Interview. Les Rohingyas /De Charybde en Scylla, de la Birmanie à l’exil forcé

Redaction

Apatrides dans leur propre pays, les Rohingyas, la minorité musulmane de Birmanie, vit sous le joug des autorités nationalistes, influencées par les extrémistes bouddhistes. Discriminés, persécutés, des dizaines de milliers d’entre eux se sont résignés, depuis une vingtaine d’années, à quitter leur terre, fuyant par bateau vers un pays voisin ou migrant jusqu’en Arabie Saoudite ou en Australie.

Depuis le début de l’année, l’exode des Rohingyas s’est accentué. Ils sont plus de 25.000 musulmans, originaires de Birmanie, à avoir pris le fuite depuis janvier dernier, selon plusieurs ONG internationales. Président du Collectif Halte au Massacre en Birmanie (HAMEB), Nordine Errais explique à Algérie-Focus que la relative libéralisation du pays et la récente médiatisation du sort des Rohingyas ont paradoxalement eu pour effet d’intensifier les opérations d’intimidation à leur encontre, incitant la population persécutée à s’exiler. Entretien.

Propos recueillis par Djamila OULD KHETTAB

Algérie-Focus : Les Rohingyas sont considérés par plusieurs ONG internationales comme la population la plus persécutée au monde. Quelles discriminations subissent-ils ?

Nordine Errais : Ils subissent d’abord un racisme ordinaire. Les Rohingyas, qui sont des descendants de commerçants arabes, ont la peau plus foncée que le reste de la population birmane. On les appelle, d’ailleurs, là-bas les « kular », ce qui veut dire « noir » en lobo-birman.

Avec l’arrivée des militaires au pouvoir dans les années 1960, les Rohingyas ont commencé à être victime d’islamophobie. En Birmanie, le bouddhisme n’est pas religion d’Etat mais c’est tout comme. Les lois sont largement rédigées en faveur de la communauté bouddhiste, qui représente environ 96% de la population totale de la Birmanie contre à peu près 6% de musulmans Rohingyas. Bousculer un bouddhiste sur un trottoir peut vous envoyer en prison.

Les Rohingyas ne disposent plus de la nationalité birmane …

Ils ont effectivement été déchus de leur nationalité en 1982. Autrement dit, tous les enfants nés après cette date sont apatrides. Ce qui veut dire qu’ils n’ont ni droit d’aller à l’école, ni droit de voter, ni de se marier ou d’accéder à la propriété. Bref, ils n’ont aucun droit et rien qui prouve leur existence. Ils sont environ deux millions d’apatrides, soit l’une des populations d’apatrides les plus élevées au monde.

Cette décision relève de la propagande anti-Islam véhiculée à travers les médias étatiques depuis l’accession au pouvoir des militaires. Le régime birman est hyper-nationaliste, il isole de plus en plus les Rohingyas, qui sont déjà la population la plus pauvre du pays.

Des milliers de Rohingyas ont émigré ces derniers mois. Sont-ils condamnés à l’exil ?

L’exode est en réalité ancien. Cela fait une vingtaine d’années que par petits groupes, ils quittent périodiquement la Birmanie pour un Etat frontalier, la Thaïlande le Bangladesh, ou traversent la mer jusqu’en Malaisie ou en Indonésie. Auparavant, ils ne se posaient pas la question de fuir la terre sur laquelle ils vivent depuis plus de dix siècles. Ils ne savaient même pas ce qui existait au-delà de leurs frontières. Mais au fur et à mesure du harcèlement des autorités et des bouddhistes extrémistes, ils sont de plus en plus nombreux à quitter leur pays.

Suite à l’ouverture démocratique du pays en 2011 et la libération d’Ang San Suu Kyi, des journalistes étrangers ont été autorisés à entrer et travailler en Birmanie. La situation des Rohingyas a alors, enfin, été médiatisée. Ils ont été plus médiatisés mais aussi plus menacés. Avant cette médiatisation, ils pouvaient passer inaperçus, échapper à la colère des extrémistes anti-musulmans. Les autorités birmanes n’ont pas apprécié que sur la scène internationale on évoque le massacre des Rohingyas. Depuis, ils sont totalement assujettis à une campagne de violence orchestrée par les pouvoirs publics, influencés par les bouddhistes extrémistes. D’où le phénomène récent des boat people, l’exode massif des Rohingyas par les eaux.

La traversée de la mer Andaman est aussi périlleuse qu’en Méditerranée

Elle est même pire car les conditions météorologiques sont plus dangereuses, notamment durant la saison des moussons. Il arrive que certaines embarcations errent dans l’océan un à deux mois, sans que les radars ne les captent. Imaginez autant de temps en mer ! L’exil par les terres, à travers la jungle thaïlandaise, est tout autant dangereux. La jungle est infestée de trafiquants de drogue et humains, tentés de capturer les Rohingyas, de les exploiter pour des travaux forcés voire de les tuer pour vendre leurs membres. Plusieurs fosses communes ont ainsi été découvertes en Thaïlande.

Comment sont-ils accueillis dans leur pays d’exil ?

Ça dépend des pays. La majorité des réfugiés Rohingyas fuient en Thaïlande, en Malaisie et en Arabie Saoudite. Là-bas, les choses se passent souvent mal pour eux car soit ils sont parqués dans des camps, sans qu’ils sachent quand ils vont pouvoir les quitter, soit ils tombent entre les mains de réseaux de trafic humain, qui les réduisent en esclavage.

En Indonésie et en Australie, ils sont relativement mieux accueillis. Les Indonésiens sont sensibles depuis longtemps au nettoyage ethnique en Birmanie. Ils ont, d’ailleurs, organisé l’an passé le plus grand rassemblement au monde pour la défense des droits des Rohingyas.

Le plus grand problème, c’est qu’ils ne peuvent pas bénéficier du statut de réfugié. Soit parce que le pays d’accueil n’a pas signé la Convention internationale de 1951 relative au statut de réfugiés, comme c’est le cas de la Malaisie, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens de prouver leur origine Rohingyas. En France, par exemple, faute de document attestant de leur nationalité Birmane, ils sont confondus avec des Bengalis.

Votre Collectif existe depuis 2012 en France. Votre campagne de sensibilisation gagne-t-elle du terrain ?

Oui il y a une grande différence aujourd’hui par rapport à 2012 ne serait-ce que par ce que personne n’avait entendu parler d’eux avant 2012. Peu de personne ne savait placer la Birmanie sur la carte. En trois ans, on a organisé une dizaine de conférence en France, en Suisse et en Belgique, l’une d’elles en présence de Tariq Ramadan. On a effectué un premier voyage au Bangladesh en 2013, où se trouvent des réfugiés Rohingyas. Depuis, on s’est rendu à plusieurs reprises en Malaisie et en Thaïlande.

À la base, notre collectif militait seulement pour les droits civiques et politiques de cette population. Désormais, nous envoyons aussi de l’aide humanitaire, des colis alimentaires. Pour l’Aïd, nous avons ainsi sacrifié 70 vaches, soit assez de viandes pour nourrir trois villages. Depuis 2013, on construit un orphelinat en Malaisie, à Taiping, qui servira à terme de structure permanente dans la région.

* Le collectif HAMEB organisera vendredi 10 juillet à 19h30 un « Iftar solidaire pour les Rohingyas » à Gennevilliers (région parisienne – France). Repas traditionnel algéro-marocain, interventions de militants et projections de vidéos. Ticket d’entrée : 15 €. Pour en savoir plus, consultez la page Facebook du Collectif.

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