Alger : La maison hantée de Raïs Hamidou livre ses secrets

Redaction

Le long de la côte rocheuse de Raïs Hamidou à Alger, une imposante bâtisse de style colonial, en ruines et complètement délaissée, s’élève seule et isolée face à la mer. La légende urbaine veut que ce Château des Deux Moulins soit devenu au cours du temps une maison hantée. Les habitants du quartier qui connaissent cet endroit depuis leur plus tendre enfance ont une version différente et bien plus réaliste de l’histoire de ce château.

« Aucune des familles qui ont tenté d’habiter cette maison après 1962 n’ont pu y rester. Dès la nuit tombée, les chaises volaient, une force surhumaine semblait cogner contre les murs et, selon les témoins, les vêtements des habitants voltigeaient dans les pièces comme dans un film d’horreur. » Cette anecdote n’est qu’un exemple parmi tant d’autres des nombreuses rumeurs qui circulent sur le château de Raïs Hamidou. Algérie-Focus est parti enquêter afin de découvrir la véritable histoire du lieu et comprendre d’où lui vient son surnom de « maison hantée ».

Une bâtisse dégradée et délaissée

« Ça n’a jamais été hanté ! », s’exclame Sidi Ahmed, le tenancier de la cafétéria située juste en face du château. « Si de telles rumeurs courent c’est parce que les gens entendent parler et ensuite ils répètent, mais c’est faux ». Sidi Ahmed habite le quartier des Deux Moulins depuis qu’il est né, il y a 44 ans. « Mon père était boucher ici même », raconte-t-il en montrant l’intérieur du café d’un geste ample, « il m’a dit qu’après l’indépendance le château était encore en bon état ». « A partir de la fin des années 1970, des gens sont venus et l’ont cassé », poursuit le tenancier de 44 ans. « Le château a un peu bougé pendant le tremblement de terre de 2003 mais ce sont les hommes qui sont responsables à 80 ou 90% de son état actuel », affirme-t-il.

Des pans entiers du château des Deux Moulins s’effondrent, notamment à cause du vol de ferraille. (Crédit : Maïna F.)

A quelques dizaines de mètres de la cafétéria de Sidi Ahmed, se tient une petite alimentation générale. Le propriétaire du lieu et plusieurs hommes âgés discutent, assis sur le muret qui borde la boutique. Tous ont grandi et vécu dans les environs. La version d’Ali, la soixantaine, rejoint celle fournie par l’homme de la cafétéria. « Dans les années 1970 de nombreuses personnes sont venues de la campagne, du bled, pour fuir la misère et se sont installés à Alger. Une vingtaine de familles ont habité illégalement dans le château des Deux Moulins », se souvient le sexagénaire. « C’était pareil pour les anciens bungalows des Français, des gens provenant de l’est du pays s’y sont installés. Il y a quelques années, les autorités ont rasé toutes ces habitations clandestines », explique-t-il en se rapprochant du bord de mer pour montrer les étendues vides sur la côte, à l’emplacement passé des bungalows. Quant au château, lorsque les familles qui y habitaient illégalement sont parties, il est resté complètement à l’abandon. Le bâtiment a continué à ne pas être entretenu et plus personne ne s’y rend, « à part des ivrognes et des drogués », précise Ali. Pour preuve, des dizaines de tessons de bouteilles et des milliers de bris de verre jonchent le sol de la maison en ruine.

Une école primaire plastiquée par l’OAS

Le château des Deux Moulins aurait été construit par un baron à l’époque coloniale puis légué ou vendu aux autorités françaises pour que la bâtisse soit consacrée à l’éducation des enfants. Dans les années 1950 le château devient donc l’Ecole primaire des Deux Moulins. Plusieurs habitants du quartier, qui vivent toujours dans les alentours, ont fréquenté cet établissement scolaire mixte. « C’était notre école primaire », se souvient Monsieur Bouchaïr, « j’y ai étudié cinq ans ». Ali n’est pas resté aussi longtemps que son ami dans cette école. « J’ai étudié dans le château pendant un an et demi », précise-t-il. « En fait je n’ai pu y entrer qu’à l’âge de 9 ans », explique l’homme qui a aujourd’hui la soixantaine, « normalement on pouvait y aller à 5 ans, mais moi l’armée française n’a pas voulu m’y inscrire, j’ai dû attendre un certain temps pour avoir l’autorisation ». A l’époque, Français et Algériens fréquentaient ensemble cette école. « Il y avait un peu plus de Français, mais on était quand même plusieurs Algériens dans chaque classe », se rappelle Ali. En revanche le déséquilibre était plus important du côté des maîtres et des maîtresses. « Tous les instituteurs étaient des Français, un seul était Arabe », souligne Monsieur Bouchaïr.

Ali devant son ancienne salle de classe qu’il a fréquentée en 1961. Il déplore qu’elle soit aujourd’hui totalement détruite. (Crédit : Maïna F.)

Un jour de l’année 1962, quelque temps avant l’indépendance, tout a changé. « L’école a été plastiquée par l’OAS pendant la nuit », témoignent Monsieur Bouchaïr et Ali. Les autres hommes âgés qui se tiennent à côté d’eux approuvent d’un hochement de tête. Du jour au lendemain, plus aucun enfant n’est retourné étudier à l’Ecole primaire des Deux Moulins. La charge de plastic déposée par l’Organisation armée secrète a provoqué une explosion qui n’a abîmé qu’une partie du bâtiment. « Le château a été un peu affecté mais pas tellement », raconte Ali. Il était apparemment encore en bon état, ce qui explique que plusieurs familles s’y sont/soient installées 10 ans plus tard. C’est à cette époque-là que la bâtisse a commencé à se dégrader, affirment les habitants du quartier. A cause de l’usure, du non-entretien mais surtout des « actes de vandalisme ». Les gens sont venus piller les matériaux de construction : pierres et ferrailles notamment. « Regardez ! Toutes les structures en ferraille ont été enlevées. Il n’y a plus rien et maintenant ça s’écroule », s’indigne Ali en pointant du doigt un pan de mur qui penche dangereusement dans le vide.

Un suicide qui fait croire aux fantômes

Gigantesque, seul face à la mer, le château en ruines peut effrayer plus d’un passant lorsque la nuit se fait sombre et profonde. Mais ceux qui le connaissent bien, ceux qui ont grandi avec, n’en ont pas peur. « Je mettrais ma main au feu que cette maison n’est pas hantée ! », s’emporte Ali, « dans les années 70 et 80 on venait souvent pêcher le soir, juste devant le château, et on n’a jamais rien vu d’étrange ». Outre son allure inquiétante, les rumeurs qui courent sur le bâtiment et ses fantômes proviennent surtout d’une tragique histoire de suicide. « Un homme, c’était un clochard et un malade mental, est venu se pendre dans la maison »,  raconte Sidi Ahmed le propriétaire de la cafétéria. « Moi, je le connaissais l’homme qui est mort. Il est venu habiter dans le château et a fait croire qu’il était fou, mais en vrai il ne l’était pas », explique Ali, « s’il a fait ça c’était pour qu’on lui donne à manger et qu’on le laisse tranquille ». « Mais un jour, on l’a retrouvé pendu à l’intérieur », poursuit le vieil homme, « c’était il y a une dizaine d’années et c’est à partir de ce moment-là que les histoires de fantômes ont commencé ».

Les rumeurs courant autour de ce qui est appelé par certains « la maison hantée » mélangent souvent plusieurs histoires afin de rendre le lieu encore plus effrayant. Fréquemment, le château des Deux Moulins et l’ancien Casino de la Corniche sont confondus, ce qui provoque une dramatisation de la légende urbaine. Sur internet on trouve des photos du château ayant pour titre « L’ancien Casino d’Alger devient une maison hantée ». Certains internautes écrivent même que les fantômes qui y sévissent sont les âmes des personnes torturées dans les sous-sols du casino, après qu’il soit devenu un « centre d’interrogatoire » du FLN durant la Guerre d’Indépendance. Le Casino de la Corniche a bien existé, mais il se trouvait un peu plus loin vers l’ouest, au niveau de la Pointe Pescade, à Raïs Hamidou. Alors que l’Ecole des Deux Moulins a été plastiquée par l’OAS en 1962, le casino a lui été victime d’un attentat perpétré en juin 1957 par le FLN. Il serait ensuite devenu un centre d’interrogatoire de l’armée indépendantiste, qui y pratiquait sûrement la torture. Pour autant le château et l’école sont bien deux lieux distincts et les fantômes de l’un n’ont aucune raison de se substituer aux fantômes de l’autre.

L’ancien Casino de la Corniche qui a été touché par un attentat en juin 1957