PHOTOS. De la Zorna à la Matraque : un 24 février particulier à Alger

Redaction

Le centre d’Alger était en état de siège dans la matinée de ce mardi 24 février. Peu avant 9h, un énorme dispositif sécuritaire est déployé à travers les rues de la capitale. A la place « Mauritania », point de jonction du Boulevard Amirouche et de la Rue Hassiba, quelques fourgons cellulaires y sont stationnés. Matraques et casques accrochés au ceinturon, des éléments des Unités républicaine de sécurité (URS) parcourent le boulevard précité. En s’approchant de la Grande Poste, une chanson de Rabah Derriassa retentit.

Ana Djazayri ! 

Le refrain « ana djazayri (« je suis Algérien » en derdja)» parvient aux oreilles des passants. Au niveau et aux alentours immédiats de la Grande Poste, le déploiement policier est plus impressionnant encore. Plusieurs dizaines de véhicules et des centaines d’agents y sont mobilisés. Des chapiteaux blancs, abritant des exposants de produits artisanaux, sont plantés sur les esplanades et jardins adjacents à la Grande Poste. Une petite tribune préfabriquée, installée sur le large trottoir, tourne le dos au Jardin Khemisti et donne sur la rue et l’esplanade surplombant ce dernier, qui sert de piste aux troupes folkloriques participant à la célébration officielle de cette date anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures en 1971 et la création de l’UGTA en 1956.

Vers 11h, l’animateur des festivités appelle les vainqueurs des compétitions sportives de la matinée à se présenter à la tribune pour recevoir leurs prix. Mais ces festivités encadrées par un impressionnant dispositif de forces anti-émeutes ne sont, en fait, destinées qu’à noyer le poisson de l’Instance de concertation et de suivi de l’opposition (Icso), une coalition de partis et de personnalités politiques, qui avait appeler à un rassemblement au même endroit et le même jour, à midi, pour dire non au gaz de schiste en Algérie et soutenir les citoyens d’In Salah, mobilisés contre l’exploitation de ce gaz non conventionnel depuis le 31 décembre dernier.

Finalement, les leaders de l’Icso sont arrivés sur les lieux plus tôt que prévu. Dès qu’ils pointent leur nez, à 11h passées, le dispositif de « maintien de l’ordre » se transforme en véritable machine de répression. Les chefs de file du RCD, de Jil Jadid, du MSP, d’Ennahda, de l’USD (non agréé) ainsi que Ben Bitour, entre autres, sont violemment repoussés vers la Faculté centrale. Traînant les pattes, ils sont malmenés et bousculés par les policiers qui usent de leurs boucliers. Devant la difficulté de repousser la foule compacte, les agents du général-Major Abdelghani Hamel, DGSN, redoublent de violence pour disperser les animateurs de l’Icso et leur sympathisant. La stratégie semble efficace. Mohcine Belabbès, Sofiane Djilali, Ahmed Benbitour, Abderrezak Mokri et Karim Tabbou sont désormais éparpillés, chacun est entouré de quelques proches collaborateurs et de journalistes. A hauteur de la Place Audin, Sofiane Djilali, observé une halte juste à l’entrée du tunnel. Cerné, lui est ses compagnon, par un bouclier d’hommes en uniforme brutaux, le chef de file de Jil Jadid étouffe. Suant, haletant, il dénonce aux journalistes la brutalité policière.

« Dégagez d’ici. Vous vous croyez plus algériens que les autres ? »

Visiblement irrité par de longues minutes de blocage de la circulation automobile, un jeune homme joue au baltagui. Il s’en prend verbalement à Sofiane Djilali. « Dégagez d’ici. Vous vous croyez plus algériens que les autres ? Vous êtes minable », s’attaque-t-il en tentant de s’approcher de lui. Les policiers laissent faire, mais un des compagnons de Djilali, costaud, s’interpose avant que d’autres personnes se joignent à lui et réussissent à convaincre l’agresseur de s’éloigner. A ce moment-là, un jeune manifestant se fait arrêté violemment par trois policiers au milieu de la chaussée. Les policiers se mettent de nouveau à bousculer les manifestants les repoussant vers la Rue Didouche. Karim Tabbou, pris d’assaut par les journalistes, qualifie les brutalités policières de « signe de la fin d’un régime qui n’a comme alternative que la repression ». « Le pouvoir ne devrait pas avoir peur du peuple qui manifeste pacifiquement contre la gaz de schiste », déplore-t-il.

La Place Audin dépassée, la foule commence à se reconstituer autour de Belabbès, Djilali, Mokri et Tabbou qui tout près l’un derrière l’autre. Mais, les agents de police s’en aperçoivent rapidement. Ils entourent et isolent à nouveau le patron du RCD et les cadres de son parti devant le Cinéma l’Algeria. Au bout de quelques minutes, on met fin à l’encerclement, et les manifestants poursuivent leur chemin et convergent vers le siège régional du RCD. Mohcine Belabbès s’y engouffrent le premier, suivi de Bahbouh (UFDS), Djilali, Tabbou, Benbaïbeche (El Fajr El Jadid), Benbitour et Douibi. Ali Benflis conclut le bal, quelques dizaines de minutes plus tard.

« Nous avons réussi » 

Peu avant 13h, les leaders de l’Isco, à l’exception de Karim Tabbou, tiennent un point de presse dans les locaux du RCD. Au cours de leurs interventions, Belabbès, Benflis, Dhouibi et Mokri dénoncent unanimement la répression féroce de la manifestation pacifique et réclament la « libération immédiate » des personnes arrêtés. « Il y a eu au moins cinquante arrestations à Alger et quatorze autres à Boumerdès, dont des SG de partis et des personnalités nationales », affirme Belabbès. Les quatre intervenants se sont tous félicités de « la réussite de la manifestation », en qualifiant cette journée d’ « historique ». « Nous avons réussi à faire sortir des dizaines de milliers de policiers dans la rue et nous avons brisé le mur de la peur », se réjouit Mokri. La conférence est conclue par l’annonce d’une réunion de l’Icso pour demain, au siège d’Ennahda sis à El Biar.

 

Diaporama photos. De la place Audin au siège du RCD, rue Didouche Morad, la manifestation anti-gaz de schiste du 24 février empêchée par Djamila OULD KHETTAB

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