Des centaines de musulmans décédés, des milliers d’habitations détruites, des quartiers entiers dévastés, plus de 125 000 déplacés. La situation de la minorité musulmane en Birmanie ne cesse d’empirer depuis 2012 et s’apparente de plus en plus à un génocide. Il y a trois jours, la question est revenue sur le devant de la scène médiatique lors d’une explosion qui a visé un moine birman islamophobe. Que se passe-t-il réellement en Birmanie aujourd’hui ? Retour sur des années de discriminations qui conduisent au « nettoyage ethnique » des Rohingyas.
L’instigateur de la campagne anti-musulmane « 969 » visé par une explosion
Dimanche soir une explosion fait cinq blessés dans la ville de Mandalay en Birmanie. Elle visait Ashin Wirathu, un moine bouddhiste célèbre pour ses discours islamophobes et sa campagne de boycott à l’encontre des commerçants musulmans birmans. Le religieux a aussitôt tenu pour responsable de l’explosion « la minorité », faisant ainsi référence aux musulmans birmans. Le moine extrémiste, qui s’était auto-proclamé le « Ben Laden birman », avait fait la une du magazine américain Time en juillet en étant présenté comme « le visage du terrorisme bouddhiste », accusé par ses détracteurs d’être responsable de la mort de dizaines de musulmans.
Ashin Wirathu est en effet l’instigateur du mouvement « 969 », des chiffres qui font référence aux trois joyaux du bouddha et qui sont le nom d’une campagne anti-musulmane menée par plusieurs moines bouddhistes. A travers des affiches et des autocollants placardés dans les rues de plusieurs villes birmanes, les musulmans sont boycottés. Le boycott économique cacherait un véritable appel à la haine envers cette communauté. De nombreuses personnes imputent à cette campagne, les violences qui ont débuté fin mars contre les musulmans.
De 2012 à 2013, les musulmans victimes de violences
Le centre du pays a en effet été le théâtre d’affrontements entre bouddhistes et musulmans à partir de la fin du mois de mars dernier. Le point de départ de cette vague de violence ? Une dispute entre un vendeur musulman et des clients bouddhistes dans un marché à Meiktila, la seconde ville du pays. Ce simple fait-divers, couplé à la mort d’un moine, s’est transformé en violentes émeutes. Des groupes menés par des nationalistes bouddhistes se sont attaqués aux quartiers musulmans et à sa population, détruisant mosquées, habitations et commerces. En quelques jours, 800 bâtiments ont été détruits et au moins 44 personnes (selon les chiffres officiels birmans).
Un embrasement fortuit et passager est une thèse à laquelle plusieurs spécialistes de la région n’adhèrent pas. « D’après les témoignages que j’ai pu recueillir et les récits des journaux, tout semblait très coordonné pour une simple dispute ayant mal tournée. Il ne s’agissait pas uniquement de personnes énervées, mais surtout de gens extérieurs au secteur, probablement des hommes de main, et de bouddhistes radicaux. La police a aussi été étrangement passive. Et c’est l’armée qui a été appelée pour rétablir l’ordre », a expliqué en avril Olivier Guillard, spécialiste de l’Asie à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et auteur d’un ouvrage sur la Birmanie.
Les violences du printemps 2013 ne sont pas les premières à avoir lieu dans ce pays, qui compte 80% de bouddhistes et 4% de musulmans. En 2012 l’Arakan, un Etat à l’ouest du pays avait été fortement touché par des affrontements entre des personnes de l’ethnie rakhnine (bouddhistes) et des musulmans de la minorité Rohingya. Selon les chiffres communiqués, ces violences ont fait au moins 200 morts et plus de 125.000 déplacés, dont une grande partie vit toujours dans des camps de fortune aux conditions de vie extrêmement difficiles. L’ONG Human Rights Watch a dénoncé cette situation insupportable en publiant un rapport le 22 avril 2013. L’organisation y dénonce les « crimes contre l’humanité » et le « nettoyage ethnique » dont sont victimes les musulmans rohingyas de Birmanie. Le directeur adjoint de la division Asie de l’ONG a quant à lui déclaré que « le gouvernement birman s’est livré à une campagne de nettoyage ethnique contre les Rohingyas, qui se poursuit à ce jour à travers le refus de l’accès à l’aide humanitaire et l’imposition de restrictions à leur liberté de circulation ». « Le gouvernement devrait mettre fin immédiatement à ces exactions et faire rendre des comptes à leurs auteurs, s’il veut éviter de porter lui-même la responsabilité de futures violences contre des minorités ethniques et religieuses dans ce pays », a-t-il ajouté.
Réelle responsabilité des autorités birmanes ou simple laisser-faire ? Il est en tout cas très clair que la Birmanie, qui sort tout juste d’une dictature militaire, ne place pas le règlement de la question musulmane dans ses priorités.
Entre ouverture politique et exclusion des musulmans
Le pays semble aujourd’hui s’orienter vers une démocratisation politique. Retrait de la junte militaire, promesses d’élections libres, libération d’Aung San Suu Kyi… Autant de signes positifs. Mais cette ouverture politique semble se faire au détriment des nombreuses minorités qui peuplent la Birmanie. Le pays, resté refermé sur lui-même pendant 50 ans de dictature s’est en effet construit autour d’une identité unique, basée sur le bouddhisme, faisant fi de la multiplicité ethnique et religieuse de son territoire.
« Cinquante ans d’isolement, de peurs, de divisions interethniques et de propagande en Birmanie auront eu des effets dévastateurs et profonds sur la population birmane, fondant une nouvelle société ségrégationniste et raciste », dénoncent intellectuels, personnalités et militants dans un manifeste intitulé « Nous refusons le silence face à l’Apartheid et au nettoyage ethnique en Birmanie ». Publié fin juin dans le quotidien français, Le Monde, ce texte engagé explique que « les minorités sont exclues du renouveau démocratique et, pour beaucoup, le calvaire a empiré avec des offensives militaires au nord et à l’Est tandis qu’à l’Ouest des populations sont séquestrées sous un régime d’Apartheid. Une campagne de nettoyage ethnique, lancée en juin 2012, cible aujourd’hui même, plus d’un million de Birmans musulmans. Parmi eux les Rohingyas, le peuple le plus persécuté au monde, selon les Nations Unies ».
Les Rohingyas sont en effet traités de longue date par l’Etat birman comme des citoyens de seconde zone. Ils ne font pas partie des 135 « groupes ethniques » qui composent officiellement la population birmane. En 1982 ils sont devenus apatrides en étant privés de la nationalité birmane et ils sont aujourd’hui toujours perçus comme des migrants illégaux. Les Rohingyas, ce peuple aux origines très diverses (arabe, mongole, turque, bengali) converti à l’islam au 15ème siècle, sont pourtant installés de longue date sur le territoire birman.
La population musulmane continue aujourd’hui d’être persécutée en Birmanie. Climat de haine, destructions, exils forcés, conditions de vie insoutenables… Et pourtant, aucun pays, aucun gouvernement ne s’insurge contre cette situation, pas même les Etats musulmans.