Onu: la fracture iranienne

Redaction

Barack Obama va-t-il perdre sa première grande bataille diplomatique ? Poussée par la France, l’administration américaine tente d’obtenir du Conseil de Sécurité des Nations unies l’adoption de nouvelles sanctions contre l’Iran. L’idée est de priver les gardiens de la révolution de leurs sources de revenus en sanctionnant les nombreuses firmes qu’ils contrôlent. Mais, en dépit des efforts de Hillary Clinton et de son équipe qui, depuis quelques semaines, sillonnent la planète afin de convaincre les pays clés à l’ONU, l’entreprise semble mal partie.

Les réticences chinoises

« Sur l’Iran, vous n’imaginez pas à quel point nous, Français et Américains, sommes isolés sur la scène internationale, dit un officiel à Paris. La plupart des grands pays émergents refusent de nous soutenir. Ils considèrent que, sur le sujet, nous sommes arrogants, voire néocolonialistes. » Certes, il y a la Russie, qui, assure-t-on à Paris et à Washington, votera la résolution franco-américaine. Pour obtenir l’appui du Kremlin, l’Elysée et la Maison-Blanche ont accepté de nombreux assouplissements à leur texte initial. Ils voulaient pouvoir s’en prendre aux responsables des atteintes aux droits de l’homme à Téhéran, geler leurs comptes à l’étranger et les interdire de visas. Un projet abandonné. Le Kremlin, qui pratique la même répression sur son sol, a refusé de souscrire à de telles mesures. Les Russes ont également rappelé qu’ils n’accepteraient aucun embargo sur les armes (ils sont les premiers fournisseurs de l’Iran). En revanche, ils ont obtenu la vente de quatre navires de guerre Mistral par la France. C’est à ce prix que Moscou est finalement « on board », comme on dit à Washington.

La Chine, qui dispose elle aussi d’un droit de veto au Conseil de Sécurité, ne l’est pas. En apportant sa voix à l’initiative franco-américaine, elle craint d’irriter son troisième fournisseur de pétrole et de perdre un marché très prometteur. Pour lever une partie des réticences chinoises, l’administration Obama a fait appel à ses alliés du Golfe. Elle a demandé à Riyad et aux Emirats arabes unis de rassurer Pékin, de promettre de lui fournir des hydrocarbures en cas de défaillance iranienne. Mais jusqu’à présent cela n’a pas eu l’effet escompté. Dimanche dernier, le ministre chinois des Affaires étrangères a répété que de nouvelles sanctions « ne résoudraient pas la question du nucléaire iranien ».

L’opposition brésilienne

Cette opposition publique de la Chine à la politique de sanctions a « décomplexé » d’autres pays qui, eux aussi, ont fait connaître leur hostilité à l’initiative franco-américaine. Le Brésil d’abord, membre du Conseil de Sécurité pour deux ans, sans droit de veto. Au début du mois, son président Lula a déclaré qu’« il ne serait pas prudent de mettre l’Iran dos au mur». Plus direct encore, son ministre des Affaires étrangères a dit qu’il était hors de question de céder au « diktat américain ».

Deux raisons expliquent l’opposition brésilienne. D’abord, le plus vaste pays d’Amérique latine est engagé dans un programme nucléaire civil de grande ampleur. En 2006, il a même ouvert une usine d’enrichissement d’uranium à Resende, à 150 kilomètres de Rio. Comment pourrait-il s’opposer à la construction de sites équivalents au Moyen-Orient ? «Je veux pour l’Iran la même chose que je veux pour le Brésil : utiliser le développement de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques », a dit Lula il y a quelques jours, lors d’une conférence de presse en présence de Hillary Clinton, furieuse. Et puis le Brésil entend jouer un rôle central dans la diplomatie mondiale, celui de médiateur entre les « grands » et les émergents. Pour ce faire, il se doit à une certaine neutralité.

Un autre pays majeur bloque l’adoption de sanctions : la Turquie, membre non permanent du Conseil de Sécurité, elle aussi. Son Premier ministre, Recep Erdogan, dénonce souvent le « deux poids, deux mesures » et rappelle qu’Israël est doté de l’arme nucléaire. Il entend également jouer les intermédiaires dans la région et souhaite multiplier par trois le commerce avec son grand voisin iranien. Il y a donc peu de chances qu’il adopte la résolution présentée par Washington et Paris. Pas plus que le Liban, qui siège également pour deux ans au Conseil. Le pouvoir en place à Beyrouth ne peut se permettre de déplaire au Hezbollah, bras armé de l’Iran dans le pays.

Sans l’appui de ces trois pays, il sera difficile d’adopter et plus encore de justifier des sanctions. Pour obtenir leurs voix à New York, les Etats-Unis disposent de puissants leviers – économiques, militaires et diplomatiques. Ils peuvent, par exemple, promettre au Brésil de soutenir sa candidature pour un siège permanent au Conseil, menacer le Liban de ne plus lui livrer d’armes et la Turquie de ne plus appuyer son entrée dans l’Union européenne. Si ces pressions marchent, la Chine se trouverait isolée. Elle serait alors probablement contrainte de ne pas opposer son veto à de nouvelles sanctions. Tel est, en tout cas, le scénario auquel on se raccroche à Paris comme à Washington.

Vincent Jauvert
Nouvelobs