Installée à Alger depuis quelques semaines, Juliette a débarqué dans la capitale algérienne alors que la ferveur brésilienne embrase le pays. Cette jeune expatriée française, qui ne voue pas une passion pour le ballon rond, raconte comment elle a été gagnée par la fièvre ambiante. Récit.
Aujourd’hui, jour du premier match de Coupe du Monde de l’Algérie, j’ai décidé de laisser de côté ma passion pour les moules-frites et de prendre fait et cause pour les Fennecs. J’espère une victoire des Verts autant que je la crains, connaissant la réputation des supporters algériens à fêter avec entrain leur victoire, à grands renforts d’accélérations immodérées, de pétards et de fumigènes. D’ailleurs, quelques heures avant le match, un ami français m’envoie un message autant amusé qu’inquiet pour m’assurer de son soutien durant cet événement.
14h. Le match ne débute que dans 3 heures mais Alger vit déjà au rythme brésilien. Sur la place de la Grande Poste, face à l’écran géant installé pour l’occasion, plusieurs dizaines de supporters sont rassemblés – maquillés et costumés, chantant et dansant. La musique est poussée à fond, les drapeaux flottent aux balcons et aux fenêtres des voitures, et les enfants arborent fièrement le maillot de leur joueur préféré. Le mot « match » est sur toutes les bouches. Les jeunes dansent, les enfants les regardent mi-émerveillés, mi-terrorisés, et les plus âgés sourient affectueusement.
L’ambiance est plutôt bon enfant mais déjà certains comportements inconscients m’étonnent. Une voiture passe, un gamin assis sur le toit. Du haut de ses cinq ans, le pauvre petit semble avoir toutes les peines du monde à garder son équilibre.
Les agents de sécurité, accompagnés de leurs molosses, contemplent ce spectacle bigarré avec amusement. Pas question pour eux de réprimer la liesse populaire. Le football, une façon pour le pouvoir algérien d’acheter la paix sociale ? On n’est pas loin de l’opium du peuple dénoncé par Marx : tant que les Algériens se défoulent devant leur écran de télévision ou dans les stades, ils ne pensent pas à descendre dans la rue pour manifester leurs frustrations économiques et sociales.
Quoiqu’il en soit, je me laisse moi aussi gagner par la ferveur populaire. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’une équipe algérienne dispute un match dans une compétition internationale.
Les passants, eux, semblent ravis de cette animation. Nombre d’entre eux prennent les supporters en photos et échangent avec eux leurs pronostics sur le match. À la sauvette, les maillots s’échangent 800 DA.
17h. Heure H. Les rues d’Alger sont désertes, pas un taxi ne circule, la ville entière retient son souffle. Je suis installée dans un petit café de la rue Didouche, où les chaises et les tables ont été déplacées pour permettre à un maximum de personnes de s’installer. BeIn Sports tourne à plein volume et l’atmosphère est déjà bien enfumée. La tension est palpable, le silence religieux et les yeux rivés sur l’écran.
Pas de chance pour moi, les commentaires sont en arabe. Mais vu le niveau général des commentaires footballistiques à la télé, je gagne peut-être à ne rien comprendre de ce qui se dit. De toute façon, les spectateurs présents dans la salle ne manquent pas de commenter chaque action dans un mélange de dardja et de français.
Premières opportunités algériennes, copieusement applaudies. L’ambiance est joviale, tout le monde veut croire à un exploit des Fennecs. Moi aussi.
Au premier tir belge, un frisson parcourt la salle. Magnifique arrêt du gardien M’Bolhi, salué par des exclamations soulagées.
17h21. 21è minute, toujours 0-0, l’agacement devient palpable. Un contrôle mal assuré est hué par les spectateurs frustrés.
17h24. Le salut vient à la 24è minute. Feghouli transforme un penalty, la salle exulte. Les spectateurs se lèvent comme un seul homme, faisant trembler le sol du café. Mon Coca manque de se renverser et mes tympans de se déchirer.
Quand l’arbitre siffle la mi-temps, l’Algérie mène toujours au score. Tous les espoirs sont permis et les conversations enjouées évoquent déjà la victoire héroïque des Fennecs sur les Diables rouges. « Inchallah ».
Mais, profitant de la pause, les terribles Belges se sont refait une santé. Il semblerait même qu’on leur ait servi du lion enragé en guise de casse-croûte. Sur les terrains, les Algériens sont dominés. Le pire reste pourtant à venir.
18h25. À la 70è minute, catastrophe : la Belgique marque son premier but et égalise. Silence de mort dans la salle, j’entends pétiller les bulles de mon Coca.
18h34. À la 79è minute, apocalypse : la Belgique enfonce le clou avec un deuxième but qui lui permet de mener au score.
18h45. L’arbitre mexicain siffle la fin de la rencontre. La déception des supporters est manifeste, ils quittent rapidement le café sans piper mot. Pas de défilé pour ce soir donc. Dommage, j’aime bien les feux d’artifices.