Bab-El Oued l’éternelle oubliée. Telle est l’image qu’ont les habitants de ce quartier populaire de la capitale algéroise. Victimes de l’insalubrité constante et de la vétusté de leurs immeubles, les riverains vivent dans habitations inadaptées voire dangereuses pour leur vie. Lassés, les habitants sont sur le point d’exploser. Reportage.
Façades dérobées, humidité et odeur de gaz… Ce paysage de désolation n’est pas celui d’un pays en guerre, mais bien en plein cœur de la capitale de l’Algérie, dans le quartier de Bab-El Oued. Ce coin d’Alger a gardé son charme avec ses belles bâtisses au style haussmanien, mais lorsqu’on se rapproche, on se rend compte que s’aventurer dans les rues de Bab-El est devenu périlleux ces derniers temps, et y vivre, est tout simplement suicidaire. Les rues Gharafa, Achache ou encore à Berrakia, abritent des centaines de logements dans un état catastrophique, qui n’ont jamais été réhabilités depuis l’indépendance. Pourtant de nombreuses familles sont toujours dans leurs logements qui menacent de s’écrouler à la moindre intempérie, faute d’alternative, elles restent dans leurs logements quitte à être blessées.
Tremblements et stupeur
Un terrible accident survenu le 23 janvier dernier au 14 rue des frères Achache a relancé le débat sur ce problème urbanistique de première importance. Une maison dans laquelle vivait 14 personnes, dont des enfants en bas âge, s’est effondrée dans la matinée. Les habitants de la maison ont frôlé la mort, mais heureusement aucun d’entre eux n’était dans la partie sensible de la maisonnette, évitant ainsi un drame. « Il était 5H45 lorsque c’est arrivé, tout est tombé, les enfants étaient terrifiés, on a cru que c’était un tremblement de terre au départ, même les voisins y ont cru. Heureusement, les enfants étaient en bas et n’ont rien eu », raconte Kamel Harir, 53 ans, père de 3 enfants. Il vivait dans cette maison avec sa femme et ses enfants, la famille de son frère, celle de sa soeur, dont des petits neveux et nièces. Dans cette vidéo tournée et postée par un militant et blogueur algérien « DZ militant » on peut voir les dégâts qu’a subi leur habitation. Youcef Harir, l’une des victimes parcourt dans ces images les dangers auxquels sa famille, notamment ses jeunes enfants étaient confrontés :
Un choc terrible pour ces familles qui du jour au lendemain ont dû fuir leur maison, pourtant classée depuis des années dans les zones sensibles, en tant qu’ IMR, soit « immeuble menace ruine ». Cette appellation concerne tous les logements qui menacent de s’écrouler, et dont l’évacuation est urgente. Or, il a fallu que la maison s’écroule pour que ces familles soient logées dans un endroit où elles ne risquent pas leur vie. Désormais ces 14 personnes sont temporairement hébergées dans une salle de l’ancien cinéma Tamghout. Pour conserver un peu d’intimité, les familles ont placardé les vitres du cinéma de journaux et ont tenté d’aménager l’espace. Toutefois, elles vivent dans des conditions terribles : pas d’aération, pas de salle d’eau, peu d’eau courante. Le soir pour dormir, ces familles s’entassent dans deux pièces d’à peine de 10 m2 sur des matelas à même le sol. Kamel Harir dort sur quelques draps déposés sur le sol froid, une situation inacceptable pour cet ancien marin, qui estime avoir donné assez à l’Algérie en s’engageant dans la marine.
Les trois familles souffrent de cette solution précaire. « Mon fils a des allergies, il est très mal. Il n’y a pas moyen de respirer ici, aucune fenêtre, aucune aération, on est dans une tombe », déplore l’une des femmes qui a trouvé refuge dans le cinéma. « On ne peut pas se laver, cuisine comme on peut mais c’est difficile. Nous sommes heureux que le Président de l’APC ait trouvé cette solution, mais ces dix jours à vivre ici ont été insupportables », confie-t-elle.
Risques majeurs non maîtrisés
La famille Harir n’est pas la seule à vivre ce genre de situation. Au total 425 familles et 38 immeubles sont concernés par ce plan IMR à Bab El Oued. Seulement même si les autorités locales, notamment les services de l’urbanisme, sont au courant du contexte, elles attendent que la situation devienne dramatique avant d’agir. Pour les Harir, c’est le Président de l’APC de Bab El Oued qui est intervenu en urgence. « En une journée j’ai trouvé une solution, c’était la seule dont je disposais. C’était compliqué de libérer un endroit car toutes les salles sont réservées pour l’élection présidentielle », explique Sebhane Athmane, le président de l’APC de Bab el Oued, qui se dit mains liées face à ce problème. En effet, l’autorité compétente pour gérer les problèmes liés au logement est la wilaya, plus précisément sa direction du logement. « Les dossiers de ces personnes [la famille Harir] sont désormais au niveau de la wilaya, nous avons entrepris toutes les démarches mais maintenant nous devons attendre l’enquête, pas le choix », explique encore le président de l’APC. De son côté la wilaya promet de prendre en charge le problème dans les plus brefs délais, pour le moment elle a promis à la famille réfugiée dans le cinéma Tamghout d’entamer une opération de relogement à la fin de février.
Toutefois, la pilule ne passe pas pour les habitants qui souffrent de ne pas avoir un toit décent. D’autant plus qu’à quelques rues de là un panneau géant annonçant le plan d’aménagement d’Alger, de sa baie, ses routes, ou ses promenades de front de mer. Alger fait peau neuve mais laisse ses habitants sur le carreau lorsqu’il s’agit de leur logement.
Une ballade d’une heure dans le quartier suffit pour comprendre que le désarroi des Algérois de Bab El Oued. Au 6 Rue Brahim Gharafa, un immeuble fatigué par le temps peine à se dresser devant nous. La cage d’escalier est comme rongée par les années et surtout l’humidité.
Le plus choquant arrive lorsqu’on entre dans un appartement au 2e étage. Dès l’entrée, on accède à l’appartement composé de 3 pièces par une planche chancelante, mais gare à celui qui regarde sur les côtés, car un trou béant dans le sol donne une vue direct sur l’appartement du dessous, dans lequel vit une famille de 5 personnes, les parents et leurs trois enfants. Conscientes du danger, les habitants de l’appartement du dessous dorment toutes dans la même pièce où une partie du plafond s’est écroulée il y a plusieurs années. On peut même voir au-dessus du lit l’inscription : « danger de mort », tagué par l’un des enfants de la famille.
L’immeuble dans lequel se trouvent ces deux appartements est classé IMR, mais également en zone rouge, au niveau 4 en termes de danger, le seuil maximum. Cela veut dire que le moindre glissement de terrain ferait de cet immeuble. D’ailleurs les deux appartements subissent des dégâts tous les jours, dans celui du 2e étage, l’eau coule du plafond, et le mois dernier ce sont des pans entiers du plafond qui sont tombés sur la tête de l’une des locataires. Dormir avec la peur de mourir, tel est le quotidien de ces familles.
Bab El Oued prêt à exploser
Kamel Aoufi, président de la coordination des IMR créée en 2011, est l’interlocuteur principal entre les habitants du quartier et les responsables de la direction du logement de la wilaya. Il intervient en faveur de ces malheureux habitants et tente de trouver des solutions immédiates. Mais sa tâche est compliquée, il est l’intermédiaire mais ne peut impacter sur les décisions. « Depuis 2011 on tente d’aider ces gens en danger, mais cette fois-ci la situation est urgente. Ces personnes risquent la mort. On nous a promis une solution correcte d’ici fin février. Mais on craint que le quartier ne s’enflamme si les autorités ne donnent pas de réponse adéquate à ces familles ».
Il faut dire que ces familles sont désespérées et n’ont plus rien à perdre. « Nous n’avons pas peur d’en arriver à l’émeute si c’est nécessaire ! Qu’ils le sachent, si d’ici fin février l’opération de relogement n’a pas commencé, nous ne resterons pas les bras croisés, tout Bab El Oued est prêt à me suivre », prévient Youcef Harir, le frère de Kamel, également locataire de la maisonette de la rue Achache.
Un appel que les autorités feraient mieuxde prendre en compte. Alors que le Premier Ministre tente actuellement de défendre le bilan du Président Abdelaziz Bouteflika, notamment en axant sur sa politique de logement, de tels drames font tâche d’huile.