigne et défaitiste en restant à la tribune en présence du président de l’entité sioniste, au moment où le Premier ministre turc quittait avec éclat la salle pour dénoncer la censure, le cynisme et la manipulation au sujet de Ghaza. Où va le monde arabe qui semble avoir vendu son âme, acceptant une descente aux enfers programmée?

La Turquie est démocratique
Les pays arabes et musulmans se débattent dans des problèmes sans fin et apparaissent comme les derniers sous-développés politiques de la planète. Les pays arabes en particulier, malgré leur hétérogénéité et différences, semblent pour la plupart incapables de se réformer et de sortir des dépendances, des impasses et autoritarismes dans lesquels ils se trouvent. Ce qui permet les interventions et ingérences externes. La dégradation est alarmante. Pourtant, un exemple émerge et démontre qu’il n’y a pas de fatalité: la Turquie, lieu de deux civilisations: Byzance et Ottomane. La modernisation de la Turquie sur qui circulent des préjugés, à cause de sa candidature à l’Union européenne, a commencé au XIXe siècle pour aboutir en 1925 à une accélération de l’histoire fondée sur la modernisation que Ibn Badis à l’époque avait lui-même applaudie. Sous l’autoritarisme sévère de Kamel Atatürk la Turquie s’est engagée vers l’industrialisation et une sécularisation à outrance. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce pays devient l’un des 51 membres fondateurs de l’ONU.
Le multipartisme fut autorisé en 1946 et la volonté de se moderniser était forte. Très tôt, la Turquie pose sa candidature pour devenir membre associé de la CEE en 1957 et en 1963 un Accord d’association est signé. Et les années 80 vont être décisifs en ce qui concerne la démocratisation, contrôlée intelligemment par les militaires. Le dernier changement constitutionnel, en 1999, a permis d’équilibrer les pouvoirs et de renforcer l’Etat de droit, notamment sous l’influence de l’Union européenne. Le pluralisme en Turquie est, aujourd’hui, une réalité. Les élections sont un exercice réel d’expression de la volonté citoyenne et le Parlement n’est pas une chambre servile d’enregistrement, d’âpres débats y sont tenus. Cela aussi se reflète dans le paysage médiatique: vingt-quatre chaînes de télévision en majorité privées et deux cent trente stations radio émettent. Les débats sur tous les sujets sont monnaie courante et ainsi, les élites et la société pratiquent la diversité d’opinions comme une richesse et se sentent concernées par tous les défis internes et externes. De ce fait, la Turquie est devenue la 18e économie du monde. Vingt milliards de dollars d’investissements étrangers directs sont enregistrés chaque année par ce pays. Son taux de croissance est de l’ordre de 6,5% et la fuite des cerveaux est faible, même si une forte diaspora existe en Allemagne. Depuis l’acceptation de sa candidature en 1989, la Turquie tente de s’adapter aux standards européens sur les plans économique et juridique, tout en respectant ses valeurs historiques et culturelles propres. Il a fallu attendre 1996 pour que l’union douanière entre l’Union européenne et la Turquie entre en vigueur. Sur le plan de sa diplomatie elle préserve une ligne d’équilibre, par exemple, membre de l’Otan, mais refus de faciliter l’utilisation de ses bases militaires lors de la guerre d’Irak, la Turquie s’oppose à la guerre, le Parlement refuse de permettre le stationnement des troupes américaines sur le sol turc. Aujourd’hui, alors qu’elle a des accords militaires avec Israël, elle est à la pointe de la dénonciation de la politique criminelle de l’entité sioniste, consciente que son propre devenir est en jeu face à cette guerre d’hégémonie. Le contexte a changé et l’arrogance de l’Occident irrite de plus en plus la Turquie qui reste un passage obligé de la circulation des sources d’énergie entre l’Asie centrale et l’Europe.
La Turquie tente de gérer avec réalisme, selon ses stricts intérêts nationaux et non pas selon ses alliances, ses relations de voisinage avec l’Iran. Malgré des divergences, elles s’améliorent face aux menaces communes. Ses difficultés sont, sur le plan externe, l’impasse au sujet de son adhésion à l’Union européenne vu les entraves idéologiques de certains Etats européens et, sur le plan interne, les actions du parti du Kurdistan sécessionniste.
Les offensives turques au Nord de l’Irak sont l’expression d’une guerre perpétuelle contre toute forme de sécession. Les Turcs s’opposent, par exemple, à un rattachement de la ville de Kirkouk (Irak), avec ses riches gisements pétroliers, au «Kurdistan» irakien où réside dans cette ville une minorité turkmène et pour empêcher l’émergence d’un Etat kurde.

Stratégie face à l’hégémonie
Un consensus national est visible autour de ces questions. La force de la Turquie réside surtout dans son sens réaliste de sa politique d’ouverture démocratique interne irréversible, dans un cadre bien balisé, celui de la République et de l’attachement au libéralisme et la priorité donnée à ses besoins économiques et sécuritaires et non à l’exportation de son modèle, même si ce pays reste jaloux de ses relations avec certains pays d’Asie centrale. Certes, au sein de la société, des tensions apparaissent parfois entre les partisans d’une sécularité stricte et ceux soucieux de valeurs spirituelles, mais le clivage est assez bien intégré dans le paysage social et politique, les extrémistes restent plutôt minoritaires. Les violences des années soixante-dix ont quasiment disparu.
Les acquis de la Turquie, par-delà ses limites et contradictions internes, sont encourageants, même si la situation régionale et le renvoi aux calendes grecques d’une éventuelle adhésion de la Turquie, par l’Union européenne, sont en partie responsables d’une certaine dégradation. La Turquie résiste et semble avoir réajusté sa politique extérieure vers la défense de ses stricts intérêts stratégiques et sa zone d’influence, refusant légitimement des compromis à courte vue.
Le refus déguisé de l’Union européenne pour son adhésion comme membre à part entière, la politique sioniste et les contradictions de l’ordre dominant ont amené la Turquie à adopter une politique offensive sur le plan régional pour mettre de son côté de nouveaux atouts, en tant que médiateur. L’Union européenne en 1999 avait pourtant accepté officiellement la candidature de la Turquie lors du sommet d’Helsinki, et souligné la «vocation européenne» du pays, tout en fixant des conditions à son entrée que la Turquie accepta.
A cette situation de quasi blocage, s’ajoute le contexte régional des plus négatifs, les tensions et violences s’accentuent au Moyen-Orient et les incertitudes dominent, à cause des agressions et de la colonisation sionistes, l’occupation de l’Irak et la faillite des régimes arabes.
La Turquie, fière de ses racines et de son histoire, ne veut pas rester les bras croisés. Le jeu démocratique interne et sa bonne santé politique et économique permettent, pour le moment, à ce pays musulman de bien résister et de hausser la voix face aux injustices et manoeuvres de puissances qui ne tirent pas de leçon de l’histoire de la décolonisation, ni des impasses et crises actuelles du monde dominant.
Il y aura de l’espoir le jour où les sociétés arabes se reformeront et s’allieront avec tous les pays comme la Turquie et d’autres épris de droit pour faire reculer à la fois: la domination du Nord sur le Sud, la loi de la jungle et les extrémismes de tous bords, qui sont un désastre pour tous les peuples.

(*) Professeur en relations internationales
www.mustapha-cherif.net