Pour Karim Douichi, journaliste et analyste politique marocain, la couverture des événements médiatiques en Algérie et au Maroc par les journalistes locaux est souvent faussée car ces derniers sont les premières victimes des propres poncifs qu’ils véhiculent sur le pays voisin. Entretien.
Comment les médias marocains représentent-ils l’Algérie ?
Leur perception est affectée par le syndrome du nationalisme. Les médias marocains, comme les médias algériens, sont rarement objectifs. Un peu comme des supporters de foot. Ils connaissent très mal la réalité et la subtilité du pays voisin. L’Algérie est dépeinte dans les médias marocains comme un pays non gouverné et à la botte des généraux, tandis que, dans les médias algériens, le Maroc est perçu comme un Etat occupant, une royauté moyenâgeuse avec un peuple servile.
Pourquoi l’Algérie est une terre étrangère aux médias marocains alors que moins de 1 500 km séparent Alger de Rabat ?
Au Maroc comme en Algérie, les journalistes sont les premières victimes de la désinformation car ils sont les premiers irradiés par la propagande officielle contre le voisin. Les organes de presse sont dépendants soit de subventions étatiques soit d’investisseurs privés, qui n’ont pas intérêt à reconnaître ce qui se fait de bien ailleurs. Et puis, on ne va pas se mentir, un canard marocain, qui fait ses choux gras des lieux communs sur l’Algérie, et inversement, se vendra toujours mieux. Ici, la profession est malheureusement touchée par le suivisme et la course à la surenchère.
Ce n’est donc qu’une question d’influence du pouvoir et de loi marchande…
Non, la paresse intellectuelle de la plupart des journalistes marocains et algériens est aussi responsable de ce traitement médiatique riche en clichés. Ils ne se concentrent que sur les dossiers politiques, oubliant les sujets sociaux, culturels et tout le reste. Ainsi, il existe une tonne de sujets encore sous-traités. Aussi, les journalistes réalisent trop peu de reportage de l’autre côté de la frontière. Ils n’ont pas d’excuse : ce n’est pas un billet d’avion aller-retour à 200 euros qui va plomber les comptes de l’entreprise de presse pour laquelle ils travaillent.
Par leur méconnaissance du terrain, ces professionnels de l’information alimentent un climat de guerre entre l’Algérie et le Maroc…
Je dirai plutôt un climat de haine, de suspicion et d’incompréhension mutuelle. Mais l’Algérien et le Marocain ne sont pas dupes. Ils restent très curieux et ouverts à l’autre. Ainsi, chaque année, presque un million de touristes algériens séjournent au Maroc, ce qui en fait le troisième contingent de visiteurs du royaume ! Et l’Algérie est le pays comptant le plus d’amis marocains sur Facebook [ndlr selon une carte interactive mise au point par une chercheuse américaine en septembre 2012, qui permet de calculer le nombre de liens d’amitiés entre utilisateurs de pays différents].
Mais certains titres de presse ou journalistes indépendants ne se démarquent-ils pas ?
Si, les journalistes sportifs connaissent relativement bien les deux pays. Grâce à un calendrier d’épreuves et de compétitions chargé, ils sont amenés à faire régulièrement la navette. Quelques signatures aussi se distinguent et Le Journal Hebdomadaire [ndlr un titre de presse marocain qui a cessé de paraître en 2010] faisait un excellent travail.
Comment en finir avec les clichés sur l’Algérie dans les médias marocains, et réciproquement ?
Tant qu’il n’y aura pas de presse libre, indépendante et privée, on ne pourra pas compter sur les journalistes pour critiquer le discours officiel qui fait du voisin notre ennemi.