Nabila Ramdani : « Le pouvoir en Egypte criminalise les Frères Musulmans »

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Nabila Ramdani

L’Egypte en proie à la crise la plus grave de sa récente histoire pleure encore ses morts. Les affrontements successifs ont fait plus de 850 morts selon les chiffres officiels. Les événements prennent une nouvelle tournure, avec la persécution et l’arrestation systématique des Frères Musulmans. Nabila Ramdani, journaliste franco-algérienne émigrée en Angleterre, spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient, nous livre son analyse.

Algérie-Focus : Les manifestations ont cessé en Egypte. Est-ce que le pays retrouve un peu d’apaisement ?

Nabila Ramdani : La situation n’est pas du tout apaisée. L’Egypte vient de vivre des massacres systématiques de manifestants qui avaient des raisons légitimes de descendre dans la rue. L’armée réprime dans la violence et contribue à la propagande dans les médias égyptiens. Les Frères Musulmans sont présentés comme des terroristes pour justifier la violence. L’arrestation du chef de file de la coalition, Mohamed Badie risque d’aggraver la situation. De plus en plus de groupes radicaux viennent soutenir les Frères Musulmans, par des actes extrémistes comme l’attaque contre des soldats dans le Sinaï, ce qui vient conforter le discours de propagande du pouvoir. Sans aucun doute, la violence vient de l’armée.

Le pouvoir égyptien est donc dans une logique d’anéantissement des Frères Musulmans…

L’idée que les Frères Musulmans en Egypte sont des radicaux armés est un mythe. Ils étaient dans une logique de violence dans les années 1930 et 1940, mais, y ont renoncé pour entrer dans l’arène politique. Ce n’est plus un organe en marge et sont ancrés, bien ancrés dans la société égyptienne.  Ils ont même pris en charge l’Etat à partir des années 1960 et jusqu’à très récemment, se sont substitués à lui. L’Egypte était une dictature avec beaucoup de corruption, sans redistribution et avec un contrôle fort de l’armée. Les Frères Musulmans ont alors rétabli une certaine justice sociale. Mohamed Badie vient d’être arrêté, Mohamed Morsi est accusé de complicité de meurtre et de torture et une enquête est ouverte à propos de son évasion de prison. Il aurait pu être inculpé avant son élection, pourquoi maintenant ? C’est une stratégie rétroactive de criminalisation des Frères Musulmans.

L’armée a-t-elle le soutien du peuple ou de certains groupes de la société civile ? Le porte-parole de Tamarrod a annoncé que la violente intervention de l’armée était nécessaire.

La voix de ceux qui soutiennent l’armée et son intervention meurtrière est de plus en plus marginale. Au vu de la situation abominable, cette position est délicate à justifier pour les libéraux et les révolutionnaires. De plus, ceux qui réclamaient le départ des Frères Musulmans, et de Morsi, le critiquaient pour son autocratie. Le retour de l’armée est antidémocratique et leur position insoutenable.

Quelle est la position des pays arabes vis-à-vis de la crise égyptienne ? Et des pays occidentaux ?

Les pays arabes donnent de l’importance au rôle de l’armée et comptent aussi sur son rôle politique. C’est pour eux, une force majeure qui garantit la stabilité. Ils n’ont pas condamné les derniers événements pour cette raison. La plupart – Jordanie, Arabie Saoudite, UAE – souscrivent à la criminalisation des Frères Musulmans et les diabolisent. Mais il y a une différence entre l’attitude des pays et des peuples arabes. Les populations soutiennent le peuple égyptien et sont sortis dans la rue pour exprimer leur colère, comme à Gaza par exemple.

En Occident, les exactions ont été fortement critiquées. L’Union Européenne se réunit ce mercredi pour exprimer une condamnation plus forte vis-à-vis de l’Egypte. L’enjeu est de suspendre les aides. Cette stratégie est contre-productive. Les aides sont pour le développement, l’éducation … Les suspendre ferait plus de mal au peuple égyptien qu’à l’armée. Il serait plus efficace de suspendre les aides militaires qu’attribuent les Etats-Unis.

Quelle solution est envisageable dans l’immédiat même pour la résoudre de crise ?

Il n’y a pour le moment aucune solution, et surtout pas de dialogue. L’armée campe sur ses positions, ce qui engendre encore plus de violence. Ils  ont même pensé à dissoudre les Frères Musulmans. La clé du problème est politique. La solution vient de la communauté internationale qui doit poursuivre les auteurs du massacre. Le ministre de l’intérieur égyptien a même admis qu’il ne souhaitait pas annoncer les chiffres exacts du nombre de morts, tellement l’intervention était meurtrière.

Cette réaction va de pair avec la répression des journalistes, occidentaux surtout, durant les affrontements. Le pouvoir n’a pas intérêt à ce que la vérité éclate. Le général Al-Sissi et les responsables doivent en répondre devant la loi, comme dans le cadre du printemps arabe avec Mouammar Khadafi. On voit clairement que les intérêts des pays occidentaux dans la région prévalent sur les intérêts des peuples. Le manque d’action est flagrant.

Est-ce qu’une multiplication des violences est à craindre, notamment dans les pays frontaliers sous tensions politiques (Tunisie, Libye…) ?

Le Sinaï par exemple est une zone où des groupes radicaux ont opéré dans le passé, où des attaques se manifestent encore aujourd’hui. La violence ne s’exportera pas dans les autres pays arabes. Mais des groupes djihadistes, comme le Hamas pourraient converger vers la région pour montrer leur solidarité aux Frères Musulmans. L’Egypte contrôle d’ailleurs de très près ses frontières, les avaient fermé après la chute de Morsi, et même au moment des affrontements.

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