Reportage/Un autre monde est-il possible pour les Algériennes ?

Redaction

Un appel a été lancé il y a quelques semaines pour rassembler autour d’un « front » les personnes désireuses de défendre les droits des femmes au sein de la société algérienne. La première réunion de ce futur collectif a eu lieu mercredi dernier, à Alger, et ce fut l’occasion pour tous ces militants enthousiastes de débattre du fond et de la forme que pourrait prendre un tel « front ».

La réunion prenait place à l’étage d’un immeuble de la rue des frères Adder, pas très loin de la place de l’émir Abdel Khader. L’atmosphère y est détendue, on me propose un thé, un café, pendant que les rares chaises vides attendent les quelques retardataires. Sur les murs de ce lieu chaleureux on trouve des tableaux, des portraits, des articles de presses découpés, et quelques grandes affiches de précédentes rencontres majeures pour les luttes progressistes, « un autre monde est possible », scande l’une d’entres elles, évoquant le forum social mondial de Tunis, en 2013. Chez les plus jeunes, des casquettes, des foulards, etc.,  l’ambiance est posée.

La réunion débute par un tour de salle où chacun tente de se définir comme il peut. L’exercice n’est pas aisé. Les individus présents viennent d’horizons différents. Il y a des militants de gauche « classiques », des membres du PST, des « féministes », des « progressistes », etc. La parité n’est, cependant, pas au rendez-vous, scandale ! Mais les voix des quelques hommes présents n’auront pas de mal à se faire entendre. Plusieurs générations sont de la partie, les jeunes sont bien là, et les plus anciens s’en félicitent.

S’attaquer directement à la loi

Le débat commence, les voix s’élèvent, les grands et beaux discours prennent place. La nature démocratique de cette petite assemblée populaire rend la synthèse difficile, tant les avis divergent sur les stratégies à adopter pour mener à bien les objectifs de ce futur « front féministe ». On s’emmêle tout autant sur la nature de ces « objectifs », « qu’est-ce que l’on veut ? Faire passer la loi sur la pénalisation des violences conjugales ? Abroger le code de la famille ? Y a-t-il des enjeux immédiats qui sont prioritaires ? ». Et certains parviennent aussi à chipoter sur des questions de définitions, « je n’aime pas la connotation de la notion de ‘front’ », dit une jeune femme, « pourquoi ne pas plutôt utiliser l’idée d’un ‘collectif’ ? », alors qu’un jeune homme tient absolument à ce que le futur texte fédérateur du front/collectif ne soit pas un simple « texte », mais une véritable « déclaration de principes ».

Sur le fond, certains souhaitent que le futur mouvement se concentre sur la loi de pénalisation des violences conjugales, « je suis fatiguée des coquilles vides, il faut qu’on s’attaque directement à la loi », explique une jeune femme, « même si on veut évidemment tous que le code de la famille, liberticide pour les femmes, soit abrogé à terme », alors que d’autres refusent qu’un ordre de priorités soit établi. Une autre dame s’élance, « non, tout est prioritaire, absolument tout ». Puis un des jeunes : « mais il faut faire les choses progressivement, on veut tous une société égalitaire, sans classes etc., mais l’histoire montre qu’on a failli à chaque fois parce que l’on voulait tout en même temps, pour au final n’avoir rien ». Une des militantes, passablement irritée par la tournure de la réunion, s’emporte, « moi je ne suis pas venue que pour ça, la combat féministe c’est un tout, la question des violences conjugales n’est pas une question féministe en soi, elle concerne tout le monde, non la priorité c’est le code de la famille », s’exclame-t-elle avant de quitter la salle.

Sur la forme, l’assemblée s’interroge sur les actions à engager. Un texte fédérateur ? Des actions de sensibilisation ? Des manifestations ? L’objectif d’une « déclaration de principes » serait de partir de cet appel pour écrire un texte fédérateur, « et qu’autres nous rejoignent », mais un des jeunes s’interroge : « je suis d’accord pour le texte, mais quelques actions allons-nous engager à côté ? ».

« Il ne faut pas nous jeter la pierre »

Au cœur de tous ces débats passionnants on sent quelques tensions générationnelles, alors que les plus jeunes semblent reprocher à leurs aînés les précédents échecs des batailles menées par les progressistes algériens. « Il ne faut pas nous jeter la pierre », demande un homme dans l’assemblée, tentant d’apaiser un peu l’atmosphère, « nous avons fait ce que nous avons pu, et nous avons fait avancer les choses sur beaucoup de points, malgré un contexte politique et social souvent peu favorable, et preuve en est votre présence aujourd’hui à nos côtés ».

Toute la difficulté de ce futur front à mener semble justement se trouver dans ce contexte politique et social. Les mentalités sont-elles prêtes à ces changements que les luttes féministes entendent mener ? Le débat ne doit-il pas se porter autant sur le plan culturel et sur la place publique que dans les textes de lois ? Une des jeunes femmes évoque d’ailleurs le problème, elle demande : « n’est-il pas trop tôt pour constituer un front ? N’y a-t-il pas un travail en amont à faire au sein de la société ? ». Tous s’accordent néanmoins sur un point. La conjoncture actuelle, avec le projet de nouvelle constitution, est une opportunité qu’il faut saisir pour rassembler toutes ces personnalités engagées autour d’un projet commun, au-delà des discordes.

La réunion est enthousiasmante, tant les débats sont vifs et engagés, et la difficulté manifeste du rassemblement qu’ils appellent de leurs voeux est peu étonnante dans le contexte actuel, alors que les forces des mouvements progressistes semblent si dispersées. On espère, à ce titre, que cet appel, et le futur « texte » qui en sortira, saura convaincre les humanistes en tous genres de s’engager concrètement au sein de ce collectif ambitieux, pour faire avancer les droits des femmes au sein de la société algérienne. Le courage commence maintenant.

Tarek S.W.