Quelles libertés après le printemps arabe ?

Redaction

Lors de la 5e édition de l’université d’été francophone organisée par Unmondelibre le 12 septembre dernier, Emmanuel Martin a évoqué deux thématiques contemporaines essentielles, celles de la Liberté et du développement.  

 

Plus d'un an après les révolutions du monde arabe, la démocratie peine encore à s'installer / DR

Mr. Martin a démarré sa conférence en introduisant la notion de division du travail comme étant la source de création de valeur et  donc de richesse. Une division du travail ne peut accomplir une telle mission sans la possibilité d’échange. Cette division de travail donne un aspect macroéconomique au développement.

Au cœur du processus organique de développement, se trouve un acteur central : l’entrepreneur. C’est le moteur de l’action économique, de la division du travail et de la création des richesses.

La division du travail et donc la spécialisation ne peuvent avoir lieu sans une étendue de marché suffisante. Cette étendue s’explique par le pouvoir d’achat des consommateurs et la concentration géographique des clients. Il s’agit d’un processus « boule de neige ».

Le développement repose sur un système décentralisé de milliards de décisions qui sont coordonnées par le marché. Chaque individu animé par un intérêt propre, coopère spontanément, sans le savoir, avec des millions de personnes inconnues. C’est le système d’échange impersonnel où la coordination est permise par le système des prix et des institutions.

Pour que ce processus organique de développement émerge, il faudrait un terreau institutionnel. Cet ensemble de règles est fondamental pour résoudre le problème de coordination entre les différents acteurs économiques.

Les institutions conditionnent aussi les incitations des agents économiques à consommer, produire et à échanger.

Enfin ces institutions en véhiculant la connaissance, permettent de résoudre le problème de l’ignorance et de la dispersion de celle-ci.

Pour contribuer au développement il faudrait être libre pour être incité à tirer avantage des différentes opportunités de création de valeur. Il faut être libre pour créer, s’accomplir et bâtir sa dignité d’homme.

L’orateur a insisté sur le fait que la liberté ne va pas sans responsabilité. Chacun est libre de faire ses choix, mais en contrepartie il doit en assumer les conséquences. Le conférencier rappelle à cet égard comment lors de la crise financière et économique, l’absence de responsabilité des politiques et des financiers qui privatisaient les bénéfices et collectivisaient les pertes. La boussole du marché, de la responsabilité. C’est le système de marché : pertes et profits.

Quelle stratégie pour sortir les pays arabes de l’économie rentière ? 

Dans sa première conférence, le docteur Hicham El Moussaoui est parti du constat que tous les pays arabes sont, à des degrés divers, des pays rentiers. La nature rentière, selon le conférencier est à l’origine des soulèvements des peuples arabes. Pour éviter de nouvelles vagues révolutionnaires, il faudrait rompre avec ce système pour aller vers une économie plus productive.

La rente peut être de nature diverse : revenus d’exportation de matières premières ou agricoles (gaz, pétrole, phosphate, potasse, minerais de fer, coton), recettes du secteur touristique, transferts des immigrés, aides internationales ou arabes, et droits de transit (le Canal de Suez). La rente peut être une aubaine quand elle est engrangée par un pays démocratique : elle est alors distribuée sous forme de services sociaux. Mais, dans les pays arabes, force est de constater que la rente a été captée par l’élite au pouvoir, ce qui a produit plusieurs effets pervers, qu’on regroupe en général sous le terme «malédiction des ressources».

Comment cette rente censée être une bénédiction pour les populations arabes pour les aider à financer leur développement s’est-elle transformée en malédiction, bloquant la dynamique du changement et de la croissance ?

Il est clair que l’aisance financière permise par la rente a joué comme un élément de désengagement à l’activité productive, à la rigueur budgétaire et aux réformes structurelles. Par conséquent, au lieu d’investir les flux de rente dans des activités productives de biens et services à haute valeur ajoutée, les dirigeants arabes ont investi dans la consommation improductive et somptueuse ; ont distribué l’argent aux clans et aux opposants les plus menaçants pour acheter leur docilité et leur silence.

Ainsi, ils sont restés dans une logique de maximisation de la rente et non de fructification qui pourrait bénéficier à tout le monde. Résultat nous avons des économies mono-productrices présentant un déficit criant de diversification. Cela a rendu les économies arabes d’avantage dépendantes de la rente, d’où les problèmes d’inflation, de chômage et d’inégalités exacerbant les tensions sociales.

Comment sortir de ce cercle vicieux et transformer les économies rentières arabes en économies productives  concurrentielles ?

Une vraie économie concurrentielle est une économie qui prend appui sur trois piliers : liberté de choix, droits de propriété et concurrence. Le premier signifie que les agents doivent être en mesure de produire et de consommer, sans restrictions ou contrainte (autre que leur budget) ni coercition, conformément à leurs besoins et préférences.

Le deuxième pilier implique que pour échanger il faut être propriétaire et pour faciliter les échanges il faudrait que les propriétés des co-échangistes soient protégé et sécurisés. Il s’agit non seulement de protéger ses biens, mais aussi le fruit de son travail. Faute de quoi, la méfiance s’installe et l’échange sera bloqué et l’effort productif découragé. Le troisième pilier implique que tous les acteurs soient libres d’intégrer ou de quitter le marché en question, que les prix soient libres pour guider correctement les choix des producteurs et des consommateurs, et que la transparence règne de même que les positions soient contestables pour que le monopole ne soit pas une fatalité.

Comment faire en sorte de mettre en application ces trois principes fondateurs dans es économies arabes pour les amener sur le chemin de la compétitivité ? 

Parmi les éléments de réponse, on traitera de l’instauration d’un état de droit, la libéralisation des prix, la mise en place de conditions institutionnelles permettant des privatisations réussies, l’élaboration de lois anti-trust et anti-rente, des lois de transparence budgétaire notamment lorsqu’il s’agit des revenus pétroliers. Sortir de l’économie de la rente signifie accroitre la liberté économique en gérant de manière plus optimale la taille et le degré d’immixtion de l’Etat dans l’économie, une liberté en matière de capital et d’investissement, un système judiciaire indépendant et compètent, une politique monétaire saine et une réglementation intelligente des marchés de travail de crédit et des affaires.

La résistance au changement social : quelles solutions ?

Le Dr Nouh El Harmouzi a dressé un bilan des années d’investissement dans le système public de l’éducation et de la formation. Il a rappelé que « les retombées de longues années et lourds investissements dans le domaine éducatif restent modestes (MENA Development Report 2008). « Les principales manifestations de cet échec sont le développement de phénomènes de massification de l’enseignement et son corollaire l’uniformisation ». La quantité a été favorisée aux dépens de la qualité, l’école devenant alors davantage  un lieu de gardiennage social où sont véhiculés des savoirs mémorisés plus que l’acquisition de nouvelles connaissances.

Il a ensuite démontré empiriquement l’insuffisance des solutions traditionnelles préconisant l’augmentation pure et simple des fonds alloués à l’éducation. Il a rappelé que le caractère inefficace de telles mesures simplistes est dû au fait que  tout système éducatif s’insère dans une matrice socioculturelle et sociopolitique. L’efficacité de ce système éducatif dépend largement de son contexte socio-culturel car à l’évidence, les politiques d’éducation n’interviennent pas dans un vide institutionnel.

Ainsi, la qualité du système éducatif est plutôt déterminée par la matrice institutionnelle qui échafaude le comportement des acteurs dans une société donnée. Les arrangements institutionnels adaptés permettront l’émergence d’un système éducatif d’une grande réactivité, capable  d’adaptation  et d’innovation sans freins ni délais excessifs.

L’absence de cette capacité d’adaptation et d’innovation ainsi qu’une impossibilité de résister au changement s’explique par le fait que la matrice éducative aura «nourri» des acteurs qui, attachés à elle (d’aucuns diraient plutôt aux avantages qu’elle procure), tenteront à s’opposer à sa modification. En d’autres termes, les structures accumulées donnent naissance à des acteurs dont la survie dépend de la perpétuation desdites structures. Ainsi, en toute rationalité, ces acteurs préfèreront perpétuer le statu-quo plutôt que de transformer ou d’innover, conduisant dès lors à l’affaiblissement voire à la sclérose du système éducatif.

Le chercheur a conclu son intervention en rappelant qu’il est urgent de mettre en place des politiques éducatives courageuses stimulant la diversification et l’offre éducative en consolidant l’initiative privée encourageant, par essence, les activités nouvelles au lieu de se replier sur des politiques défensives et complaisantes aux corporatismes – une complaisance qui conduit trop souvent à une politique de sauvegarde de l’obsolète et du «condamné à disparaître», aux dépens de l’intérêt à long terme du système éducatif.

Le secteur d’éducation privée, inscrit dans une matrice institutionnelle saine et transparente, contribuera à l’amélioration du secteur public en désengorgeant des classes en sureffectifs, en permettant un taux d’élèves par enseignant bien plus raisonnable (réponse à la massification).

Les mesures encourageant le système privé d’éducation doivent être accompagnées par un système de soutien direct aux couches les plus défavorisées en distribuant des chèques-éducations dégressifs aux familles en fonction de leurs revenus. Cette mesure pourrait remplacer les aides et subventions privées/publiques qui transitent par des circuits lourdement bureaucratisés et profondément corrompus.

Tôt ou tard, et dans un monde compétitif en perpétuel changement, l’adaptation devra se faire, mais le prix de tout retard sur le plan éducatif n’en sera que plus élevé et il devra être payé.

Cet article a été initialement publié sur unmondelibre.org.