Dévalorisées, démunies, dépendantes et soumises. Voilà le sort réservé à certaines femmes au foyer dans la société algérienne. Qu’elles soient célibataires ou mariées, certaines dépendent dans les deux cas soit d’une famille trop impitoyable et intraitable, soit d’un mari intransigeant et autoritaire. Comment ces parias de la société mènent-elles leur existence en vivant aux dépens de leur famille ? Pourquoi certaines familles ne les considèrent pas comme des êtres humains à part entière, mais comme des bouches à nourrir, des êtres défavorisés et invalides ?
Elle s’appelle Noura et mène une existence des plus dures. Cette quinquagénaire solitaire et célibataire qu’on qualifie vulgairement en Algérie de vieille fille, étant donné qu’elle a raté le « train du mariage », n’a pas de revenus. C’est une femme au foyer sans aucune qualification scolaire ou professionnelle, et qui dépend de surcroît de sa famille. Une famille algérienne très conservatrice, dure à vivre, abusivement portée sur les valeurs, la morale et le qu’en dira-t-on. Noura n’a pas le droit de sortir toute seule, car sa vieille mère a peur pour elle. «La cinquantaine passée, je n’ai même pas le droit d’aller faire des achats toute seule ou de me rendre chez mon médecin, si je n’emmène pas avec moi l’une de mes nièces. La cinquantaine passée, je n’ai pas le droit de réclamer ma liberté car je n’ai pas de rentrée d’argent et je dois attendre que ma mère m’en donne, ou que mes frères mariés se rappellent de leur sœur qui leur a élevé leurs mioches. Je ne me suis pas mariée certes, mais j’ai quand même éduqué toute une génération de petits et je ne reçois en retour que l’ingratitude des miens », raconte avec une pointe d’amertume cette femme voilée au regard triste.
Noura poursuit l’histoire de son calvaire quotidien en étant constamment obligée de supporter les sautes d’humeur de sa mère, la violence de son frère, célibataire lui aussi, et le regard dur de toute la société qui considère ces femmes comme des « moins que rien ». « Je regrette de ne pas avoir continué mes études, ni d’avoir bénéficié d’une formation professionnelle. Une femme sans mari et sans travail en Algérie est condamnée à la réclusion sociale. Elle doit subir et endurer les menaces, la violence et l’agressivité et supporter la méchanceté des autres », poursuit-elle.
Comme Noura, nombreuses sont ces femmes au foyer, célibataires, sans revenus mensuels et qui doivent dépendre de leur famille. À chacune son histoire, mais elles se rejoignent toutes sur un point : elles sont des parias de la société moderne, qui érige l’indépendance financière comme critère primordial pour se libérer de l’emprise des autres. « Pourquoi ma mère ne se comporte pas avec autant de violence vis-à-vis de ma sœur aînée, célibataire aussi, mais qui occupe un poste important ? C’est parce qu’elle fait rentrer de l’argent alors que moi non », ajoute-t-elle.
« Fais le ménage et tais-toi ! »
Oui, en effet, vivre aux dépens des siens est une raison qui pousse plusieurs familles à agir de façon très dure avec leurs filles célibataires, sans travail et sans revenus. « Inconsciemment, certaines familles font endurer le martyre à leurs filles, juste parce qu’elles ne se sont pas mariées, ne travaillent pas et n’ont pas de revenus financiers. C’est comme une manière de les châtier, de les punir, de leur faire payer le prix de la dépendance », explique Lyna Samir, psychologue clinicienne. « Ne sors pas seule, ne t’habille pas comme bon te semble, ne pense même pas fréquenter quelqu’un et reste seule dans ta petite pièce. Certaines femmes au foyer vivent isolées du monde, enfermées dans le cocon familial, condamnées à s’occuper des tâches ménagères et n’ayant pour unique loisir qu’une télévision qui diffuse à longueur de journée des séries turques. Sans vie sociale et sans vie professionnelle, ces femmes se retrouvent en marge de la société, menant une existence rude et désagréable.»
«Le pire, c’est de n’être plus perçue uniquement comme une « femme au foyer ». Je ne veux pas dire du mal des mères au foyer, car c’est un vrai boulot, mais avec mon mari, je ne suis considérée que comme celle qui nourrit, qui torche, qui nettoie, qui câline… Je me demande souvent si j’ai encore un cerveau, moi diplômée de l’université ayant été contrainte de quitter mon boulot par la seule volonté de mon mari », raconte Leila, 32 ans.
Avoir un salaire, un rêve légitime
Pour cette mère de deux enfants, forcée à subir le caractère de son mari tyrannique, être une femme au foyer et dépendre financièrement de son époux n’a rien de glorieux. « Cela pourrait être valorisant pour une femme d’être respectée par un mari reconnaissant son rôle au foyer et le noble travail qu’elle accomplit », avoue-t-elle. De son côté, Rabia, femme au foyer, mère de quatre gosses dont l’aînée a 16 ans, nous raconte son calvaire : « Je rêve d’avoir un salaire de femme au foyer en raison de toutes les tâches que j’accomplis. Je suis comme une machine bonne à tout faire, mais dès que la fin du mois arrive je suis obligée de me rabaisser pour que mon rustre d’époux daigne me donner quelques sous. L’Aïd dernier, il a acheté des tenues à tous ses enfants et n’a même pas pensé à m’offrir un foulard ou une robe. J’ai l’impression d’être une esclave. J’ai envie de reconnaissance, d’une meilleure considération, mais chaque jour, je me sens plus méprisable et plus inférieure », témoigne-t-elle.
Dur, dur le quotidien de ces femmes qui pourtant économisent à leurs maris des frais de garderie, de ménage, de baby-sitting, etc. N’ont-elles pas le droit de vivre dignement ? Les hommes ne doivent-ils pas exprimer leur reconnaissance à ces femmes pour tous les services qu’elles accomplissent en s’occupant de la maison et des enfants ? Au lieu de cela, certaines femmes au foyer demeurent prisonnières de leur situation précaire et du regard sociétal accusateur qui les marginalisent chaque jour.
Nourhane S.