Nakba : Le jour où ils ont dû fuir la Palestine

Redaction

De Ramallah à Naplouse, des centaines de milliers de Palestiniens ont pris la rue hier comme tous les 15 mai depuis 65 ans pour célébrer la « Nakba », la catastrophe. Soit l’exode de leurs aïeux suite à la création de l’Etat d’Israël en 1948. Un drame que Samira el Akkasa, une réfugiée palestinienne installée en Algérie, n’a pas oublié.

Un bond dans l’histoire de 65 ans. Près de 800 000 Palestiniens ont quitté leur maison, leur terre, leur pays, poussés à l’exode par les chars israéliens le 15 mai 1948. Soit plus de la moitié de la population palestinienne de l’époque, qui s’est retrouvée, quasiment du jour au lendemain, dans des camps de réfugiés, établis dans la hâte à Ghaza, au Liban et en Jordanie. Plus d’un demi-siècle après la « Nakba », quelques 5,3 millions de réfugiés palestiniens attendent encore de revoir la terre de leurs parents.

Parmi eux, Samira el Akkasa, une Palestinienne adoptée par l’Algérie. Elle avait à peine 10 ans en 1948 quand elle a fui sa ville natale Beersheba, située aux portes du désert du Néguev. C’est dans la nuit qu’avec les siens et quelques 30 autres familles, Samira a quitté sa maison, chassée par l’aviation israélienne. Déjà à l’époque, sous le mandat britannique, l’armée israélienne était bien mieux lotie que les groupes de résistants palestiniens. Les Juifs disposaient de chars et d’avions de combat pour bombarder des villes entières et faire fuir la population arabe. De leur côté, les Palestiniens n’avaient le droit de posséder aucune arme, « pas même un pistolet pour se défendre », souligne Samira.

« Nous sommes partis en pensant que ce serait temporaire »

Pour simples bagages : les vêtements qu’ils avaient sur le dos et un petit sac de provisions. De quoi tenir une poignée de jours, tout au plus. « Nous sommes partis en pensant que ce serait temporaire, que les armées arabes nous soutiendraient et vaincraient », raconte ce petit bout de femme.

Assise dans son salon, décoré par des souvenirs chinés en Palestine, Samira se souvient du périple à travers le désert. C’est à l’aveugle que le groupe de réfugiés s’est enfoncé dans la chaleur étouffante du Néguev. « On a marché un mois sans même savoir où on allait. Nous n’avions rien, ni de quoi boire ni de quoi manger », poursuit Samira. Intarissables, les sifflements sourds des avions israéliens les poursuivaient, les éloignant à chaque pas un peu plus de leur demeure.

Epuisés de fatigue, éreintés par la marche, une famille a frôlé l’irréparable, se souvient émue Samira. « Il y avait un couple et leur deux enfants, âgés de trois et un an. La mère était enceinte. Le benjamin était très affaibli au point que le père de famille avait décidé de l’abandonner sur le bord de la route parce qu’il ralentissait tout le monde. Il l’a laissé mais finalement et il retournait le chercher. C’était impossible pour lui de faire un tel sacrifice », confie Samira.

« Un nettoyage ethnique »

Guidés par une tribu de bédouins, les réfugiés de Beersheba ont « miraculeusement » trouvé le chemin vers Ghaza, sous le contrôle palestinien. Les premières nuits, Samira et ses compagnons de fortune les ont passées sous des tentes installées par l’Unrwa, l’agence de l’Onu pour les réfugiés palestiniens. Après quelques mois, la famille de Samira s’est installée dans une maison. Un geste fort. Une façon de renoncer quelque part à l’espoir de réoccuper un jour leur foyer à Beersheba. Après la création de l’Etat d’Israël et l’érection de frontières impénétrables, Beersheba et Ghaza ont totalement rompues leur contact. Elles qui entretenaient pourtant des liens commerciaux très étroits. « La plupart des fruits et légumes consommés à Beersheba venaient de la bande Ghaza une terre très fertile », rappelle Samira.

Pour ceux qui sont restés coûte que coûte à Beersheba, « les Juifs les ont poussé vers la mer. Ils les ont placés dans des camions, direction la bande Ghaza », avance Samira, qui ne mâche pas ses mots. « C’est un nettoyage ethnique ! Beersheba a une position géographique stratégique pour les Juifs car ils voulaient mettre la main sur le désert pour faire leurs essais nucléaires. C’est d’ailleurs là qu’ils ont construit la plus grande université scientifique du pays », assure-t-elle.

Revoir la Palestine, un rêve bien difficile à réaliser

Cette membre de l’Organisation pour la libération de la Palestine, proche des militants du FLN, n’a plus jamais revu Beersheba. La dernière fois que Samira a rendu visite à sa famille, restée à Ghaza, c’était en 2000. Une éternité. La faute à un filtrage minutieux des Palestiniens autorisés à fouler leur terre natale. Depuis les accords d’Oslo, les réfugiés palestiniens doivent impérativement demander une permission d’entrée à l’Autorité palestinienne. Mais, en réalité, c’est Israël qui a le dernier mot, dénonce Samira. « Sinon ce serait trop facile, tout le monde rentrerait », sourit-elle. Une fois le sésame obtenu, un long parcours du combattant s’ouvre à eux. Première étape : l’aéroport du Caire. Sous l’ère de Hosni Moubarak, les agents douaniers égyptiens étaient intraitables avec les voyageurs palestiniens, les considérant tous comme des terroristes, affirme Samira. Après des heures d’interrogatoires suivaient des heures de routes le long des chemins sinueux du désert du Sinaï. Arrivés au point de passage de Rafah, la frontière entre l’Egypte et la bande de Ghaza, les Palestiniens subissent à nouveau l’humiliation et la nervosité de contrôles de sécurité interminables. « Ce voyage peut prendre parfois des jours et demande un coût en temps et en énergie trop important. A mon âge, le risque est trop grand », déplore Samira.

Quand on lui demande ce qui lui reste de la Palestine après de si longues années loin d’elle, Samira montre ses broderies à l’effigie de Jérusalem, ses photos d’enfance à Ghaza, un sabot en bois centenaire pour le hammam. Mais, surtout, sa mémoire et tous ses souvenirs que le temps ne saurait détruire.

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