Le directeur et co-fondateur du site d’information Mediapart, Edwy Plenel, a adressé mercredi 23 juillet une lettre ouverte au Président français François Hollande, l’accusant de reproduire dans sa politique palestinienne les mêmes réflexes coloniaux que les socialistes au pouvoir en France lors du déclenchement de la guerre d’indépendance algérienne, au milieu des années 1950.
“Monsieur le Président, cher François Hollande, je n’aurais jamais pensé que vous puissiez rester, un jour, dans l’histoire du socialisme français, comme un nouveau Guy Mollet [président du Conseil de février 1956 à juin 1957, ndlr].”
Voici comment débute la lettre ouverte d’Edwy Plenel à François Hollande : par un parallèle entre la politique actuelle de son pays vis-à-vis de la Palestine et celle menée par la France de la IVe République au moment de libérer l’Algérie du joug colonial.
“Guy Mollet, et la majorité de gauche qui le soutenait, lui opposèrent, vous le savez, un déni de réalité,” écrit l’éditorialiste. “Ils s’accrochèrent à un monde d’hier, déjà perdu, ajoutant du malheur par leur entêtement, aggravant l’injustice par leur aveuglement. C’est ainsi qu’ils prétendirent que l’Algérie devait à tout prix rester la France, jusqu’à engager le contingent dans une sale guerre, jusqu’à autoriser l’usage de la torture, jusqu’à violenter les libertés et museler les oppositions. Et c’est avec la même mentalité coloniale qu’ils engagèrent notre pays dans une désastreuse aventure guerrière à Suez contre l’Égypte souveraine, aux côtés du jeune État d’Israël.”
Pour Edwy Plenel, l’offensive israélienne menée depuis 17 jours sur la bande de Gaza n’est qu’une poursuite des guerres coloniales, dont la France est complice.
Les sept “fautes stupéfiantes” de François Hollande
Le journaliste poursuit en énumérant sept erreurs qui ont poussé François Hollande à “l’aveuglement” et “entraînent la France dans une spirale de guerre des mondes” :
-une faute politique, celle de s’être aligné “sur la ligne d’offensive à outrance et de refus des compromis de la droite israélienne”, en rupture avec la position française traditionnellement équilibrée et souveraine face au conflit israélo-palestinien.
-une faute intellectuelle, celle de confondre antisémitisme et antisionisme, notamment en assimilant les manifestations pro-palestiniennes des derniers jours à un regain du sentiment antisémite en France. Reconnaître la légitimité d’Israël “n’entraîne pas que la politique de cet État soit hors de la critique et de la contestation”, rappelle Edwy Plenel.
-une faute démocratique, en bafouant le droit fondamental à manifester –deux rassemblements de soutien à la population palestinienne ont été interdits le week-end dernier à Paris et Sarcelles (Val-d’Oise).
-une faute républicaine en donnant une dimension religieuse au débat sur le conflit israélo-palestinien, notamment en réunissant très médiatiquement les représentants des cultes juif, musulman et chrétien au lendemain des violences survenues en marge de la manifestation pro-palestinienne de Sarcelles dimanche dernier.
-une faute historique, en focalisant la lutte antiraciste sur l’antisémitisme, et en oubliant “le lot quotidien de petites discriminations et de grandes détestations” envers les personnes de confession ou de culture musulmane.
-une faute sociale, en établissant un lien explicite entre jeunes des quartiers et antisémitisme -notamment dans le discours du Vel d’Hiv du Premier ministre Manuel Valls.
-une faute morale, en encourageant une logique guerrière, notamment à travers les intervention françaises au Mali et en Centrafrique.
Un appel à la cohérence dans les principes
Cette lettre ouverte d’Edwy Plenel à François Hollande, qu’il connaît bien pour avoir écrit un livre d’entretien avec lui –Devoirs de vérité, Paris, Stock, 2006-, invite donc le président de la République à remettre en question de nombreux pré-supposés de sa politique en s’interrogeant sur la position de la France à l’égard de l’intervention israélienne “Bordure protectrice” à Gaza. Comme une mise en garde à celui qui accusait alors Guy Mollet d’avoir “perdu son âme dans la guerre d’Algérie” et commis, lui aussi, une “faute chèrement payée”.