La journée de mercredi a constitué la sixième journée de protestation en Turquie. Un mouvement qui a débuté place Taksim, à Istanbul, pour des raisons locales (la contestation d’un projet d’urbanisme) et qui s’est étendu à une grogne politique contre le Premier ministre et son gouvernement. De nombreuses villes du pays ont été secouées par des manifestations et des violences policières. Retour sur ce mouvement qui dure depuis presque une semaine et que certains médias occidentaux qualifient de « Printemps Turc ».
«Le pic de la mobilisation à Taksim a eu lieu ce week-end. A la suite des violences policières de vendredi, la réaction a été immédiate, les gens sont venus protester en masse», explique un journaliste basé à Istanbul. Présent sur la place où le mouvement a débuté, ce journaliste constate que les manifestants sont un peu moins nombreux ce mercredi que ce week-end, «mais Taksim est tout de même plein de monde». La motivation reste importante sur la place, des slogans ont continué à être martelés tout au long de la journée de mercredi. Deux syndicats ont même témoigné leur soutien au mouvement. La Confédération des syndicats du secteur public (KESK) a appelé mardi les travailleurs à un arrêt de travail de deux jours par solidarité avec les manifestants. Quant à la Confédération syndicale des ouvriers révolutionnaires (DISK), elle a relayé l’appel pour mercredi.
Les raisons de la contestation
Quelques centaines de personnes ont protesté pacifiquement et sans heurts pendant trois jours dans le parc Taksim Gezi. Ils s’opposaient à un projet d’urbanisme visant à restaurer les casernes militaires historiques de Taksim démolies en 1940. Vendredi, la réaction de la police s’est faite violente. Utilisation de gaz lacrymogènes et coups pour chasser les manifestants de la place Taksim. Ce sont ces violences qui ont «mis le feu à un baril de poudre qui attendait d’exploser», affirme notre source journalistique sur place. «La société turque est sous tension depuis plusieurs années, ça se sent de plus en plus depuis 2009-2010 et ça s’est accéléré récemment avec les dernières mesures controversées du gouvernement», ajoute-t-il.
Une opinion qui semble partagée par les protestataires. «Cela fait huit ans que les gens en ont marre du gouvernement oppressif et fasciste d’Erdogan», explique un manifestant de 25 ans qui tient à garder l’anonymat. «Taksim Gezi Park était une excuse. Ce mouvement de protestation n’est pas une simple question d’arbres dans le parc de Gezi», précise le jeune homme qui participe depuis samedi aux manifestations, d’abord à Istanbul et maintenant à Izmir.
Le projet d’urbanisme contesté ne constitue pas le cœur de la révolte, mais plutôt l’élément déclencheur. «Un sentiment général s’est diffusé dans la société turque : les gens se sentent contrôlés et n’ont pas l’impression d’être consultés lors des décisions prises par le gouvernement». C’est exactement ce qui semble s’être passé pour le projet d’urbanisme de Taksim, aucune consultation populaire n’a été faite, dénoncent les premiers protestataires qui ont lancé le mouvement. Les autorités turques ont tenu à se justifier sur ce point. «La décision du projet de Taksim Gezi Parki a été prise au niveau municipal, il y a sept mois. L’AKP avait annoncé ce projet pendant les élections de 2011», a déclaré Veysel Filiz, le conseiller de presse de l’ambassade de Turquie à Bruxelles.
Les attentes des manifestants
«Le fer de lance de cette mobilisation, c’est-à-dire ceux qui sont présents depuis le début et qui se relaient 24h/24 à Taksim, sont majoritairement des jeunes. Des étudiants et des jeunes travailleurs. Des gens politisés et qui sont plutôt à gauche», détaille le journaliste local, «on retrouve un profil assez urbain, occidentalisé et en général laïque». «Mais durant la journée, ils sont rejoints par des personnes très diverses, de tous âges», ajoute-t-il.
«Nous voulons juste que nos droits soient reconnus et que nos voix soient entendues», martèle l’un des manifestants, lui aussi anonyme. Officiellement le mouvement de contestation attendent que des gestes concrets et immédiats soient fait de la part du gouvernement. Ils exigent des engagements écrits pour que la liberté d’expression et de manifestation soit respectée, que les violences policières ne se reproduisent plus et que le pouvoir écoute leurs revendications. Dans l’après-midi de mercredi, les représentants de la contestation ont d’ailleurs réclamé le renvoi des chefs de police de plusieurs villes turques, dont Ankara et Istanbul, à cause de l’usage jugé excessif de la force. La rue va encore plus loin en demandant le départ de Tayyip Erdogan. «Les slogans les plus fréquents place Taksim sont : ‘Tayyip démission’ en turc», précise notre source journalistique locale.
Le Premier ministre en place se défend de tout autoritarisme, arguant de sa position d’élu du peuple. «La comparaison avec le Printemps Arabe, et l’analogie avec un quelconque Printemps Turc, n’ont absolument pas lieu d’être. La Turquie est une démocratie parlementaire et les dernières élections, qui se sont tenues en 2011, ont porté le AKP au pouvoir avec environ 50% des voix», tient à souligner le conseiller de presse de l’ambassade de Turquie à Bruxelles.
Un score qui n’excuse pas le comportement de Tayyip Erdogan que de nombreux manifestants trouvent «arrogant», d’autant qu’il a fait un grand nombre de réformes impopulaires parmi toute une partie de la population, comme la loi qui restreint et encadre considérablement la vente d’alcool.
Sevin Turan, un journaliste turc du quotidien Hürriyet trouve que la popularité du Premier ministre Erdogan, qui en est à son troisième mandat, s’étiole. «Je pense que plus longtemps Erdogan reste au pouvoir, plus il se sent fort et plus il agit de manière indépendante. Il dit toujours : plus de 50% de la population a voté pour moi, donc je suis leur voix. Mais maintenant, ces manifestations montrent que certains d’entre eux sont en désaccord avec lui», a déclaré le journaliste turc.