Algérie-Maroc : que reste-t-il de cette histoire commune ?

Redaction

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Mon amour, mon ennemi, mon ami, mon rival. La relation algéro-marocaine est compliquée, conflictuelle et incompréhensible. Pourquoi deux pays qui ont traversé ensemble les difficultés, ont une culture quasi similaire et partagent la même religion, ne parviennent pas à trouver un terrain d’entente ? Sans doute à force d’extrapoler des conflits politiques, et de forcer deux sociétés qui s’apprécient à choisir un camp. 

Cette relation si particulière entre l’Algérie et le Maroc a été à de nombreuses reprises soulignée par des historiens, des journalistes. Benjamin Stora, historien et spécialiste du Maghreb s’en étonne également. « Les peuples de ce territoire, partagent la même langue, la même culture, la même foi. L’histoire a aussi forgé des liens puissants dans les combats anti-coloniaux. Aussi, le Maghreb politique ne peut-il que se construire, en dépit des résistances et des retards », écrit-il dans son livre, Algérie Maroc, histoires parallèles, destins croisés.

Du Royaume des Zianides à l’indépendance

En effet, l’Algérie et le Maroc n’ont pas seulement quelques points communs, ils ont construit leur identité ensemble. Deux voisins, et même deux frères, doivent forcément partager leur plume pour écrire leur histoire. Tant d’épisodes du passé ont prouvé le lien indestructible qu’il existe entre les deux pays. A commencer par le Royaume des Zianides de Tlemcen, aux XIIIe et XIVe siècles, dans lequel l’Algérie et le Maroc étaient si proches. Les échanges algéro-marocains autour de la capitale de Tlemcen étaient monnaie courante : commerciaux, politiques, migratoires. Les deux pays étaient alors bien loin des antagonismes actuels. A l’origine, ces deux pays avaient érigé un véritable Maghreb uni. Une base qui a servi à structurer l’Afrique du Nord.

Si originellement l’Algérie et le Maroc étaient des voisins en bons termes, d’autres étapes importantes ont renforcé cette relation algéro-marocaine. L’Algérie a toujours été reconnaissante envers le roi Mohamed V, qui avait soutenu les Algériens durant la guerre d’Indépendance en leur permettant d’installer une base à Oujda, au Maroc, servant de lieu de repli et d’approvisionnement, soutenant ainsi la Révolution algérienne.

Parcours et histoires croisées

Au-delà de ce passé commun, le Maroc et l’Algérie se sont faits écho dans la quête de leur identité. Les deux pays ont été confrontés aux mêmes problématiques sociales et culturelles. Dès la quête de l’indépendance, lorsque les « Jeunes Algériens » de Ferhat Abbas rêvaient d’une Algérie libre, les « Jeunes Marocains » d’Allal el Fassi, partageaient les mêmes espoirs pour leur pays. L’Algérie et le Maroc ont dû gérer les mêmes défis linguistiques, avec notamment leurs minorités berbérophones qui réclamaient la reconnaissance officielle de leur langue. Et aujourd’hui encore, ce sont des sociétés au parcours similaire dans lesquelles les jeunes marocains et algériens doivent faire face aux mêmes situations : le chômage, l’immigration clandestine, l’éducation. Certes, ils n’ont pas toujours eu la même trajectoire, mais ces similitudes devraient les aider à se comprendre, à se tolérer, et à marcher main dans la main.

« Comment la société civile pourrait-elle influencer et peser sur les décideurs politiques pour débloquer la situation ? » s’interroge Akram Belkaid, journaliste et essayiste algérien. « Ce qui m’inquiète, c’est que les deux sociétés s’éloignent l’une de l’autre. Nos aînés, ceux qui ont participé aux combats pour l’indépendance, se connaissaient mieux. Aujourd’hui, un jeune de Constantine ne sait rien du Maroc et c’est réciproque pour un jeune d’Agadir qui ignore tout de l’Algérie. Il faut donc œuvrer à ce qu’Algériens et Marocains continuent de se rencontrer, d’échanger et de mieux se connaître. Il faudrait des échanges d’étudiants, des manifestations communes et même, pourquoi pas, une équipe de football conjointe de façon à dépasser le chauvinisme stupide que l’on voit s’exprimer de part et d’autre. Il faut créer des éléments d’irréversibilité entre l’Algérie et le Maroc de manière à rendre ces deux pays interdépendants et qu’ils ne soient jamais tentés de choisir la pire des solutions pour régler leurs différends. »

Peut-on à nouveau rêver d’un Maghreb uni ?

Certes leur passé n’a pas été semblable sur tous les points mais ces siècles de partage ont soudé ces deux communautés, qui gardent, en dépit de tout, leurs particularités et leurs différences. « Pourtant, en dépit de ces différences, l’un et l’autre ont vu émerger des sociétés civiles qui ont pour caractéristique à la fois de ne pas se sentir représentées par les vieilles classes politiques encore aux commandes et d’aspirer à la modernité. Au Maroc comme en Algérie, des sociétés jeunes et urbaines veulent plus de vérité, de justice, d’Etat de droit, de démocratie. Dans les deux pays, aussi, on assiste à un intérêt nouveau pour le passé proche. La découverte d’une histoire récente, sujette à polémique et longtemps occultée, donne parfois lieu à de grands déballages », précise Benjamin Stora. Ce sont donc ces sociétés urbaines qui pourraient faire du passé, un avenir. Indépendamment des querelles politiques, des conflits internationaux ou des rivalités injustifiées, seul les Marocains et les Algériens pourront impulser un rapprochement de ces voisins en froid.