Une manifestation de plus pour la capitale algérienne mais une manifestation pas comme les autres. Ce samedi 15 mars le rassemblement initié par le mouvement Barakat ! qui devait mobiliser un important effectif. Les militants anti-4eme mandat ont pu se rassembler en toute liberté sans que la police ne les interpelle.
Les autorités algériennes ont décidé de lâcher du lest pour les militants algériens. Après des arrestations en masse, des interventions parfois musclées contre les opposants au pouvoir, la police algéroise change radicalement de méthode. Ce samedi matin, les citoyens algériens s’étaient mobilisés en grand nombre dans le centre d’Alger pour clamer leur opposition à la validation de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika. Les familles des disparus scandaient leur « ni Oujda, ni DRS » dès 10 h du matin sur les marches de la Grande Poste alors que durant une heure, les militants du mouvement Barakat ! et leurs soutiens ont pu crier devant la faculté centrale une multitude de slogans anti-4eme mandat. En face la police est restée… impassible.
Les policiers se sont contentés d’encercler les groupes de protestataires, en mettant en place un cordon sécuritaire. Alors que les officiers des renseignements généraux habillés en civil surveillaient de loin les leaders du mouvement. Aucune interpellation, aucun débordement ou violence lors de deux rassemblements non-autorisés. Un parfum de démocratie flotterait-il au-dessus d’Alger ?
Pas d’arrestations ? Alors crions !
La situation était presque déstabilisante pour les militants habitués aux coups de pression des autorités algériennes. La société civile a repris ses droits dans la rue ce matin. Notamment parmi les figures de proue du mouvement Barakat ! comme Amira Bouraoui, Mustapha Benfodil, Mehdi Bsikri et bien d’autres, arrêtés à chaque action organisée dans la rue jusqu’à présent. Arrivés vers 10 H 30, face à la faculté centrale, ils ont lancé leurs slogans dès 11 H, avec la crainte d’être embarqué dès le premier cri. Dans l’assistance, on ressentait clairement une tension et une appréhension… puis rien. Quelques minutes ont permis de comprendre que cette fois, les autorités Algériennes autorisaient ses citoyens à manifester leur mécontentement. Pendant une heure, ils ont pu crier à la fin du règne Bouteflika, à la corruption, ou encore à la mise en place d’une « IIe République ».
« Y en a marre de ce pouvoir, y en a marre! »
Les « Y en a marre de ce pouvoir, y en a marre! », et « Algérie libre et démocratique », n’ont cessé de résonner parmi la foule, qui a très vite grossi atteignant une bonne centaine de personnes, laissée libre de ses mouvements par la police. Une première depuis le début de l’année, durant laquelle il ne faisait pas bon d’exprimer son mécontentement. Déjà mercredi 12 mars, les leaders de plusieurs partis défendant le boycott de l’élection du 17 avril avaient été violemment repoussés par la police, les empêchant d’observer leur sit-in. Quelques uns se sont même permis d’exprimer leur soutien à la chaîne Al Atlas dont la diffusion a été récemment suspendue sur ordre du Procureur général d’Alger. « Nous soutenons tous les combats, mais ils convergent tous vers la protection de nos droits, de notre République », explique un jeune militant algérois, qui a rappelé qu’il fallait également profiter de ce laps de temps pour défendre la liberté de la presse.
Plus détendus les militants du 15 mars, ont pu substituer l’ambiance plutôt dramatique des autres rassemblements, en une atmosphère devenue très bon enfant. Rires, chansons et danse, ont pris place chez les partisans du Barakat ! L’événement du 15 mars était, pourtant, très attendu et très appréhendé. Un appel national avait été lancé par le mouvement barakat ! et des militants de l’intérieur du pays avaient même fait le déplacement pour soutenir les anti-4eme mandat mobilisés dans la capitale. Depuis Batna, Oran, Sétif, ou Tlemcen, des Algériens ont fait le déplacement pour intimider le pouvoir qui tente d’étouffer le mouvement, jusqu’à ce matin. Même les badauds – plus nombreux que les manifestants – postés sur les trottoirs d’en face avaient du mal à saisir la situation.
« Ils n’en ont pas assez de crier », « de quoi s’agit-il? » pouvait-on entendre dans l’assistance de curieux, peu touchés par le message transmis par les anti-4eme mandat, mais juste intéressés par le monde et les journalistes algériens et étrangers. Parmi certains s’attendaient à ce que « les militants soient arrêtés », finalement non se sont rendus compte les spectateurs de la scène, presque déçus d’avoir assisté à une manifestation normale.
Liberté d’expression d’apparence
Interrogés sur les raisons de ce nouvel encadrement, les manifestants s’accordent à dire que ce sont plusieurs raisons qui a poussé la DGSN à opter pour l’encadrement plutôt que la répression. L’argument numéro 1 est l’appel que la France a lancé hier à l’Algérie d’offrir une liberté d’expression et une liberté de manifester pacifiquement. L’autre version privilégiée est celle selon laquelle Abdelaziz Bouteflika officiellement candidat à la présidentielle 2014 ne peut se permettre une mauvaise publicité en cette période.
Toutefois la version la plus plausible est celle selon laquelle la DGSN veut soigner son image. La conférence de presse d’Abdelghani Hamel, le chef de la DGSN semble avoir eu un impact sur le traitement de ce type d’événement. Le général-major avait clairement remis la responsabilité de la répression policière au Wali d’Alger. Lassé des critiques de ses éléments, ce dernier avait clairement indiqué que le corps policier n’appliquait que des ordres. Une mauvaise publicité qu’il rattrape ce samedi en laissant tout simplement les anti-4eme mandat s’exprimer. La répression habituelle servait plus les opposants à la candidature d’Abdelaziz Bouteflika que l’Etat algérien.
En outre il est à rappeler qu’en parallèle à Alger, un important meeting politique pour soutenir Abdelaziz Bouteflika se déroulait sous la coupole du 5 juillet sous l’égide d’Abdelmalek Sellal, le directeur de campagne du Chef de l’Etat. 3000 militants s’étaient réunis pour soutenir la candidature du Président, alors que la campagne électorale n’a même pas commencé, et qu’en théorie les meetings politiques ne sont pas autorisés avant le 23 mars. Les autorités algériennes ne pouvaient pas d’un côté permettre à un candidat d’occuper une salle gigantesque gérée par la wilaya, une institution algérienne, et de l’autre réprimer des citoyens qui sont dans l’exercice de leur droit.
Toutefois à l’issue de ce nouveau rassemblement la plupart des militants se disaient « satisfaits » d’avoir pu s’exprimer même si la situation actuelle n’est pas le signe d’un changement démocratique radical. « Je ne comprends pas pourquoi ils n’ont pas de tout de suite fait ça. Nous arrêter les premières les desservaient eux pas nous. Désormais il faut continuer de faire réagir la rue », explique une femme militante qui a assisté à toutes les manifestations depuis le 1er mars. Pour Mustapha Benfodil, le porte-parole du mouvement Barakat ! ce rassemblement est la preuve d’un « réveil de la société civile qui a encore son mot à dire en Algérie ».